Il y a huit ans, notre article du 17 mars 2014 donnait des explications non partisanes sur la situation insurrectionnelle en Ukraine, suivi un mois plus tard de l’article reproduit suivant. Ces deux articles furent suivis d’un troisième reproduisant une analyse de la situation en Ukraine par le professeur David Mandel en villégiature tous ses étés sur place. On est loin de la propagande grossière qui s’étale dans les médias officiels. Un bref article par Gilbert Marcel y expliquait en outre comment l’inversion de l’oléoduc d’Enbridge et le projet de construction d’un autre par Trans-Canada Pipeline pour acheminer le pétrole des sables bitumineux vers les ports de Cacouna et de St-John avaient pour but de mettre fin à la dépendance de l’Europe à l’égard du pétrole et du gaz naturel russe. Rejeter toute la faute de la guerre en Ukraine sur Poutine est aussi implicitement dénoncé par un quatrième article expliquant comment les accords de Minsk étaient boudés par l’OTAN et le va-t-en guerre Harper. Voici le deuxième article, plus spécifiquement pacifiste :
Imaginons qu’il y a trois ans, l’armée et la police syriennes aient fait exactement devant les protestataires étudiants et démocrates ce qu’ont fait hier les tanks ukrainiens, REFUSER DE TIRER SUR LEURS COMPATRIOTES !!! Y aurait-il de nos jours près de 200 000 morts et trois millions de réfugiés dans ce pauvre pays dont revient aujourd’hui notre envoyé spécial, Amir Maasoumi, partisan de la Mussalaha, mouvement de réconciliation lancé par mère Agnès-Mariam-de-la-Croix ?La scène d’officiers ukrainiens, ayant reçu l’ordre de leur gouvernement putschiste de reconquérir l’Est russophone par la force, mais s’arrêtant pour discuter avec leurs compatriotes et refusant de les attaquer en abandonnant leurs armes, qu’elle est réconfortante pour un Québécois pacifiste ! Les dernières élections viennent, il est vrai, d’écarter le scénario d’un Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois : émettons le souhait que les officiers canadiens refuseraient aussi d’obéir à un tel ordre fratricide !
C’est ce qu’ont fait hier les officiers ukrainiens du 25e bataillon aéroporté de Dnipropetrovsk, dans le village de Kramatorsk, à 100 kilomètres au nord de Donetsk. Venaient à leur rencontre en cette fin du 16 avril plusieurs centaines d’habitants contre lesquels ils ont refusé d’ouvrir le feu, engageant plutôt le dialogue avec ceux que leur gouvernement de droite non élu avait qualifiés de « terroristes » et leur avait ordonné de contraindre par la force. La raison a prévalu. Et pourtant le Monde, plus militariste que jamais, accompagné par la fanfare propagandiste de la majorité des journaux occidentaux, qualifia sous la plume de Piotr Smolar cette non-violence d’« émasculation symbolique d’une armée en guenilles » et de « débandade déshonorante »… Ah ! l’honneur ! Que de crimes commis en ton nom.
Justement, de l’autre côté de la frontière, Poutine amasse des troupes pour sauver l’honneur de la Russie. Stephen Harper, lui, a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes. Tous deux ont exprimé le désir de garantir par leurs actions que les Ukrainiens ne se fassent pas massacrer en défendant chacun leur côté. Peut-on douter de leurs motivations nobles de paix, vu leurs discours belliqueux? Et leurs actions ? Poutine a annexé la Crimée en deux temps trois mouvements, Harper avait envoyé son ministre des Affaires étrangères John Baird manifester à Maïdan aux côtés des putschistes armés par les fascistes de Praviy Sektor.
Malgré tout, l’honneur diplomatique a du bon : à l’instigation de l’ONU, les ministres des Affaires étrangères d’Ukraine, de Russie, de l’Union européenne et des États-Unis (le Canada étant heureusement non convié !) se sont entendus au terme d’une réunion ce jeudi à Genève pour tenter d’empêcher l’escalade de la violence, car trois miliciens pro-russes venaient d’être tués en tentant un assaut contre une base de la garde nationale ukrainienne près de la mer d’Azov. L’attaque, menée par environ 300 assaillants (qui se qualifient pourtant d’« autodéfense » !), a été repoussée. Les séparatistes (vocabulaire familier chez nous) ont par contre pris le contrôle de l’administration municipale de Marioupol et de bâtiments officiels dans une dizaine d’autres villes de l’est du pays russophone.
La solution à cette crise qui pourrait encore hélas déboucher sur une guerre civile, semble de fédérer l’Ukraine pour que l’Est russophone ait suffisamment de pouvoirs pour garantir sa survie culturelle et économique et pour que l’État central à Kiev réussisse à diriger les destinées du pays sur une ligne dictée par la démocratie. Espérons que ses décisions n’incluront jamais l’affiliation à l’OTAN, dont on connaît la volonté hégémonique militariste appuyée par sa honteuse possession de bombes nucléaires…
Commentaires
Judi Richards – 1 juin 2014 à 3 h 59 min
J’aime bien que tu amènes le discours vers la politique de chez nous, avec l’allusion à un «Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois» ou «a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes». C’est comme ça que je suis interpellée à mieux saisir l’histoire qui se manifeste ailleurs. ….merci !
Jacques Lévesque – 20 avril 2014 à 7 h 56 min
Bonjour Pierre,
Je vois que tu suis ces événements avec autant d’attention que moi. Je suis impressionné de la précision avec laquelle tu soulignes un certain nombre de faits et d’événements.
Il est effectivement rassurant de voir que les Ukrainiens veulent éviter de s’entre-tuer. Leur comportement est certainement plus rassurant que celui des gouvernements étrangers qui s’en mêlent.
Amicalement
Jacques Lévesque
Dept. de Science Politique UQAM
Pierre Jasmin – 20 avril 2014 à 17 h 19 min
Jacques est trop humble pour nous avoir signalé qu’il est directeur de recherche au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES) où son expertise porte sur la Russie (et auparavant, l’URSS). Le site des Artistes pour la Paix est honoré par sa participation courte mais signifiante. Une simple recherche établit qu’en 1969, l’année suivant l’obtention d’un doctorat en études politiques de la Fondation Nationale des Sciences Politiques de Paris, Jacques devient directeur-fondateur du département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Professeur dans cette institution depuis lors, il a été membre du Conseil d’administration de l’UQAM, de son Comité exécutif et instigateur de la création de la Faculté de science politique et de droit dont il est élu doyen en 1999 (…).
Voici d’ailleurs ce que « notre meilleur éditorialiste du Québec » (avec Chapleau) en pensait, dont nous avions reproduit la caricature du DEVOIR. Hélas, la politique va-t-en guerre de Harper a été intégralement reprise par le gouvernement Trudeau et la ministre Mélanie Joly.
On vous signale sur le même thème que l’article de 2014, sans pouvoir le recommander vu qu’il émane de Moscou, l’article de Oleg Yasinsky dans Pressenza paru le 21 mars 2022 : Ukraine, chasse aux sorcières et autres histoires pour la presse oublieuse qui relate entre autres comment des dérives du pouvoir ukrainien, sous la pression de la guerre, qualifient de traîtres ceux qui favorisaient les accords de Minsk et viennent d’interdire le 20 mars, malgré la constitution ukrainienne, les onze partis politiques de gauche et d’opposition, ce qui mine la marge de manœuvre nécessaire pour favoriser une entente Zelensky-Poutine.
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