Photo: Gabriel Fournier. La cheffe invitée Elena Schwarz a dirigé l’œuvre de Philip
Glass, composée pour Angélique Kidjo et son poème en langue yoruba.

Ambassadrice de bonne volonté pour l’UNICEF et créatrice de la fondation
africaine Batonga, Angélique Kidjo, après avoir chanté Bridge over Troubled
Water de Simon & Garfunkle à la cérémonie des Grammy Awards du 2 février, a
enchanté le public québécois tout le mois de mars, notamment au Palais
Montcalm où elle a chanté Brel, Piaf, Dalila et le bouleversant Maman, papa de
Pierre Lapointe.  Le programme du 19 mars 2025 à la Maison symphonique avait
sûrement été conçu par le directeur musical de l’Orchestre Symphonique de
Montréal, Rafael Payare, vu les correspondances magiques qui sont apparues
entre les deuxièmes mouvements de chacune des trois œuvres interprétées, qui
plus est par une de ses anciennes élèves.

1- Janaček – la Petite Renarde rusée,

originalement un opéra en trois actes composé par Leoš Janaček entre 1921 et 1923 et créé le 6 novembre 1924 à Brno, capitale morave, s’inspire d’une bande dessinée par Stanislav Lolek. On ne peut nier l’inspiration par Le tableau des expositions du génial Moussorgsky
que Ravel orchestra en même temps que la composition de Janaček et par Le
Carnaval des animaux, une suite pour ensemble instrumental de Camille Saint-
Saëns composée en Autriche en 1886. L’Oiseau de feu de Stravinsky la précède,
mais l’Enfant et les sortilèges de Ravel la suit. Étonnante, cette correspondance
entre musiciens, comme celle entre Ésope (l’Enfant qui criait au loup, comme les APLP le font selon certains) et La Fontaine, au-delà de la vingtaine de siècles de
différence. Y a-t-il une recherche par des biologistes pour savoir en quelle
mesure la musique et les fables ont inspiré les végétalistes et le mouvement
antispéciste, cher à Romuald Sciora ( 1 )?
Leoš Janáček est mon compositeur tchèque favori, pour sa musique et aussi
parce qu’il a été le compositeur féministe le plus avant-gardiste au monde, ce
pourquoi on l’a longtemps ignoré. J’en ai souvent enseigné les facettes avant-
gardistes à mes étudiants tchèques pendant les 14 étés où j’ai enseigné en
Bohême. Et on comprendra l’influence politique qu’il a laissée en héritage en
lisant le complément de mon article ( 2 ) intitulé « s’inspirer de Vaclav Havel ».

2- Angélique Kidjo chante IFÈ de Philip Glass

Un article de Dominique Tardif dans La Presse nous la présente fort bien :
« Angélique Kidjo entre dans le salon d’honneur de la Maison symphonique
éclaboussée par la glorieuse lumière du dehors et en dansant au son d’une
musique qui ne joue que dans sa tête. De quoi se demander si l’icône béninoise,
d’une joie de vivre légendaire, recèle un côté sombre ? Une question qu’elle
reçoit en prenant son temps et une gorgée de thé, avant de sourire à pleines
dents. « Ma mère nous disait toujours : La gentillesse est un gilet pare-balles. On
ne peut pas tuer le sourire. Parce que si on tue ça, il n’y a plus d’humanité. Mon
père, lui, disait : Parlez, parlez. Il n’y aura jamais de sujet tabou à la maison, à
l’exception de la xénophobie, du racisme et de l’antisémitisme. »
Écrite en 2014 par Philip Glass sur des poèmes en langue yoruba proposés par
Angélique Kidjo, Ifè démarra par une interprétation coincée de son premier
mouvement. Les 64 ans de la chanteuse l’avaient-ils rattrapée? Non, car elle
libéra sa gestuelle totalement en son deuxième mouvement dédié à l’eau. « Avec
Angélique, nous avons construit un pont sur lequel personne n’a marché
jusqu’ici,” dit le grand compositeur américain contemporain. Le troisième
mouvement nous fit entendre l’interprète rayonnante qu’on connaît, acclamée
par la salle debout.

3- La Symphonie Pastorale de Beethoven

La déception de ne pas voir Payare au pupitre dura tout le premier mouvement.
Mais dès le deuxième, ce fut l’émerveillement d’entendre, sur un tapis de cordes
bruissant gentiment, les bois et les cors mis en valeur par le tempo lent de la
cheffe Elena Schwarz, illustrant le ravissement de Ludwig marchant dans les
vignes du Wienerwald, même sous l’orage, interprété avec la fougue des
percussions, comme le fait la Deutsche Philharmonie de Bremen! J’ai eu le
bonheur de parcourir les mêmes sentiers lors de mes presque quatre ans
d’études à Vienne, d’abord logé dans une maison voisine d’une de celles de
Beethoven, ce qui n’est pas si exclusif vu qu’il déménagea un nombre
incalculable de fois.
Ma fille et mon fils, ravis, me parlent encore de ce concert une semaine après.

 

(1)Comprendre la philosophie woke, par Romuald Sciora aux éditions Armand Colin 2023.
(2) https://www.artistespourlapaix.org/3-ans-de-souffrances-ukrainiennes/