Second film de Ruben Östlund à remporter la Palme d’Or (le premier The square attaquait en 2017 les prétentions élitistes de certains tenants de l’art plastique plus aptes à maîtriser le jargon que la matière), cette satire rate un peu sa cible éducative, vu que le public en général ne prendra pas au sérieux dans un tel contexte l’aspect des redoutables vérités assénées, et que celui des Artistes pour la Paix est déjà au courant de ces faits choquants que trois livres de Noam Chomsky cités au générique du film nous ont révélés, puisqu’il est un de nos (peu nombreux) maîtres à penser.
De plus, le format de satire est peu apte à faire réfléchir à la psychologie des personnages qui n’en sont que les jouets. Mais on peut profiter des enseignements donnés par les renversements de situations du film. Sa première partie présente une influenceuse jouée par la regrettée Charlbi Dean, avec son conjoint mannequin Harris Dickinson, montrant combien le standing est chose tangible dans notre société matérialiste.
Dans le second chapitre, les voici qui sont invités à rejoindre pour donner l’illusion de jeunesse une croisière de luxe aux employés formés à flatter tous les désirs d’une clientèle fortunée vieillissante, sur un yacht au capitaine alcoolique marxiste, joué avec sa désinvolture habituelle par Woody Harrelson. Impayables sont notamment un oligarque russe (joué par l’excellent Zlatko Buric) qui a bâti sa fortune en vendant de la merde (des engrais naturels) et un couple de milliardaires britanniques vantant « ses produits ayant assuré la démocratie dans le monde entier », c’est-à-dire grenades et autres produits militaires qui ont contribué à leur richissime fortune, quoiqu’ils regrettent encore que la calice d’ONU leur ait fait perdre le quart de leur fortune en interdisant les mines anti-personnel en certains pays.
Le festin du capitaine culminera en un mémorable festival du vomi déjà exploré par la grande bouffe de Marco Ferreri. La troisième partie prévisible, qui a sûrement contribué à baptiser le film en anglais Triangle of Sadness, voit certains survivants s’échouer sur une île déserte où c’est la débrouillardise prolétaire de l’employée chargée de l’entretien des toilettes du yacht qui assure et leur sécurité par une embarcation de secours, et leur nourriture par son habileté à pêcher et à faire des feux, amenant un renversement des hiérarchies parfois surprenant, y compris d’un point de vue féministe.
Bonsoir ami Pierre. Certains extraits de ton texte rappellent aussi l’excellent « Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été », de la regrettée Lina Wertmüller.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vers_un_destin_insolite_sur_les_flots_bleus_de_l%27%C3%A9t%C3%A9