Guylaine Maroist, présidente des APLP, nous la présente :
Les Artistes pour la paix ont décidé de rendre hommage à une femme qui éveille notre conscience collective depuis près de 25 ans. Fabienne Larouche a écrit plus de 1200 heures de fiction pour le cinéma et la télévision. Vous connaissez très bien ses œuvres, comme Virginie, Fortier, Les Bougon, ou maintenant Trauma, Unité 9 et 30 vies, puisqu’énormément populaires elles sont regardées par toutes les couches de la société. C’est fascinant de penser qu’une personne peut parler à des centaines de milliers de personnes presque chaque jour depuis plus de 20 ans. C’est un énorme pouvoir d’influence. Presqu’autant que l’Église catholique à une certaine époque…
Heureusement pour nous, Fabienne Larouche nous parle surtout d’ouverture. À travers les quêtes de ses personnages, elle aborde les questions les plus controversées et nous permet de réfléchir et de faire progresser nos idées. Ses personnages parfois tordus développent notre compréhension de l’âme humaine et nous rendent plus tolérants. Son œuvre engendre plus d’empathie, plus d’humanisme et de paix.
Puis Pierre Jasmin nous explique certaines des raisons de cet hommage:
Dans la tradition bientôt trentenaire de nos Artistes pour la paix de l’année et celle plus récente de nos hommages qui a commencé il y a cinq ans, aucune récompense n’a jamais été décernée à un ou une artiste de la télévision: était-ce snobisme de notre part que l’art quotidien de la télé ait échappé à notre attention, surtout l’art de celle que nous récompensons aujourd’hui? Une nouvelle aux Artistes pour la Paix a eu comme première réaction de demander « peut-on donner une récompense d’artiste pour la paix à une pareille tête de cochon »? Justement, le travail pour la paix a besoin d’artistes de caractère, telle notre lauréate!
Il s’agit d’une artiste indépendante qui n’a pas peur de mettre en scène à la TV des pauvres, – on n’écrit plus ce mot, on écrit défavorisés -, toujours est-il que c’est chose rare, comme le souligne la revue l’Itinéraire, puisque toute la télé nord-américaine s’embourgeoise dans des histoires fabriquées d’amour glamour genre Occupation double en Espagne ou de détectives flamboyants avec voitures étincelantes et appartements de luxe. Non, l’artiste que je vais bientôt vous présenter s’attache aux relations humaines et à leur psychologie. Et lorsqu’elle s’aventure dans la satire, les pauvres se mettent alors à imiter les travers des riches magouilleurs, comme dans la série des Bougon, écrite en grande partie par François Avard, un des rares alliés des APLP. Je cite Pierre Falardeau à propos des Bougon :
Un jour dans le désert culturel canado-québécois d’expression francophone bilingue métissé d’interculturalisme de souche LasVégassienne sont apparus soudain Les Bougon, à mille milles de la culture duty free international du Cirque du soleil et de Céline Dion. Une bouffée d’air frais dans la platitude érigée en système par la télévision. Soudain il se passait quelque chose dans le vide intersidéral des médias tenus en laisse. C’était beau à voir : [l’émission] attaquait avec rage, systématiquement, les marchands de bonheurs désodorisé, les promoteurs de bien-être climatisé, « les dealeurs » de cochonneries à la mode, les vendeurs de bébelles inutiles, les crosseurs de Chambres de Commerce, les tripoteurs de commandites électorales.
Rappelons le travail de notre lauréate comme scénariste au cinéma dans le piège américain, avec son hypothèse oliverstonienne de mafia cubaine, film injustement négligé dans la commémoration télévisuelle cet automne du 50e anniversaire de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy.
Sélectionnée par les APLP pour ce prix Hommage avant (hum!) le prestigieux gala des International Emmy Awards du 25 novembre dernier, Fabienne Larouche fut,dans l’année écoulée, à la fois réalisatrice de Trauma, productriced’Unité 9 et scénariste de 30 vies. Nous lui rendons hommage d’abord pour souligner la présence constante de personnages féminins forts dans son travail, puisqu’elle est à nos yeux la digne successeure des féministes Lise et Sylvie Payette et de lapionnière du petit écran, Janette Bertrand, et surtout, par ses talents de dialoguiste, de la scénariste Mia Riddez, qui aurait célébré cette année son 100e anniversaire. Examinons les trois œuvres mentionnées :
– Trauma explore dans les hôpitaux les conflits éprouvés en relations humaines par des urgentologues ou chirurgiens dont les compétences exceptionnelles médicales sont hélas loin de s’appuyer sur des jugements équilibrés d’humanité. Par exemple, la directrice d’hôpital jouée par Pascale Montpetit (APLP 2010) est autoritaire de façon perverse, la chirurgienne jouée par Isabelle Richer s’est construit une carapace après une enfance marquée par le suicide de son père et les jeunes docteures de la série s’épivardent dangereusement jusqu’en Haïti. La série se démarque aussi à nos yeux par ses bandes sonores originales confiées récemment à Martha Wainwright, – chantant en français!-, à Ariane Moffat en 2012, année du printemps érable, et cette année 2014, à Béatrice Martin ou Cœur de Pirate.
– Unité 9 montre à travers un scénario signé Danielle Trottier les blessures de femmes en prison. Voici un exemple du courage de productrice de Fabienne Larouche qui n’a pas hésité à investir dans ce projet au départ hasardeux. Qui voulait voir des victimes de notre société (inoubliables prestations d’actrices par Micheline Lanctôt, Guylaine Tremblay, Céline Bonnier …), des losers qui ne trouvent la paix qu’en délaissant leurs hantises individuelles et en se solidarisant entre elles? Fabienne comme artiste n’a jamais peur d’explorer les conflits dans une perspective de progrès féministe, une piste exigeante qui a pourtant assuré à la série de trouver son public de façon éclatante, puisque les cotes d’écoute frôlent les deux millions et cela ne mesure pas la cote d’amour encore plus impressionnante!
– 30 vies, série où Dan Bigras APLP 2007 joue le rôle sur mesure d’intervenant auprès des jeunes itinérants et où Fabienne témoigne d’une écriture de qualité remarquable, véritable exploit pour une production d’une telle quantité, puisqu’il s’agit d’une quotidienne, comme l’était Virginie. Fabienne y présente divers destins de professeures – étonnante Mariloup Wolfe cet automne en enseignante en arts plastiques, Marina Orsini, Élise Guilbault et Karine Vanasse dans le passé – qui marquent de leur humanité les 30 vies adolescentes fragiles qui leur sont confiées. Portraits psychologiques se succèdent, explorant plusieurs détresses adolescentes : image corporelle de soi difficile jumelée à leur découverte de la sexualité, stress de réussir leurs études ou leurs idéaux, divorces de parents éprouvés économiquement, bitchages ou au contraire solidarités entre élèves, parfois décrochages et même suicides, bref, la vie réelle. Et cet hiver, on se retrouve avec Benoît Brière en un univers où islamisme et homosexualité interagissent, bref, Fabienne, t’as pas peur de t’mettre dans ‘marde’ mais tu en ressors toujours plus forte et plus belle et c’est pour ça qu’on t’aime, nous des Artistes pour la Paix!
En terminant, je dois confesser que mes enfants de quinze et treize ans ne manquent jamais un épisode d’Unité 9, leur émission favorite, que ma femme urgentologue – qui vient d’être nommée avant-hier directrice des services professionnels d’un grand hôpital universitaire du Québec qui fournit en outre des médecins en missions humanitaires en Haïti – ne rate pas un épisode de Trauma et qu’après avoir été au tout début de ma carrière professorale dans une école secondaire publique de Rivière-des-Prairies, je peste depuis une semaine contre les Olympiques qui me privent des épisodes quotidiens de Trente vies!
14 février 2014, chapelle Historique du Bon-Pasteur
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