Prix du meilleur film canadien au 37e Festival international du film de Toronto!
Le film Laurence Anyways suscite bien des réactions enthousiastes. Par leur qualité et leur ampleur, elles écartent l’insultant reproche de « crise de vedette immature » dont on a accablé le réalisateur, lorsque Xavier Dolan a exprimé sa déception que le Festival de Cannes (où il a reçu la « Queer palm») ne l’ait pas accepté dans sa sélection officielle, le cantonnant plutôt dans « Un certain regard ». Par son exigence et par son esthétisme cinématographique (l’utilisation de la musique y est particulièrement novatrice, même avec Tchaikovski), cette œuvre magnifique s’attache à une recherche de paix profonde qui sacrifie la tranquillité plus superficielle.
Suzanne Clément brouille cette lecture, par une performance éblouissante, parfois hystérique, qui rend crédibles chez son personnage
– son désarroi amoureux exprimé en sautes d’humeur avortant sa tentative d’accompagner tranquillement l’homme qu’elle aime dans son choix de devenir femme
– ses décrochages pour « une vie tranquille », dans un appartement montréalais et auparavant, dans une maison blanche cossue et ornée d’objets d’art auprès d’un mari-accessoire avec relations de la « haute » (et un enfant, piste mal explorée, de trop dans le film)
– ses divers élans-retours de passion, explosifs face à sa famille, face à l’entourage du couple et même face à une « waitress » remplie de sollicitude (Denyse Filiatrault). Ces explosions incarnent non seulement sa propre brisure devant le mystère androgyne, mais aussi celle des spectateurs : le prix obtenu des juges du 65e festival de Cannes ne prouve-t-il pas, certes leur perspicacité devant le talent remarquable de l’actrice Clément, mais également leur propre identification sociétale au malaise du personnage Fred?
Car le véritable héros du film est bien Laurence. Si un Rufus Wainwright en aurait mieux incarné le côté féminin, l’interprétation de Melvil Poupaud a la sobriété pour rendre compte du combat individuel de son personnage à la recherche de son identité profonde, donc de sa paix intérieure, quitte à bouleverser la tranquillité de tous autour de lui : n’ébranlent ni sa force de caractère ni sa détermination à atteindre sa vérité ses confrontations déchirantes avec les incompréhensions de la société entière, notamment de ses collègues de travail et plus intimement de sa mère et de son amoureuse – le seul moment où il lui crie après, et non vice-versa, c’est pour lui reprocher son mou désir de tranquillité. Et sa poésie est assaillie aussi par la sollicitude déroutée d’une critique anglophone qui refuse de le regarder (coquetterie du réalisateur insérant un roman dans le roman).
Ceux qui n’ont pas vu le film diront à la suite de mon maladroit résumé qu’on reconnaît bien là la recherche d’absolu du jeune Dolan… sauf qu’on aura ignoré sa maturité précoce acceptant par exemple de son personnage principal qu’il ait besoin de faire escale, dans son cheminement ardu, sur l’îlot de tranquillité (ou de liberté?) que lui aménagent des êtres infiniment tolérants, comédiens-chanteurs marginaux et homosexuels aux tendres portraits merveilleusement esquissés, dans un décor au kitsch baroque à souhait, par l’aperçu trop bref des Emmanuel Schwarz, Catherine Bégin, Perrette Souplex et, rayonnant de densité humaine, Jacques Lavallée!
Au moment où la tranquillité de la société québécoise se voit remise en question par de têtus carrés rouges brimés par les médias et surtout par la loi 78 (Est-ce une révolte? Non, sire, c’est, les chaudrons à la main, une révolution …tranquille!), Xavier Dolan nous demande par son art sans compromis d’assumer pleinement le chemin exigeant de la liberté, seul garant de paix, tant collective qu’individuelle.
Merci à cet artiste pour la paix de nous montrer ainsi la voie.
Pierre Jasmin 30 mai 2012 (révisé le 2 juin)
Les opinions émises dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement le point de vue officiel des Artistes pour la Paix
Le Devoir du lundi 17 septembre publie en première page une photo rayonnante du réalisateur Xavier Dolan qui remportait dimanche le 16 le prix du meilleur film canadien sur 26 concurrents lors du 37e Festival international du film de Toronto. Le jury composé de quatre cinéastes internationaux a déclaré par la bouche de Patricia Rozema : « pour son énergie cinématographique à couper le souffle et son histoire d’amour entièrement novatrice, le jury s’est senti honoré de voir pareil génie sans entrave à l’oeuvre ». Espérons maintenant que le film représentera le Canada pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, ceci dit avant d’avoir vu Inch’ Allah de la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette dont on espère beaucoup après avoir vu ses films antérieurs.