Nous proposons cette traduction de l’article original “Trudeau’s Nukes” par Yves Engler, publié sur le site web Counterpunch le 9 août. Merci à l’auteur pour son aimable autorisation. Traduction pour les APLP : Christian Morin

Chrystia Freeland, Justin Trudeau et Harjit Sajjan arrivent au sommet de l'OTAN à Bruxelles le 12 juillet 2018.

Chrystia Freeland, Justin Trudeau et Harjit Sajjan arrivent au sommet de l’OTAN à Bruxelles le 12 juillet 2018. Photo Tatyana Zenkovich/AFP/Getty Images.

Justin Trudeau se donne une image de progressiste en matière de politique extérieure. Selon lui, le Canada “est de retour” après des années désastreuses sous Harper. Sauf que leur politique nucléaire révèle le vide de leur discours.

Un gouvernement progressiste devrait consacrer ses efforts à réduire la possibilité de l’usage d’armes nucléaires. Mais comme certains alliés puissants du Canada s’opposent aux ententes de contrôle des armes, le cabinet Trudeau n’est pas intéressé par un monde “basé sur des règles internationales”, essentiel pour museler la menace nucléaire.

Les Libéraux ont voté contre les résolutions de contrôle des armes nucléaires de l’ONU, pourtant appuyées par une majorité de pays. À la requête de Washington, ils ont voté contre une importante initiative qui devait ostraciser puis criminaliser l’usage d’armes nucléaires. Ils ont refusé de se joindre aux 122 pays présents à la Conférence sur la négociation d’instruments légaux pour l’abolition des armes nucléaires en 2017.

Le mois dernier, la ministre des affaires étrangères suédoise Margot Wallström a tenu une réunion dans le but de revigorer les engagements pris par les pays adhérents aux TNP. La plus part de ces 16 pays y dépêchèrent leur ministre des Affaires étrangères, mais Chrystia Freeland n’y était pas, se faisant remplacer par la secrétaire parlementaire aux Affaires consulaires, Pamela Goldsmith-Jones.

OTAN, INF et ABM

Réduire ou éliminer la menace nucléaire ne figure pas dans la Politique de défense de 2017. Mais le document mentionne à plusieurs reprises l’engagement immuable du Canada dans l’OTAN. Selon les stratégies de l’OTAN, “les armes nucléaires sont au coeur même du déploiement de l’Alliance”.

Aux termes de l’OTAN, le Canada s’est engagé à participer à une guerre nucléaire si les frontières de l’un des pays membres étaient forcées. De plus, les règles de l’OTAN n’empêchent pas un membre de déclencher une attaque nucléaire de son propre chef. Le Canada fait partie du Groupe de planification nucléaire de l’OTAN et contribue en personnel et en moyens financiers au Directoire pour la politique nucléaire.

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Les chefs d’état-major des pays de l’OTAN. Ils ont l’air de bien s’amuser.

L’OTAN a déployé des armes nucléaires en Turquie. Pendant ce temps, le Canada blâme la Russie pour l’impasse dans le contrôle des armes et la déroute du traité INF, qui abolissait toute une catégorie de missiles. En avril, la directrice générale de la Politique de sécurité internationale d’Affaires mondiales Canada, Cindy Termorshuizen, déclara : “Nous enjoignons la Russie à revenir aux termes du traité INF”, mais il est loin d’être clair quels sont les termes du traité que la Russie enfreignait. Par ailleurs, l’administration Trump avait commencé à développer de nouveaux missiles à portée intermédiaire, interdites par le traité, et ce longtemps avant de se retirer officiellement de l’INF. Ces missiles seront déployés contre la Chine, qui n‘est pas partie prenante du traité INF.

En décembre, le Canada a voté contre une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU qui visait à “renforcer le respect des normes du traité INF par la Russie et les États-Unis”.

Lors du vote, le représentant canadien déclara : “la position de Moscou reflète son attitude aggressive envers ses pays limitrophes et au delà”. En fait, ce sont les États-Unis qui brisèrent leur parole en étendant les limites de l’OTAN en Europe de l’Est, en se retirant du traité ABM en 2001, puis en installant des systèmes de missiles “défensifs” près des frontières russes. Par ailleurs, des troupes canadiennes sont stationnées en Ukraine et en Lettonie dans le cadre de l’OTAN, ce qui n’est pas une démarche particulièrement pacifique.

Un pays anti-nucléaire, vraiment ?

Les Libéraux ont renforcé les ententes créées sous Harper sur l’exportation de réacteurs nucléaires vers l’Inde, même si celle-ci refusait de signer le traité NPT.Il faut dire que l’Inde a développé ses armes nucléaires à l’aide de technologies canadiennes. Le gouvernement Trudeau n’ose pas parler des missiles nucléaires détenues par Israel ou se prononcer en faveur d’un Moyen-Orient non-nucléaire. Il a exprimé son appui à l’accord nucléaire sur l’Iran mais n’a pas encouragé les efforts européens pour sauver le JCPA – et n’a pas rétabli les relations diplomatiques avec l’Iran, tel que promis.

Même si certain progressistes disent le contraire, le Canada n’a jamais vraiment été un pays anti-nucléaire. Dans les fait, si on classe les pays selon leur contribution à la course à l’armement, le Canada se place juste derrière les neuf pays détenteurs d’armes nucléaires. Par exemple, le Canada dépensa des dizaines de millions de $ dans la mise au point des premières bombes atomiques; les CF-104 Starfighters stationnés en Europe étaient équppés d’armes nucléaires; plusieurs types d’armes atomiques américaines furent positionnées en sol canadien, à un moment ou un autre.

Les gouvernements des années 70 à 90 se firent du capital politique sur la non-prolifération nucléaire. Trudeau père parlait “d’étouffer” la course à l’armement, même si les suites furent décevantes. Son fils, par contre, déclara : “on peut bien avoir des tas de gens qui discutent du désarmement, mais s’ils n’ont pas d’armes nucléaires, ça ne sert pas à grand chose de les écouter en discuter”. Il refusa aussi de féliciter Setsuko Thurlow, survivante d’Hiroshima, lorqu’elle accepta le Prix Nobel de la Paix en 2017 au nom d’ICAN.

Le gouvernement Trudeau ne démontre aucun intérêt, ni en paroles, ni en actions, envers la suppression de la menace nucléaire.