Il me semble à propos de rappeler les quatre niveaux de responsabilité que Karl Jasper distingue à propos du génocide des Juifs que l’humanité n’a jamais été capable de digérer : criminel, politique, moral et métaphysique. La responsabilité criminelleconcerne les actes directement criminels : tuer, torturer, violer… La responsabilité politique vient des citoyens qui restent passifs devant leurs gouvernants explicitement ou implicitement criminels. La responsabilité morale dépend de la conscience des personnes : plus nous sommes conscients, plus nous nous sentons responsables, alors que le plus souvent, les coupables ne se sentent pas responsables. La responsabilité métaphysique est en fait une brisure de solidarité dans le tissu de l’humanité, le préjugé pourtant insoutenable qu’une injustice survenant quelque part puisse ne jamais nous atteindre. L’idée étrange qu’une tumeur au foie est sans danger pour le cœur, la tête ou les poumons.

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Fusain de Pierre Lussier

Or, toute violence comporte tous ces acteurs : il faut un acteur du crime, une complicité politique (par exemple : la libre circulation des armes), une conscience morale endormie (les gens qui détournent les yeux) et surtout, une rupture de la solidarité humaine.

Dans le cas de l’Ukraine, un chiffre révélateur : la Russie a réalisé des profits records de 93 milliards d’euros par ses exportations de pétrole, de gaz et de charbon au cours des 100 premiers jours de l’invasion de l’Ukraine. Quelle complicité! Sans cette rupture de solidarité sous prétexte d’inconvénients jugés plus graves que la mort de milliers de personnes, la guerre serait déjà terminée. Et si la solidarité mondiale devant de telles agressions était un acquis, c’en serait fini de ces attaques injustifiables.

Et cela est vrai pour toute violence qui saute aux yeux, que ce soit auprès des autochtones, des femmes, des homosexuels, les tueries, l’extrême pauvreté, etc. La violence est d’abord le signe de la faiblesse du tissu de l’humanité. L’écologie en est certainement la preuve incontestable. Ensuite viennent la faiblesse de la responsabilité morale, puis le sommeil de la conscience éthique de laquelle découle la culpabilité politique et en bout de piste, survient la culpabilité criminelle.

Lorsqu’on comprendra qu’il faut inverser l’idée que nous nous faisons de la causalité du mal, lorsqu’on verra que le criminel est un acteur presque inconscient de ce qu’il fait parce que l’humanité (qui vit en chacun de nous) ne se sent pas assez responsable de sa propre intégrité, ce jour-là, les guerres seront du passé. Les problèmes psychiatriques produiront immédiatement une réflexion collective à propos de ce qui ne va pas dans notre culture et l’extrême pauvreté forcera l’économie à changer sa mécanique aveugle.