Le Musée canadien de la guerre, dit musée national d’histoire militaire du Canada, inaugurait jeudi le 30 mai 2013 à Ottawa Paix – L’exposition. One can read the english version of this article on www.pugwashgroup.ca.
Il ne manque qu’un E majuscule à exposition, pour boursoufler davantage une appellation si naïvement résolue qu’il sera difficile d’en concevoir une suite ! « Les visiteurs seront émus et inspirés par le courage et la force dont ont fait preuve des personnes, des familles et des collectivités canadiennes », raconte néanmoins Amber Lloydlangston, Ph. D., historienne adjointe au Musée, responsable de l’exposition. Elle précise : « ils apprendront ainsi l’histoire de Setsuko Thurlow, qui a récupéré l’horloge dans les décombres de sa maison, à Hiroshima, et qui un jour a émigré ici. Des années plus tard, elle a été décorée de l’Ordre du Canada pour son engagement inébranlable envers le désarmement nucléaire. Il y a aussi celle de l’adjudant-chef H.F. Stevens, de Calgary, qui a porté le symbolique béret bleu en tant que membre de la Première force d’urgence des Nations Unies, premier contingent de maintien de la paix de l’ONU. »
Présent à cette inauguration, le président des Artistes pour la Paix (organisme jamais contacté pour donner des suggestions) a souffert dès la conférence de presse donnée dans un invraisemblable capharnaüm jonché de multiples tanks et véhicules militaires où surnageait une estrade occupée par un DJ tonitruant et un maître de cérémonie raidement protocolaire, le directeur du musée. Deux militaires décorés avec ostentation furent présentés par Roxanne Bouchard (dont le dialogue avec le caporal Patrick Kègle En terrain miné est édité par VLB) et par l’historienne Lloydlangston faisant toutes deux embarrassants offices de groupies de militaires.
Une fois à l’intérieur de l’exposition, on est par contre séduit par la qualité impeccable du français utilisé (surtout au vu des affiches omniprésentes à Ottawa annonçant la célèbre Chamberfest traduite par Chambrefête, outch) et par bien d’autres aspects positifs :
– d’abord, la possibilité de diverses interactions qui nous invitent à ajouter sur des stickers de couleurs nos opinions sur plusieurs tableaux, de même que nos votes, par exemple, pour la meilleure chanson pour la paix : les sélections vont de John Lennon et Yoko Ono à Raymond Lévesque, Paul Piché, Jean Leloup, Marie Jo Thério, Zachary Richard, Boris Vian et Bruce Cockburn (my job is an attention getter. That’s the skill I can offer). Mais nulle trace de notre président d’honneur, Richard Séguin, de Sylvain Lelièvre, de Georges Dor, de Chloé Sainte-Marie, de Mes Aïeux, ni des Cowboys fringants (ajoutez votre liste!) ;
– d’excellents tableaux dont celui sur la crise de Suez mettant en valeur le prix Nobel canadien Lester B. Pearson ;
– une exposition de wampums accompagnée d’engagements autochtones hélas énumérés dans un tel désordre qu’il était difficile de trouver la Grande Paix de Montréal de 1701 ou une cohérence dans la description de l’intervention militaire à Kanasetakeh en 1990, avec le général De Chastelain trop peu distingué pour sa volonté de ne verser aucune goutte de sang autochtone ;
– la Voix des Femmes avait sa place, avec une photo des Raging Grannies, mais où étaient les Louise Fréchette, Louise Arbour et Michaëlle Jean, ignorés par l’exposition? Où sont les Pussy Riot russes, les Femen égyptiennes et tunisiennes, les manifestantes indiennes et pakistanaises ? Où est la tentative de l’artiste pour la paix Claudia Léger pour ressusciter à Montréal le Tricot pour la Paix initié au XIXe siècle et repris en 1966 par Lil Greene pour s’opposer à la guerre du Vietnam ?
– un tableau émouvant sur les Casques Bleus, en particulier sur leurs actions en Haïti, contrastait avec les deux émissions de RDI au point de vue conservateur qui les présentent comme des échecs. Une plus grande place aurait dû être consacrée aux combats du général Roméo Dallaire contre les enfants-soldats, contre le stress post-traumatique (Rwanda) et contre la bombe atomique.
Et combien de tableaux gâchés par une recherche partiale et partielle, morcelée par la volonté stérile de grouper les présentations en trois thèmes : intervenir, s’engager et négocier. Mais nulle trace de Philippe Kirsch, fondateur canadien de la Cour Pénale de La Haye dans ces négociations et aucune mention de résistance, comme le proposait si justement Stéphane Hessel avant de mourir (« À nous de jouer » ou « s’indigner »). Souvent, l’exposition cherche à équilibrer maladroitement les présentations en une pseudo-objectivité :
– la centaine de milliers de draft dodgers américains venus travailler et enseigner au Canada ont droit au même espace que la centaine de militaristes canadiens qui se sont enrôlés dans l’armée américaine pour tuer des communistes vietnamiens ;
– la présentation du traité d’Ottawa, négocié par Chrétien et Axworthy, aurait dû être équilibrée d’une part en critiquant le premier ministre Harper pour avoir refusé d’y intégrer les bombes à fragmentation et d’autre part en nous montrant les mines anti-personnel fabriquées à Le Gardeur par SNC dans les années 80-90, qui ont arraché jambes et testicules des garçonnets envoyés au front le Coran à la main par l’armée iranienne contre Saddam Hussein, alors grand allié du Canada;
– quelques photos éparses de manifs pacifistes hirsutes ne rendent pas compte de la manif historique de Montréal, organisée en plein hiver par Échec à la guerre et les Artistes pour la Paix avec Luc Picard, manif qui a rassemblé un quart de million de marcheurs en appui à l’ONU qui niait justement l’existence d’armes de destruction massive affirmée par les menteurs Blair et Bush, manif qui a convaincu Jean Chrétien en 2003 de refuser d’engager le Canada à la suite des USA et de la Grande-Bretagne dans la 2e guerre d’Irak. Voilà une différence pour la paix dont le Canada et le Musée de la Guerre devraient pourtant être immensément fiers.
Enfin, ma très courte visite a peut-être faussé mon jugement, mais le voici, très sévère, trois secteurs de L’exposition sont carrément malhonnêtes :
– celui sur Hiroshima ne montre aucune photo de cadavres brûlés par les ravages de la radioactivité, que des dents de lait canadiennes examinées par les Physicians for Global Survival en preuve de la dissémination internationale de la radioactivité;
– celui sur l’Afghanistan affirme en lettres majuscules : « le Canada intervient en Afghanistan pour y combattre al-Queida, y instaurer la sécurité et contribuer ainsi à la paix et à la stabilité à l’échelle mondiale », sans mention des explosions de kamikazés islamistes consécutifs aux interventions occidentales ni du coût exorbitant de l’intervention canadienne. Significatif de voir côte à côte sur les présentoirs à journaux à Ottawa le 30 mai la couverture du quotidien Métro « Peace is here », avec celle de l’hebdomadaire des Affaires vantant les drones simultanément présentés à la foire d’armes en présence de ministres conservateurs (absents au Musée de la guerre).
– celui sur les armes nucléaires était spécialement consternant par sa propagande affichée : « Au Canada en 1997, la plupart des gens croyaient que les armes nucléaires s’avéraient nécessaires pour le maintien de la paix et de la sécurité » ! Alors que les sondages ont révélé au cours des années la volonté permanente des Canadiens (entre 65 et 92 % !) de les annihiler. Navrant, surtout que ma visite eut lieu en compagnie des plus grands opposants aux armes nucléaires : Bev Delong, présidente du Réseau pour l’abolition de l’arme nucléaire, Ernie Regehr vice-président de Pugwash et animateur depuis des décennies de Project Ploughshares, Adele Buckley animatrice du site web de Pugwash et à l’origine d’un Océan Arctique voulu Zone libre d’armements nucléaires et Douglas Roche, co-fondateur de la Middle Powers’ Initiative. Aucune trace dans cette expo du plan d’élimination des armes nucléaires en cinq points du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon ni du discours de Prague du président Obama et on cherchait en vain les chiffres honteux de 70 milliards de $ annuels accordés par les USA à la modernisation des armes nucléaires et les milliards accordés à l’OTAN qui en vante l’utilisation. Aucune trace non plus du Traité de non-prolifération, du Test-Ban Treaty ni du Fissile-Material Control Treaty, ni des organismes Global Zero, International Coalition for the Abolition of Nuclear Weapons, Abolition 2000 Global Network to Eliminate Nuclear Weapons, ni des organismes mentionnés plus haut : Pugwash est pourtant difficile à manquer au Canada, puisque la médaille du prix Nobel de la Paix accordé en 1995 à son fondateur, le physicien nucléaire Josef Rotblat, est exposée en permanence en Nouvelle-Écosse sur le beau site du Thinker’s Lodge`dans le beau village de Pugwash !
En conclusion, de nombreux pacifistes rassemblés le soir après l’ouverture de l’exposition exprimèrent unanimement leur vive déception.
Pierre Jasmin
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