22 octobre 2014, 17 heures environ
Voici le message rapidement assemblé par l’exécutif restreint des Artistes pour la Paix (présidente et vice-présidents) envoyé aux cinq partis représentés à Ottawa mercredi dès 17 heures, ainsi qu’à divers médias. Nous trouvons pertinent de le coiffer de la photo du jeune réserviste canadien de Hamilton pris en photo par l’amie d’une admiratrice, quelques minutes avant son assassinat.
Les Artistes pour la Paix se déclarent horrifiés que des forcenés, mus semble-t-il par une pulsion de mort associée au fanatisme islamiste, aient trouvé la mort qu’ils recherchaient, non sans avoir hélas causé deux victimes militaires canadiennes en trois jours : la première, morte à Saint-Jean-sur-Richelieu en début de semaine, la deuxième agressée devant le cénotaphe, le monument aux morts de toutes les guerres (qu’on voit sur la photo). Nous adressons nos sincères condoléances à leurs familles et collègues.
Le Parlement canadien a aussi été la cible de coups de feu, ce qui constitue une autre attaque inadmissible contre la démocratie, qu’il faut défendre : c’est pourquoi nous exprimons d’abord notre solidarité avec le gouvernement Harper et les corps policiers dans leurs efforts de protéger la population. Il a toujours été clair pour nous qu’il valait mieux accorder des fonds à la GRC et au Service Canadien du Renseignement de Sécurité, plutôt que de gaspiller des centaines de milliards de $ sur des engins militaires tels les F-35 et les drones pour exporter nos guerres, dont les conséquences nous éclaboussent ensuite.
Il y a exactement trois semaines, dans notre message aux cinq partis siégeant à Ottawa, nous avions écrit sans du tout prévoir les déplorables événements actuels : « la violence engendre la violence ». Nous avons depuis plaidé la modération à des blogueurs condamnant sans nuances le processus qui a amené le gouvernement du Canada à autoriser des frappes armées contre le soi-disant État Islamique en Irak, en leur demandant de dialoguer pacifiquement avec ceux et celles que la population a élus comme ses représentants. C’est la voie choisie par les Artistes pour la Paix, auprès d’un éventail de députés, quitte à privilégier l’opposition à Ottawa (Partis Vert et Libéral, NPD et Bloc) et à l’Assemblée Nationale (Québec Solidaire et Parti Québécois) face aux lobbys pétroliers aux visées guerrières favorisés par le parti conservateur, la CAQ et le parti libéral du Québec.
Coïncidence, la toute jeune Malala Yousafzai recevait au pays aujourd’hui la citoyenneté honoraire canadienne pour avoir avec constance et au péril de sa vie (elle a reçu une balle dans la tête!) vanté les mérites de l’éducation, comme moyen de contrer les délires religieux sexistes et violents. Nous en avions fait notre modèle d’action héroïque en 2013, avant même qu’elle soit choisie co-lauréate du prix Nobel de la Paix 2014. Les Artistes pour la Paix ont en vain tenté de persuader le ministre Chris Alexander de les inviter à la cérémonie de Toronto d’aujourd’hui, en l’honneur de celle qui a aussi dénoncé les drones terroristes utilisés par les USA au Pakistan : voir notre 2e article à son sujet http://artistespourlapaix.org/?p=3673.
L’exécutif des APLP vous redit Peace!
Le lendemain de ce courriel, nous avons reçu un message inspirant de Michel Duguay, professeur à l’Université Laval, qui après avoir mené le combat contre la centrale nucléaire de Gentilly, vient de monter un dossier sur les drones que je l’ai invité à présenter à la réunion annuelle de Pugwash à Toronto.
Soulignons en début de semaine la sortie du ministre de la santé, M. Gaétan Barrette, qui a tenu à se distancer de ses collègues favorables à l’intervention militaire: logique pour un ministre de la Santé!
Autrement, notre courriel a obtenu peu de réponses. Au moment où les Conservateurs poursuivent leurs offensives avec une indécente ardeur renouvelée, se permettant même de se moquer d’Élizabeth May et de son juste diagnostic sur les souffrances morales du jeune tueur, l’article suivant a paru dans rabble.ca qui m’a semblé si pertinent (malgré son pessimisme contre lequel mon statut d’artiste lutte grâce à l’aide de collègues inspirés), que je me suis attelé séance tenante à sa traduction. Voici l’article :
Réflexions sur un jour violent à Ottawa
Par Matthew Behrens, 23 octobre 2014, traduction et mise sur le site par Pierre Jasmin
Version originale accessible avec d’autres opinions très valables sur
http://rabble.ca/columnists/2014/10/reflections-on-violent-day-ottawa
« J’ai pas mal de difficulté à ressentir quelque empathie avec le Premier ministre Harper. Mais quand j’ai vu hier sa déprimante image au téléphone, au sortir de son confinement dans un endroit sous clé de la Chambre des Communes, j’ai senti en lui une vulnérabilité qu’il ne montre que rarement. Harper, comme ses camarades députés, comme les employés parlementaires, les médias, les visiteurs et les enfants dans la garderie du sous-sol, s’était en effet barricadé derrière des portes closes, sans aucun doute traumatisé par l’entrée d’un tireur au Parlement. Chacun, cible potentielle, ne savait après qui il en avait. Pour une demi-journée, tout ce monde enfermé a ressenti peur, désespoir, tristesse et fragile sens de mortalité, sentiments que la population en Irak et en Syrie ont expérimentés tous les jours pendant au moins une décennie et qu’ils expérimenteront avec un degré supplémentaire sous les bombes des CF-18 canadiens.
C’est le genre de traumatisme qu’on ne souhaite à personne, et j’espère que tous ceux qui en ont été affectés recevront des conseils pour affronter le Trouble de Stress Post-Traumatique ainsi que sa cure thérapeutique nécessaire, du genre dont nos vétérans militaires se voient trop souvent privés quand ils reviennent de mission. Du genre dont la population afghane a souffert pendant 13 ans de bombardements canadiens (un milliard de balles canadiennes!), de raids nocturnes, de transferts vers la torture sans compter les quotidiens traitements indignes que procure une occupation militaire. Bref ces Parlementaires avec le pouvoir de déclarer la guerre – et d’envoyer quelqu’un d’autre la faire à leur place – ont ressenti, d’une façon relativement restreinte, ce que des millions ressentent, dans les peuples soumis à une guerre quotidienne. L’image de John Baird ou de Jason Kenney recroquevillés dans un bureau barricadé a dû présenter un contraste saisissant avec la manière crâneuse et macho avec laquelle ces hommes ont incité à déclarer la guerre à l’Armée Islamique et à raviver les flammes de la peur et de la haine face aux musulmans.
Une violence inopinée?
Rendons grâces que la plupart des otages de la violence d’hier au Parlement aient pu retourner à leur chaude maison avec douches, accès ininterrompu à l’électricité, réfrigérateur plein et la conscience que l’horreur vécue avait peu de chances de se répéter demain, ni quatre ou cinq fois dans le mois suivant, ni périodiquement pour le reste de leurs vies. Mais si c’était arrivé en Irak, cette sécurité relative ne serait nullement garantie, en partie à cause du rôle du Canada qui a contribué à détruire l’économie, l’électricité et l’accès à l’eau potable et à un système de santé de cette nation, d’abord par un bombardement intensif en 1991, par une mise en place de sanctions brutales qui ont tué un million d’Iraquiens et par la participation canadienne à l’invasion de 2003 à l’aide (!) d’armes, d’équipements électroniques et techniques, de personnel de marine, de troupes alliées et de militaires de haut-rang. N’est-ce pas des prisonniers torturés en Irak qu’ont émergé plusieurs chefs de l’Armée Islamique?
Le meurtre tragique d’un jeune réserviste canadien et la fusillade au Parlement en ont choqué plusieurs comme un événement soudain et inattendu. De même, sur une base quotidienne dans les zones tribales du Pakistan et d’Afghanistan, au Yémen et en Somalie, des enfants à l’école, des célébrants de mariages et d’autres individus et familles ont été soudainement tués, victimes d’un missile Hellfire expédié d’un drone opéré à distance et équipé probablement d’une caméra ciblante construite au Canada, gracieuseté de Wescam L-3 à Burlington en Ontario.
Ce que les médias décrivent comme le 9/11 du Canada rappelle les commentaires d’il y a un demi-siècle par le grand Malcolm X, selon qui l’assassinat du président Kennedy était un cas de « poulets revenant à la maison pour être rôtis », le résultat d’un « climat de haine» nourri par l’establishment corporatif renversant régulièrement des gouvernements et assassinant (ou complotant en vue d’assassiner) un assortiment de chefs d’état, de Patrice Lumumba à Fidel Castro. À l’époque, on a diffamé Malcolm X pour avoir dit la vérité, une vérité que les Américains n’étaient pas préparés à accepter, tout comme beaucoup de Canadiens aujourd’hui.
En effet, combien de Canadiens à la lecture de ce dernier paragraphe reculeront en se disant « ce sont eux, pas nous »? Et pourtant le son horrible des détonations au Parlement a dû sembler une pâle copie des premiers moments du renversement (appuyé par le Canada) du gouvernement chilien élu de Salvador Allende en 1973, un des nombreux renversements auxquels le Canada a prêté main forte (dont ceux plus récents au Honduras, en Égypte et en Haïti, etc.). Une journaliste canadienne s’est étouffée devant l’incongruité de devoir être escortée par un commando SWAT dans les couloirs du parlement où elle travaille, alors que ses collègues de tant de pays y sont obligés chaque jour par nos politiques étrangères canadiennes.
Mais plutôt que de considérer les tragiques événements d’hier comme un signal de réveil nous forçant à réexaminer le rôle négatif du Canada sur la scène mondiale et l’inévitable « climat de haine » auquel nous contribuons, nous voilà embarqués sur l’Express Platitude, enclenché dès les premières minutes après le sifflement des premières balles.
L’Express Platitude
Les incessantes références à la « perte d’innocence » ou les répétitions que « les choses ne seront plus jamais les mêmes » (spécialement dans « les halls sacro-saints » du Parlement), on assiste à la valorisation mythique d’une machine d’amour-propre en plein délire. Ce climat n’augure rien de bon. Les événements d’hier seront utilisés comme tremplins vers une plus grande militarisation de la culture nationale et une justification de guerres sans fin contre l’AI ou l’ASIL ou tout autre ennemi-du-jour adéquat. Cela nous mènera à de continuelles augmentations du budget militaire, en dépit du fait que le Département de la Guerre devait faire face à 2 milliards de $ de coupures. Les guerres en Ukraine et en Irak – dont les coûts sont gardés secrets sans trop de protestations – vont aisément en représenter le double. Les événements d’hier vont être utilisés pour attaquer quiconque questionne le rôle du Canada en des guerres présentes et passées.
De nouvelles lois répressives
Les événements d’hier auront probablement un impact réfrigérant sur des Parlementaires ayant vécu un traumatisme commun. Mercredi était censé représenter l’opportunité pour le gouvernement Harper de déclencher une nouvelle ronde de mesures législatives pour donner au SCRS et à la Gendarmerie Royale du Canada la “liberté” d’échanger des informations avec des bourreaux, de téléguider des surveillants à l’étranger, de participer à des programmes suspicieux et d’échapper à toute poursuite et questionnement par des cours martiales ou publiques, vu la création d’une classe privilégiée d’agents et informateurs. Car après une telle journée, quel chef d’opposition voudra présenter une image premièreministrable qui refuserait un tel agenda? Les Conservateurs vont sans aucun doute entonner le refrain familier « soit vous êtes avec, soit vous êtes contre les terroristes! »
Les impacts immédiats les plus sévères seront ressentis dans certaines communautés ciblées par le profilage racial ou religieux. Tandis que les soldats canadiens ont reçu l’ordre de rester à l’intérieur ou de ne pas se présenter en uniforme en public, des individus de communautés sud-asiatiques ou moyen-orientales, et toute personne musulmane ou perçue musulmane, y penseront à deux fois avant de se montrer en public. Ces communautés vont faire l’objet d’exigences, de la part des médias et de « leaders de ces communautés », à expulser de leurs rangs les personnes radicalisées, à signaler les comportements « suspicieux » (indéfinis) et à dénoncer leurs voisins au SCRS et à la police montée. Ces gens vont avoir davantage de difficulté à voyager et expérimenteront au premier chef le Programme de Protection des Passagers (avec des listes secrètes d’interdiction de vol). Notamment parce qu’avant de savoir grand-chose à propos du tireur, les médias ont vite affirmé que même s’il était canadien, il était d’héritage maghrébin et récemment converti à l’Islam. Ces facteurs, sans doute sans grand rapport avec sa souffrance personnelle, font partie du discours quotidien anti-terreur qui ne réfléchit jamais aux conséquences.
Interrogations légitimes à venir
Mon collègue Glenn Greenwald (célèbre pour sa collaboration avec Edward Snowden) a résumé les faits (voir http://rabble.ca/news/2014/10/after-13-years-war-canada-shocked-terrorist-attacked-its-soldiers) en posant la question pourquoi le Canada, une nation en guerre depuis treize ans et plus, ressent un tel état de choc à l’idée que quelqu’un puisse (même de façon injustifiée) réagir agressivement. Mais citoyens d’un pays capable d’infliger des guerres sans jamais en avoir souffert au même titre que la Russie, la France et surtout la Syrie et l’Irak, nous nous sommes crus à l’abri des conséquences de nos actions, émoustillés par une mythologie nous faisant porter fièrement le drapeau canadien sur nos packsacs lors de nos voyages en Europe.
À la fin de la journée d’hier, Harper s’est adressé à la nation, son discours inchangé du ton belliqueux emprunté la semaine précédente pour entrer dans la gorge des Parlementaires un vote pour endosser les bombardements en Irak et en Syrie : « le Canada ne sera jamais intimidé… redoubler nos efforts… sauvagerie… terroristes… pas de port de salut ».
Après cette longue journée concentrée de douloureux événements dans la capitale nationale, je m’interroge si cette expérience directe de peur et de traumatisme nous forcera à réexaminer notre propension à la violence comme prétendue solution aux conflits. La journée d’hier ne devrait-elle pas donner l’occasion de réfléchir à nos propres contributions insidieuses au climat de haine et à nous désengager de notre culture de plus en plus militarisée?
28/10/2014 Le texte énonçant notre position exécutive et l’article de Matthew Behrens ont suscité pas mal de réactions positives, et nous vous en remercions, mais aussi deux négatives, en apparence diamétralement opposées; l’une nous reprochant d’utiliser une photo de militaire, symbole de ce qui est « contraire à la paix »; l’autre voyant en l’article que j’ai traduit une analyse politique à l’opposé des « valeurs canadiennes » pour lesquelles notre armée se bat.
J’ai parlé d’apparence opposée, car ces opinions se rejoignent, selon moi, dans une vision qui semble manquer de compassion. D’une part, manque terrible de compassion pour une victime innocente, le caporal Cirillo, à cause d’une carapace idéologique. D’autre part, et je m’engage sur un terrain glissant, une compassion étriquée, à l’image de la cérémonie de ce midi à Hamilton à Radio-Canada, où un aumônier militaire exprimait sa reconnaissance aux musulmans qui ont tenu à se dissocier des meurtres commis la semaine dernière, mais, tout en déclarant du même souffle que « tuer au nom de Dieu est une aberration« , se disait fier de son rôle d’accompagnement des soldats canadiens en mission guerrière! Une compassion étriquée où à cette même émission, Patrice Roy se déclarait ému à la vue du fils de cinq ans du caporal, déclarant sa peine à l’égard de tous les fils de nos militaires morts en mission, et cela se comprend vu qu’il a survécu à un attentat en Afghanistan qui a coûté la vie à un père de famille à ses côtés.
Mais pourquoi la compassion de tous les journalistes interviewés ne s’étendait-elle pas aux enfants dont les pères ont été ou seront tués par des bombes canadiennes? Dans le fond, pourquoi nos deux interlocuteurs ne se rendent-ils pas compte que leur compassion à usage limité est propice à perpétuer les guerres? PJ
Comme le texte de Matthew Behrens mérite la traduction de Pierre Jasmin! Car il semble bien que cet homme ait raison: notre gouvernement répondra à la violence par la violence et justifiera ses actions militaires plutôt que d’en appeler au retrait du Canada dans cette guerre si lointaine qu’elle nous paraît abstraite et immatérielle.
Nous devons avoir une pensée pour toutes les personnes qui subissent un climat de guerre et relativiser l’importance des actes isolés commis chez-nous. Nous devons conserver un regard critique devant le traitement médiatique de nos journaux nationaux: les mots impressionnent et dramatisent et, contrairement à Behrens, ne comparent pas la situation de nos dirigeant-e-s à celle des populations civiles fortement en péril là où ont lieu les conflits.
Merci, Pierre, de nous faire connaître ce texte, ainsi que le vôtre naturellement.
Pascale Camirand
Bon matin Pierre,
Tu m’as invitée en privée à réagir à ton dernier commentaire datant du 28 octobre, commentaire où tu nous informes des réactions négatives qui ont suivi la parution de cette page Web.
Je retiens de ce dernier commentaire les deux questions que tu te poses:
« Mais pourquoi la compassion de tous les journalistes interviewés ne s’étendait-elle pas aux enfants dont les pères ont été ou seront tués par des bombes canadiennes? Dans le fond, pourquoi nos deux interlocuteurs ne se rendent-ils pas compte que leur compassion à usage limité est propice à perpétuer les guerres? »
J’aimerais tenter une réponse à tes deux questions. Je crois que les réponses celles-ci pourraient se trouver du côté de l’origine de ce genre de discours. Et son origine tient dans une logique politique que Bush a fortement utilisée: il y a les bons et il y a les méchants, il y a le bien et il y a le mal. C’est-à-dire que dans les conflits armés les personnes qui sont de notre côté sont les bons et ces bonnes personnes se doivent de combattre un ennemi qui lui est nécessairement du côté du mal.
Ce que j’appelle ici une « logique politique », et c’est une expression peut-être maladroite, est aussi une certaine façon, très ancienne, de se représenter la moralité. Une façon aussi ancienne que les civilisations monothéistes et patriarcales.
Pour sortir de cet enfer millénaire de la lutte entre le bien et le mal il faut se dégager d’une emprise religieuse et considérer que l’ennemi est un frère. Rappelle-toi la lettre de Camus à son ami Allemand. Peut-être l’as-tu lue il y a longtemps, au temps de la guerre d’Algérie. Camus voyait en l’Allemand non un ennemi mais un ami, et il lui tendait la main. Camus a cherché la conciliation des points de vue en Algérie: il ne se voulait pas pro De Gaule; il ne se voulait pas pro FLN. Il voulait que, des deux côtés, ont regarde la haine comme un sentiment à ne pas nourrir et cultiver.
La politique et le militarisme, la politique et le journalisme, seront toujours du côté de la haine de l’autre, tant et aussi longtemps que l’on trouvera du sens à départager le bien et le mal, à croire qu’il y a d’un côté les justes et de l’autre les mécréants, les impies, les barbares, les maniaques, les fous.
Voilà, en bref, un début de réponse à tes questions. Je dis un début de réponse car il y a des morales et des éthiques qui se situent dans une autre logique que celle du bien et du mal. Et ces morales ou ces éthiques, qu’on les disent humanistes, pacifistes, féministes, etc, ont en commun de voir chez chacun de nous un ami, une amie, peu importe ses croyances religieuses, peu importe sa folie ou son fanatisme. Pour ces morales et ces éthiques, l’autre est aussi humain que soi.
Est-ce que je réponds un peu à tes questions ? Souhaiterais-tu que ma réponse apparaisse sur le site ?
Pascale
Quelques éléments de réponse (bien sûr partiels):
– ce qui se passe loin ne nous touche généralement pas vraiment (sauf si les médias en font un « événement », comme les 33 mineurs chiliens). Exception: les énormes ou spectaculaires pertes humaines, comme le tsunami de décembre 2004, ou les « Acts of God » dont les victimes ne peuvent être associées à autre chose que des « innocents ».
– ce qui se passe chez nous est monté en épingle (même les « faits divers ») parce que, selon les médias qu’on a, ça devrait nous toucher (ou « être accrocheur » pour leurs clients).
– il est extrêmement difficile, pour toute collectivité, d’être critique à l’égard d’elle-même: a priori, « nous » sommes toujours les bons et les justes (forcément!) et « ils » (les autres avec qui nous sommes en désaccord) ne peuvent donc qu’être les « mauvais » (ceux qui ont tort).
– tant qu’on n’est pas « touché » personnellement par une situation (parce qu’on a vécu dans ces pays, ou parce qu’on connaît quelqu’un là-bas, etc.), la plupart des situations lointaines demeurent abstraites (comme un « jeu vidéo »): il est à peu près impossible d’éprouver spontanément de la compassion pour des « chiffres » (35 morts, 223 tués, etc.).
– curieusement, on risque plus d’être touché par UNE personne (victime) que par un grand nombre (c’est l’aspect « people » de la nouvelle): le cas de TELLE femme emprisonnée et condamnée à mort va mobiliser davantage que la nouvelle selon laquelle 50 syndicalistes ou membres de telle minorité religieuse ont été condamnés; de même la décapitation d’un otage bien identifié (surtout s’il est, en plus, occidental) va nous bouleverser beaucoup plus que la décapitation de 22 Saoudiens (qui ont l’inconvénient d’être non identifiés, de n’avoir pas été annoncés à l’avance et, surtout, de faire partie « d’eux » et non pas de « nous »).
– la plupart des médias (comme institutions) reflètent forcément les valeurs « communes » ou dominantes d’une société (et ce, sans égard aux vues du propriétaire); des individus (journalistes ou chroniqueurs) peuvent avoir des idées plus critiques ou marginales, mais ça ne se reflétera normalement pas dans les priorités du média (choix des nouvelles, mise en page, éditorial, etc.)
– les médias et l’opinion publique, c’est « l’oeuf et la poule »: les médias jouent un rôle certain dans la « fabrication du consentement » (pour reprendre le terme de Chomsky)et de l’opinion publique; et tant que l’opinion publique ne sera pas majoritairement d’une opinion contraire, les médias ne changeront pas leur position sous prétexte que « c’est ce que leurs clients demandent ».
– pour que les médias embarquent dans une mobilisation (et donc contribuent eux-mêmes à la renforcer), il faut que la cause fasse DÉJÀ l’objet d’un vaste consensus social (et donc soit devenu ou en voie de devenir une « idée dominante » dans la collectivité à un moment donné). Deux exemples récents: l’opposition à la guerre en Irak en 2003, qui était tellement « partagée » au Québec, toutes catégories de population confondues, que les journalistes (y compris à Radio-Canada) n’hésitaient pas à signaler abondamment les manifestations d’opposition; l’opposition au gouvernement Charest au printemps 2012 et la mobilisation contre les changements climatiques qui ont culminé dans la manifestation monstre du 22 avril pour le Jour de la Terre.
– bref, les médias ne sont (en général) pas plus « avancés » que la population en général: la guerre et l’armée demeurent des « valeurs canadiennes » (et québécoises, dans une moindre mesure) largement partagées dans la population et c’est, malheureusement, ce que nous reflètent chaque jour les choix (et le vocabulaire utilisé) des médias.
– il nous faut donc continuer, patiemment, de travailler à faire évoluer les mentalités et les valeurs (aussi bien de la population en général — le plus important, car ultimement, c’est l’opinion publique qui élit les politiciens et dictent les choix des médias– que de nos contacts ou alliés dans les médias et des politiciens et décideurs en particulier).