La scène d’officiers ukrainiens, ayant reçu l’ordre de leur gouvernement putschiste de reconquérir l’Est russophone par la force mais s’arrêtant pour discuter avec leurs compatriotes et refusant de les attaquer en abandonnant leurs armes, qu’elle est réconfortante pour un Québécois pacifiste! Les dernières élections viennent, il est vrai, d’écarter le scénario d’un Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois : émettons le souhait que les officiers canadiens refuseraient aussi d’obéir à un tel ordre fratricide!
C’est ce qu’ont fait hier les officiers ukrainiens du 25e bataillon aéroporté de Dnipropetrovsk, dans le village de Kramatorsk, à 100 kilomètres au nord de Donetsk. Venaient à leur rencontre en cette fin du 16 avril plusieurs centaines d’habitants contre lesquels ils ont refusé d’ouvrir le feu, engageant plutôt le dialogue avec ceux que leur gouvernement de droite non élu avait qualifiés de « terroristes » et leur avait ordonné de contraindre par la force. La raison a prévalu. Et pourtant le Monde, plus militariste que jamais, accompagné par la fanfare propagandiste de la majorité des journaux occidentaux, qualifia sous la plume de Piotr Smolar cette non-violence d’ « émasculation symbolique d’une armée en guenilles » et de « débandade déshonorante »… ah! l’honneur! Que de crimes commis en ton nom.
Justement, de l’autre côté de la frontière, Poutine amasse des troupes pour sauver l’honneur de la Russie. Stephen Harper, lui, a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes. Tous deux ont exprimé le désir de garantir par leurs actions que les Ukrainiens ne se fassent pas massacrer en défendant chacun leur côté. Peut-on douter de leurs motivations nobles de paix, vu leurs discours belliqueux? Et leurs actions : Poutine a annexé la Crimée en deux temps trois mouvements, Harper avait envoyé son ministre des Affaires étrangères John Baird manifester à Maïdan aux côtés des putschistes armés par les fascistes de Praviy Sektor.
Malgré tout, l’honneur diplomatique a du bon : les ministres des Affaires étrangères d’Ukraine, de Russie, de l’Union européenne et des Etats-Unis se sont entendus au terme d’une réunion ce jeudi à Genève pour tenter d’empêcher l’escalade de la violence (le Canada était heureusement non convié). Car trois miliciens pro-russes venaient d’être tués en tentant un assaut contre une base de la garde nationale ukrainienne près de la mer d’Azov. L’attaque, menée par environ 300 assaillants (qui se qualifient pourtant d’ « autodéfense » !), a été repoussée. Les séparatistes (vocabulaire familier chez nous) ont par contre pris le contrôle de l’administration municipale de Marioupol (voir photo) et de bâtiments officiels dans une dizaine d’autres villes de l’est du pays russophone.
La solution à cette crise qui pourrait encore hélas déboucher sur une guerre civile, semble de fédérer l’Ukraine pour que l’Est russophone ait suffisamment de pouvoirs pour garantir sa survie culturelle et économique et pour que l’État central à Kiev réussisse à diriger les destinées du pays sur une ligne dictée par la démocratie. Espérons que ses décisions n’incluront jamais l’affiliation à l’OTAN, dont on connaît la volonté hégémonique militariste appuyée par sa honteuse possession de bombes nucléaires…
Pierre Jasmin
Vice-président des Artistes pour la Paix
Bonjour Pierre,
Je vois que tu suis ces événements avec autant d’attention que moi. Je suis impressionné de la précision avec laquelle tu soulignes un certain nombre de faits et d’événements.
Il est effectivement rassurant de voir que les Ukrainiens veulent éviter de s’entre-tuer. Leur comportement est certainement plus rassurant que celui des gouvernements étrangers qui s’en mêlent.
Amicalement
Jacques Lévesque
Dept. de Science Politique
UQAM
Jacques est trop humble pour nous avoir signalé qu’il est directeur de recherche au Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité (CEPES) où son expertise porte sur la Russie (et auparavant, l’URSS). Le site des Artistes pour la Paix est honoré par sa participation courte mais signifiante; sans sa participation, j’ai fait la recherche suivante.
En 1969, l’année suivant l’obtention d’un doctorat en études politiques de la Fondation Nationale des Sciences Politiques de Paris, Jacques devient directeur-fondateur du département de science politique de l’Université du Québec à Montréal. Professeur dans cette institution depuis lors, il a été membre du Conseil d’administration de l’UQAM, de son Comité exécutif et instigateur de la création de la faculté de science politique et de droit dont il est immédiatement élu doyen en 1999.
Membre de la Société Royale depuis 1982, en 1985, 1987 et 1989 invité comme expert-conseil auprès du Secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada, M. Joe Clark, il a témoigné à diverses reprises devant le Comité parlementaire des Affaires Extérieures du Canada et a été conseiller spécial à l’Ambassade du Canada aux Nations Unies, à l’automne 1984 et en juin 1988. En 1989, il devient directeur fondateur du CEPES déjà mentionné.
La France le fait chevalier de la légion d’honneur en 2000. Chevalier de l’Ordre national du Québec (2002), il devient membre de l’Ordre du Canada en 2004.
Il vient d’organiser le 10 avril 2014, à la Salle des Boiseries de l’UQAM remplie pendant ses deux heures, une conférence portant sur le sujet « avec l’annexion de la Crimée par la Russie, quel avenir pour l’Ukraine et l’ordre international européen ? ». Sa présentation y a brillé par sa clarté malgré la complexité du sujet, aidée par son ancien étudiant Yann Breault et par l’animateur chevronné Bernard Derome qui a eu fort à faire pour ordonner les questions d’une salle fébrile et frustrée par la couverture partiale des médias (et du professeur Dominique Arel de l’Université d’Ottawa?) sur ce sujet chaud.
J’aime bien que tu amènes le discours vers la politique de chez nous, avec l’allusion à un «Harper ordonnant à l’armée canadienne d’ouvrir le feu sur des civils indépendantistes québécois» ou «a envoyé ses CF-18, nos avions de chasse en Pologne et dans les pays baltes»
C’est comme ça que je suis interpeller à mieux saisir l’histoire qui se manifeste ailleurs.
….merci !