Se tenir debout et lire couché(e)s : deux plaisirs complémentaires

Le film Se tenir debout

se_tenir_deboutVersion originale internationale avec sous-titres français
v.o.inouk.s.-t.a. : So That You Can Stand
DURÉE :1h22
GENRE : Documentaire

Critique par Pierre Jasmin
Vu 2 fois le 13 mai 2016 à la Maison du cinéma à Sherbrooke, dont la 2e fois en présence du réalisateur Olle Gjerstadt, d’origine norvégienne, ami de Martin Duckworth.

SYNOPSIS

« Pour que VOUS puissiez vous tenir debout » (le titre traduit de l’inuktituk), il a fallu le combat acharné de onze activistes, clame ce film engagé du réalisateur Olé Gjerstad, d’origine norvégienne mais établi depuis longtemps au Canada où sa spécialité de tourner dans le Grand Nord a fait sa solide réputation.

Anthropologue de formation et ami de Martin Duckworth (Artiste pour la Paix 2002 et Prix du Québec 2015), le documentariste présentait son film en première dans sa version française, alors qu’il arrivait de Kuujjak où en deux jours, quatre projections à l’auditoire rempli avaient attiré presque toute la population du village qui s’est ralliée au film.

Et pourtant quarante ans plus tôt, ces jeunes activistes ont mené une lutte intense et neuf d’entre eux encore en vie sont interrogés par ce documentaire. L’un d’eux raconte que des années plus tôt, lorsque des Inuïts étaient allés chercher un appui chez le premier ministre conservateur Diefenbaker qui pourtant avait nommé le premier Amérindien au Sénat (James Gladstone), ils s’étaient fait renvoyer, puisqu’ils s’étaient présentés sans leur représentant attitré, l’évêque local, un blanc! La première image du film, éloquente, montre une église rustique du Nord en pleine brume, flanquée de son drapeau canadien (donc, post-Diefenbaker).

Au Québec, la Révolution tranquille, lancée par René Lévesque (dont le film ne mentionne même pas le nom, hélas), cherche à se poursuivre sous le gouvernement d’un très jeune Robert Bourassa qui a gagné ses élections de 1970 sur sa promesse de cent mille emplois, assurée principalement par plusieurs chantiers majeurs, en particulier le développement hydro-électrique de la Baie James. Hydro-Québec est représenté dans le film par M. Armand Couture. Des projets de barrages atteignent les terres inuït et menacent leur traditionnel mode de vie. Une première décision politique par les jeunes activistes sera basée sur un compromis (plusieurs autres le seront : voilà certes un enseignement) obtenu de justesse, lorsque le chef cri Billie Diamond retient par la manche Charles Watt, alors que le jeune inuït voulait quitter avec les siens l’Association indienne. Car en 1970, la population inuït au Québec de 4000 âmes (qui s’élèvera en 2010 à 12 000) a encore bien besoin des Cris pour faire valoir les droits ancestraux de sa population. Les femmes inuïts étaient alors soit interprètes, soit secrétaires, mais avec Mary Simon, elles en arriveront à occuper la moitié des places exécutives de nos jours.

Mais revenons à 1970 : le réalisateur Olé Gjerstad illustre la détermination d’une poignée d’Autochtones qui réussit à force de solidarité à enrayer l’injustice. Quel admirable portrait de ces jeunes en jeans, aux cheveux longs, fumant comme des cheminées, armés de guitares et de chants inspirés de Neil Diamond, engageant de jeunes avocats travaillants et inspirés. Car il en faut, de la résilience, lorsque leur première rencontre au bureau ovale du premier ministre Bourassa se solde par sa sortie en claquant la porte, disant « le projet va se faire et vous n’avez aucun droit ».

Grâce à 159 000$ prêtés par le ministère des Affaires indiennes de Jean Chrétien (qui leur conseille toutefois d’accepter trop tôt l’offre monétaire du Québec), les onze activistes décident de porter leur combat sur le plan juridique devant le juge Malouf, invitant beaucoup de leurs compatriotes, en particulier les aînés pour qui ils ont le plus grand respect, à venir expliquer leur attachement à la terre et à leur mode de vie menacé par les barrages. Bourassa est convaincu que le juge va les renvoyer au bout de quinze minutes d’audiences. Mais le 15 novembre 1973, le juge prononce l’arrêt des travaux. Ignorant la somme de travail et de témoignages qui a bâti l’argumentation du juge intègre Malouf (« moins blanc que les autres », ricane Billie Diamond), la Cour d’Appel ne met que six jours pour lever cet arrêt qui coûte un demi-million de $ par jour à Hydro-Québec, déjà fortement hypothéqué par le gigantisme sans précédent dans le monde des travaux. Mais rendez-vous est pris deux ans plus tard devant un autre juge pour que le Québec et l’alliance Nunavik-Nation Crie s’entendent.

RÉALISATEUR ET SCÉNARISTE : Olé Gjerstad
PRODUCTEUR : Bernard Lajoie
STUDIO DE PRODUCTION : Makivik Corporation, Les Studios Pascal Blais
DISTRIBUTEUR AU QUÉBEC : Chantale Pagé Consultation

Nunavik, les pérégrinations septentrionales de Michel Hellman

nunavik_hellmanPublié le 13/05/2016 22:01 EDT par Robert Laplante

« Comme on développe des atomes crochus avec des auteurs au fil des ans, on en développe aussi avec des maisons d’édition. Pour moi c’est Pow Pow et Mécanique générale qui parution après parution réussissent toujours à me surprendre grâce à un choix judicieux à la fois grand public, original, créatif et intelligent. Et encore une fois elles frappent dans le mille avec deux nouvelles parutions.

Explorateur urbain, anthropologue du Mile-End, Michel Hellman quitte sa douillette réalité «plateauesque» pour se ressourcer au Nunavik, ce territoire situé au nord du 55e parallèle qu’on nommait jadis le Nouveau-Québec. Aux prises avec le syndrome de la page blanche, après le succès de Mile-End [1], le bédéiste décide de partir à l’aventure, histoire de nourrir son inspiration d’une nouvelle réalité. Et l’inspiration Hellman espère la trouver à Kuujjuaq, Kangiqsujuaq, Kangirsuk et Puvirnituq, sympathiques bourgades aux noms pittoresques dans un pays sculpté par le froid, le vent, les glaciers, la toundra et la forêt boréale. Un territoire loin de nous, le tiers-monde dans l’opulente Amérique du Nord comme le souligne si justement un personnage que croisera le bédéiste dans ses pérégrinations nordiques.

À la fois carnet de route et récit anthropologique Nunavik est aussi le récit initiatique de sa découverte d’une réalité insoupçonnée ou occultée, à des années-lumière de la réconfortante quiétude de l’ancien village de Saint-Louis-du-Mile-End, loin, très loin du Boulevard Saint-Laurent, de St-Viateur, de Wilensky et de la faune branchée et «hipster» qui envahit ses rues depuis une dizaine d’années.

Avec son regard perçant et son sens de l’observation, Hellman propose des instantanés évocateurs de cette vie dans un nord isolé au cœur de l’immensité de l’impitoyable désert blanc. De courts instants de vie perçus à travers le prisme de son regard extérieur, celui du touriste qui peut, s’il le désire, repartir quand il veut vers le sud, même si le sud du nord, comme le chantait si bien Michel Rivard «ce n’est pas la Jamaïque, c’est Québec ou Matane ou le Nouveau-Brunswick

Avec une franchise étonnante, sans pudeur et artifice, Hellman explore les émotions qui l’habitent tout au long de son séjour, de l’enthousiasme – lors de sa découverte de sites archéologiques- au désenchantement d’un voyage qui refuse de se terminer – il est bloqué à l’aéroport en quête d’un vol qui ne part pas, gracieuseté des conditions climatiques extrêmes – en passant par l’étonnement de celui qui s’initie à une société aux codes sociaux différents et la joie de découvrir une population sympathique et accueillante.

Alors que plusieurs dessinateurs auraient été tentés de se servir du Grand Nord et de ses paysages à couper le souffle pour faire l’étalage de leurs qualités graphiques, Hellman opte, lui, pour un dessin simple, minimaliste, qui met l’accent avant tout sur les rencontres, les dialogues et la richesse de son récit. Ironiquement cette absence de grandiloquence graphique permet au bédéiste de créer un climat intimiste, une sensation de rapprochement, un lien d’identification avec le lecteur qui partage avec lui les mêmes vols, les mêmes hôtels, les mêmes cabanes, le même étonnement, la même angoisse face à la potentielle présence d’ours, le même agacement face à ces hordes de moustiques, véritables fléaux de Dieu et la même curiosité face aux Dorsétiens ce peuple qui a précédé les Inuits sur ce territoire ingrat.

À votre tour, laissez-vous aussi guider par le trait assuré de Hellman dans les sentiers septentrionaux et cabossés de Nunavik. Une belle découverte. »

Nunavik, de Michel Hellman, aux éditions Pow Pow


mile_end_hellman[1] Michel Hellman devait terminer un livre intitulé Mile End 2. Il s’est donc rendu à Kuujjuaq, Kangiqsujuaq, Kangirsuk puis Puvirnituk… pour revenir de son voyage avec un livre intitulé Nunavik.