Pierre Jasmin est diplômé du Conservatoire de Moscou.
Volodymyr Zelensky déchiré par les extrêmes-droites
Dans le fond, le sort de l’Ukraine repose entre les mains de cet homme qui en pleine nuit du 21 au 22 février a réagi de façon extraordinairement mesurée par un discours d’à peine cinq minutes destiné à rassurer son peuple. Ses arguments posés contrastaient avec le délire d’une heure d’un Poutine rappelant SON Ukraine avec le rêve illuminé (paranoïaque, dit le Président français) du berceau de l’Éternelle Russie orthodoxe, rêve mêlé aux illusions nostalgiques de puissance des troupes soviétiques quand il était un petit pion du KGB.
Volodymir Zelensky en 2019 a eu le courage de s’impliquer en politique parce qu’il refusait à la fois la voie de la russification menée par l’autocrate corrompu Viktor Ianoukovytch élu en 2010 et celle de l’extrême-droite nationaliste fasciste qui avait infligé par leur révolution du Maïdan aux russophones de l’Est du pays des milliers de morts, entraînant leur réaction compréhensible de la création des deux républiques populaires du Donetsk et du Lougansk (le h se prononce g en Russie).
Après avoir tenté de maintenir la fiction du Traité de Minsk que ni les Russes ni l’Occident n’ont respecté, avides d’avantages mesquins, Zelensky comprend qu’il est, en sa voie du juste milieu débordée par ses ministres et compatriotes, seul à devoir maîtriser le destin de l’Ukraine.
Seul car l’OTAN qui a vociféré ne peut lui être d’aucun secours, à moins de déclencher une guerre nucléaire.
Seul car les discours désordonnés de Johnson et Macron ne lui seront d’aucune aide.
Seul avec néanmoins comme consolation la sympathie de l’Allemagne de gauche.
Que se passera-t-il ? L’opinion mondiale réussira-t-elle à dissuader Poutine de lancer ses blindés sur la route de Kiev ?
Et chez nous au Canada ?
Nos analyses de paix se limitent à analyser des faits, pas des intentions. On peut hélas prévoir des dérapages qui toujours proviennent des extrêmes-droites et c’est pourquoi quand ce matin deux chercheurs sociologues font le titre du Hill Times, le journal le plus lu par les députés de la Chambre des Communes, en déclarant que l’ignorance ou l’inconscience de la classe politique reste totalement naïve face au phénomène inquiétant de la montée de l’extrême-droite au pays, illustrée par des figures de trois partis fédéraux dans leur photo révélatrice ci-dessous, nous les croyons volontiers.
Le vote en faveur d’une loi liberticide des mesures d’urgence ne nous semble d’aucune utilité autre que pouvoir examiner les fonds acheminés par les États-Unis aux complotistes-camionneurs. Quant à leurs cousins à Québec, ils ont beau avoir fait infiniment moins de dommages, quand on voit le dénominateur commun de quatre gars de plus de cent kilos (comme moi), de pathétiques chandails des Nordiques sur le dos, monter sur la scène discourir avec de virils mots creux, on se dit voilà des quadragénaires qui comptent sur leurs gros camions et leurs gros bras pour crier leurs délires complotistes qui alimentent le parti d’extrême-droite d’Éric Duhaime contre la science de la santé et contre nos élus qui ont tenté des mesures sanitaires pour juguler la COVID (sans pour leur part écouter attentivement l’Organisation Mondiale de la Santé).
Le phénomène ne se limite pas au Canada mais au monde entier, pris dans une spirale de discours haineux menant à la guerre, comme l’a bien exposé John Pilger. Que faire ? Garder son sang-froid comme Zelensky suffira-t-il, alors qu’il est à la merci d’un provocateur ukrainien pro-nazi qui allumera la guerre en lançant une attaque-suicide contre les Républiques ? Et n’est-ce pas ce que recherche Poutine et son armée ? Les armes que Chrystia Freeland a envoyées en Ukraine vont empêcher notre pays de jouer tout rôle crédible dans la résolution diplomatique du conflit. Mais y a-t-il seulement une voie de paix ? Qu’en pense le Secrétaire général de l’ONU ? À venir.
Vous trouvez difficile de concilier les deux articles que nous venons d’écrire sur l’Ukraine? Encore plus difficile avec notre article écrit il y a huit ans: http://artistespourlapaix.org/?p=5667
Et voici des extraits d’un article paru dans L’Express le 23 mars 2014 par Jacques Attali :
« Sont-ils tous devenus fous? Il m’arrive parfois de demander s’il est possible d’avoir raison contre tout le monde. Ou bien s’il faut se résigner à penser que l’unanimité vaut raison. Au vu du tour que prend l’affaire ukrainienne, je me sens cependant renforcé dans ma première intuition, exprimée ici : il est fou, pour l’Occident, de faire du problème de la Crimée l’occasion d’une confrontation avec la Russie.
Qu’on ne s’y trompe pas. On n’a jamais lu sous ma plume une approbation du régime actuel de la Russie. Ni de sa stratégie internationale. Et je ne parle ici que de l’intérêt de l’Occident, et plus précisément de l’Europe. Et, pour moi, l’intérêt de l’Europe n’est pas de se lancer dans un affrontement avec la Russie. Mais au contraire de tout faire pour intégrer notre grand voisin de l’Est à l’espace de droit européen. (…)
Les historiens de l’avenir auront à mon sens beaucoup de mal à comprendre pourquoi nous nous sommes lancés dans une escalade aux conséquences potentiellement terrifiantes avec la Russie, pour s’opposer au vote majoritaire d’une province russophone, russe pendant des siècles, et rattachée en 1954 à une autre province de l’Union soviétique par le caprice du secrétaire général du parti communiste d’alors, Nicolaï Kroutchev. Un rattachement jamais pleinement reconnu par la majorité des habitants de la Crimée, qui ont toujours voulu conserver leur autonomie à l’égard du gouvernement de Kiev, comme l’affirmait encore la première constitution ukrainienne de 1992. Aujourd’hui, la Crimée et la Russie ont choisi de profiter du chaos issu de l’arrivée à Kiev d’un gouvernement fortement antirusse pour se retrouver.
En quoi cela nous gêne-t-il ? Pourquoi refuserait-on aux habitants de la Crimée de vouloir choisir leur destin, contre l’avis du pays dont ils sont membres, alors qu’on s’apprête à autoriser les Ecossais à voter sur le sujet, et que les Catalans ont bien l’intention d’en faire autant ? Protestera-t-on contre « l’amputation du territoire de la Grande-Bretagne » si les Écossais choisissent l’indépendance ? Et que fera-t-on si la Moldavie, la Biélorussie ou la partie russophone du Kazakhstan réclament leur rattachement à la Russie? Nous nous en mêlerons ? De quels droits ? Au nom de la stabilité de l’idée de nation ? Mais l’a-t-on imposé à la Tchécoslovaquie ? A la Yougoslavie ? Au Kurdistan irakien ? A Gaza ? S’y opposerait-on si le Québec décidait de son indépendance ? Et que ferait-on si la Wallonie demandait son rattachement à la France ?
Il est clair que lorsqu’une minorité ne se sent pas protégée contre les excès d’une majorité, elle a le droit de retrouver la maîtrise de son destin. (…)
Tout cela renvoie en fait à des vieilles histoires. L’Occident pense en fait ne pas refaire la même erreur qu’avec les Sudètes annexés en 1938, par Adolf Hitler, sous le prétexte que cette région de la Tchécoslovaquie était en majorité de race allemande. Louable remords. Mais il est trop tard pour refaire l’Histoire, et la situation d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle de 1938, mais à celle de 1919.
Et s’il y a un souvenir à avoir, c’est celui de ce à quoi a conduit la volonté d’humilier et d’isoler l’Allemagne après la première guerre mondiale : isoler l’Allemagne de Weimar en 1919 avec le tragique Traité de Versailles a conduit à l’avènement d’Hitler.
La confrontation actuelle ne mènera nulle part. Sinon à donner du sens à ceux qui prédisent depuis longtemps que la situation d’aujourd’hui pourrait bientôt ressembler à celle de l’immédiate avant-première guerre mondiale, quand un engrenage local absurde conduisit à une guerre mondiale. (…) Il ne faut pas répondre à des sanctions par des sanctions. Aujourd’hui dérisoires. Demain suicidaires. »
Bien sûr, on ne peut pas faire un parallèle exact entre la situation du Donbass-Lougansk et celle de la Crimée et le discours de Poutine revendiquant toute l’Ukraine est plus inquiétant. Mais ce qu’Attali nous invitait à faire, c’était se mettre à la place de l’autre: c’est toujours le pari de la paix.
Les propos de M. Attali sont extrêmement justes… Avec ce qui se passe actuellement entre la Russie et l’Ukraine, on peut s’interroger au sujet des intention de l’OTAN… Jusqu’où tout cela va-t-il aller ??