Jusqu’à la fin (à quatre-vingt-treize ans!) de son professorat à l’UQAM, Pierre Dansereau marchait depuis Outremont jusqu’à son bureau et parfois même, retournait à pied après dix-sept heures. Chaque année après 1991, il m’invitait à manger, un midi, pour que je lui parle des divers dossiers de paix. Je l’ai revu il y a quatre ans chez lui, ayant abandonné, à cause de sa difficulté de se concentrer, le projet de terminer sa biographie dont il m’avait dédicacé une copie du tome 1. Mais il était heureux, auprès de sa Françoise bien-aimée (76 ans de vie mariée commune et ils se connaissaient depuis 85 ans!), tous deux pris en charge avec sollicitude par leur nièce Marie. Avec eux trois, j’avais passé des vacances inoubliables en Gaspésie (cf. les notes de mon CD-UQAM Bach) où Pierre, apôtre de « l’austérité joyeuse » – ancêtre de « la simplicité volontaire » de Serge Mongeau et de la chanson « que le strict minimum » de Domlebo, que vous connaîtrez bientôt -, m’entraînait en de longues promenades où il m’identifiait chaque plante sur le chemin et on courait tous deux comme des gamins sur la plage de Coin du Banc, lui à quatre-vingts ans dans une forme que bien des quadragénaires lui auraient enviée!
Le Devoir a monté un superbe dossier de six pages sur le personnage à qui une quinzaine d’universités ont décerné des doctorats honorifiques et dont Louis-Gilles Francoeur a bien saisi l’essence, dans son article du 30 septembre et dans une longue entrevue à l’émission du samedi de Joël Le Bigot, citant l’incontournable citation suivante :
«Le Québec ne rêve plus de devenir une société modèle: voilà son problème d’environnement. Il n’est plus tiré en avant par un grand projet comme au temps de René Lévesque. Un climat de morosité s’est installé, de repli sur soi, de chacun pour soi, qui devient une menace pour bien des espèces. En matière de gestion des richesses naturelles, le premier obstacle, c’est d’accepter l’ordre établi, celui qui permet à chacun d’empocher salaire et profits, comme s’il s’agissait d’une loi immuable, sans penser aux conséquences. Et en faisant de moins en moins de place à ceux qui voient la société de façon créatrice, chercheurs et artistes.»
Car Pierre croyait en l’interdisciplinarité des savants avec les artistes. La collaboration des Artistes pour la Paix avec l’Institut des sciences de l’environnement et de son infatigable directrice Louise Vandelac a ainsi donné en février 2008 la première conférence québécoise du troisième millénaire contre les bombes et l’énergie nucléaires, rassemblant le groupe Pugwash et les Professionnel-les de la Santé pour la Survie mondiale dévoilant les résultats alarmants des nouvelles méta-analyses allemandes et américaines. Peu de temps après, nous fondions le collectif Sortons le Québec du Nucléaire, si bien animé par Michel Duguay, professeur à l’Université Laval et docteur en physique nucléaire de Yale.
« Doit-on s’étonner, s’exclame Louise Vandelac qui m’avait invité avec MM. Brunet et Francoeur pour rendre hommage à Pierre lundi le 3 octobre à l’Institut, « que des expériences novatrices comme l’Institut et les APLP, héritiers fidèles de l’idéal Dansereau, soient si peu supportées, voire menacées ? Le moment est pourtant bien mal choisi, quand la guerre se transforme désormais en écocide sans frontières et quand l’ampleur croissante et inégalée de la crise écologique exige toute la vitalité d’une généreuse et audacieuse intelligence collective, ouverte et intégratrice des arts et de tous les savoirs, dont Pierre Dansereau s’était fait l’éloquent prophète ».
Pierre Jasmin Vice-président APLP
Bonjour Pierre,
Je viens de relire le bel hommage que tu avais écrit in memoriam de Pierre Dansereau. Alors que je travaille sur le programme de notre Semaine Pierre Dansereau, je me dis qu’il faudrait mettre quelques questions à l’agenda:
Qu’est-ce que Pierre Dansereau aurait dit face à notre fleuve qui est menacé de devenir l’autoroute du pétrole?
Qu’est-ce que Pierre Dansereau aurait dit de l’entende Canada-Québec à propos de notre pseudo-prospérité?
Où est la « société modèle » dont on rêvait?
« En matière de gestion des ressources naturelles, le premier obstacle, c’est d’accepter l’ordre établi », voilà ce que je retiens de lui, et ce qui m’inspire à continuer la lutte.