Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix (i) – 27 juillet 2024

Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies et le président du Comité international olympique, Thomas Bach, captivés par la cérémonie; à droite, le guignol président des banques, reniflé par un galonné.Ludovic Marin / Photo Associated Press.

SORORITÉ

Il a fallu attendre un siècle, depuis les premières demandes en ce sens, pour que le nombre de sélectionnées aux Jeux Olympiques compte 5250 femmes pour autant d’hommes, une révolution féministe réussie par la France et reflétée par l’inventivité prodigieuse du directeur artistique de la cérémonie d’ouverture (au double sens !) du 26 juillet 2024, Thomas Jolly.

Saluée, son audace a dévoilé dix statues rendant hommage à dix pionnières françaises, d’Olympe de Gouges guillotinée par la Révolution (i) à Simone Veil (ii) et Gisèle Halimi, en passant par l’anarchiste Louise Michel et la méconnue cinéaste pionnière Alice Guy, dix statues-hommages à des féministes françaises, dont plusieurs ont travaillé à la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse pour libérer la femme.

Poutine et Trump seraient tombés malades à voir l’art olympique jollyesque célébré par tous ces transgenres, dragqueens barbus et féministes libérées chantant leur joie en plusieurs tableaux animés par l’énergie fabuleuse de la jeunesse : acrobates, danseurs et danseuses, défilés de mode, où se mêlaient joyeusement des mannequins illustrant la mode-joyau de France, des handicapées aux jambes artificielles (ou non, breakdance époustouflant sur les mains d’un acrobate privé de l’usage de ses jambes) et des obèses aux sourires larges et heureux, comme Philippe Katerine en Dyonisios béat de nudité; d’autres sautillant sur des surfaces mouillées périlleuses que la soirée bénie des dieux épargna, le personnage masqué inquiétant, gambadant sur les toits de Paris, porteur téméraire de la flamme olympique.

La pluie quasi-incessante, et pour nous téléspectateurs de Radio-Canada, des animateurs incompétents (ou qu’on n’avait pas outillés d’informations minimales par crainte d’éventer les surprises du spectacle) et cette invraisemblable avalanche d’horribles commerciaux intrusifs n’ont pas réussi à gâcher le spectacle fabuleux, sorte d’exploit artistique reflétant le changement de régime en cours dans une France qu’on a enfin sentie bouger, même si Macron n’a pas encore cédé la place qui lui est due à la première ministrable Lucie Castets.

RÉVOLUTION-FRATERNITÉ

La candidate du Nouveau Front populaire à Matignon a détaillé ses premières mesures dans le cas où elle serait nommée Première ministre. © MOURAD ALLILI/SIPA / SIPA / MOURAD ALLILI/SIPA

« Jupiter est mort, battu par les urnes ». C’est ce que répète à Macron, Dominique de Villepin, illustre ancien premier ministre de droite mais surtout ministre des Affaires étrangères qui vilipendait les  Bush et Blair envahisseurs de l’Iraq malgré les preuves par le Suédois Hans Blix de l’ONU que Saddam Hussein ne possédait pas d’armes de destruction massive, ni biologiques ni atomiques. De Villepin rappelle aujourd’hui au Président pro-OTAN les fondements de la République: « On choisit la force arrivée en tête au soir du scrutin, c’est la tradition républicaine. C’est comme ça. Chargez le Nouveau Front Populaire de former un gouvernement. » À la manière de Petrella (Agora des Habitants de la Terre) qui dévoile « le dominant jouant un jeu antidémocratique », de Villepin méprise les manœuvres de Macron qui «passe ses nuits à écrire des lettres» au lieu « d’arbitrer une procédure, au-dessus de ce jeu ».

Quel jeu? Celui que dénoncent de concert les journaux indépendants Reporterre et Humanité rappelant le choix unanime de la NFP, Lucie Castets, 37 ans, qui a cofondé en 2021 le collectif Nos services publics, dont elle est toujours l’une des trois porte-parole : « Il manquait une entité qui prenne la parole de l’intérieur pour mettre en lumière les dysfonctionnements et faire des propositions », explique la Normande, originaire de Caen, au journal L’Humanité en 2023. « Le service public va très mal. Il ne s’agit plus d’une lente dégradation, on arrive à un point de rupture. ON NE PEUT PAS TRAITER LE SERVICE PUBLIC COMME ON TRAITE UNE ENTREPRISE », estime-t-elle, ajoutant que nous allons avoir « massivement besoin de l’État pour lutter contre le réchauffement climatique ». Elle reproche publiquement au ministre de la Transformation et de la Fonction publique, de ne pas créer suffisamment de postes liés à la transition écologique et énergétique : « On a perdu 180 000 fonctionnaires d’État entre 2006 et 2018, pendant que le recours aux cabinets de conseil explosait ». On croirait un discours de Québec solidaire face à la CAQ et aux Libéraux qui ont dégradé la Santé par des stratagèmes semblables, favorisant le privé.

Lucie Castets travaille comme directrice des finances et des achats auprès de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, dont on connaît la grande influence sur ces Jeux olympiques. Après avoir étudié sur les bancs de Sciences Po, de l’ENA et de la London School of Economics, l’économiste Castets a d’abord exercé à la direction générale du Trésor et à la Banque mondiale, y travaillant notamment « à la répression de la fraude fiscale et de la criminalité financière ». Auprès de l’Agence France Presse, elle a affirmé qu’elle souhaitait porter « l’abrogation de la réforme des retraites » — ce qui figure en bonne place dans le programme commun du NFP, appelant également à une « grande réforme fiscale pour que chacun, individus et multinationales, paie sa juste part ». En outre, elle souhaite impulser une « amélioration du pouvoir d’achat » par la revalorisation des salaires et le relèvement des minimas sociaux (merci à Wikipedia). Bref, un discours réformiste raisonnable auquel Macron par son « nyet » antidémocratique confère un statut révolutionnaire.

LIBÉRATION PAR LES ARMES ?

Était-ce la suggestion voilée de certains tableaux comme la Conciergerie enflammée par des vapeurs et jets de projectiles rouge sang (photo suivante) ? Rappelons que le bâtiment inscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO, est l’un des plus anciens vestiges du Palais de la Cité, résidence et siège de pouvoir des rois de France au Moyen Âge, transformée en prison du Parlement de Paris vers la fin du XIVe siècle, restée un haut lieu de détention pendant la Révolution française avec l’installation du Tribunal révolutionnaire. Sa prisonnière la plus célèbre est Marie-Antoinette.

Dans une scène surréaliste, Jolly présente une Marie-Antoinette décapitée, dont la tête portée sur le bras chante « ah ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne, ah ça ira, ça ira, on les pendra! », sur un accompagnement de heavy métal, une image prégnante que les « dominants » devraient méditer pour éviter de connaître son sort, même pleuré par la révolutionnaire Olympe de Gouges.

Un tableau révolutionnaire ? Photo Bernat Armangue Pool / Agence France-Presse

On a tenté d’interpréter l’image sombre de chevauchée suivante, peu éclairée à dessein, en contraste avec la fin éclatante de lumière : une cavalière, vêtue d’une cape marquée des anneaux olympiques représentant les cinq continents, a rejoint le Trocadéro, en face de la tour Eiffel, suivie des drapeaux des Comités nationaux olympiques participants apportés par les 85 bateaux. Leur parade nautique a descendu la Seine sur six kilomètres, un spectacle unique diffusé à au moins un milliard de téléspectateurs dans le monde entier, première cérémonie d’ouverture de l’histoire à se dérouler hors d’un stade, en plein cœur de Paris.

Cheval mécanique, incarnation de Sequana, déesse gallo-romaine donnant son nom à la Seine, symbole de résistance solidaire ou Reine des aulnes portant la mort (Schubert) ?

 

SOLIDARITÉ GLOBALE

De la réalisation d’une révolution, plusieurs symboles en annoncèrent la venue, tel celui de l’artiste franco-malienne Aya Nakamura, chanteuse francophone la plus écoutée dans le monde, vêtue entièrement d’or, magnifiquement insolente bravant l’extrême droite française colonisatrice qui au printemps se remettait mal de l’expulsion des troupes françaises du Mali : «Ici, c’est Paris, pas le marché de Bamako!» lisait-on sur la banderole d’un groupe identitaire contre qui une enquête pour provocation à la haine en ligne a été ouverte, avec six personnes identifiées et du matériel saisi par la justice française au début du mois de juillet. La cérémonie la voyait confronter, avec sa garde rapprochée de six danseuses à la sensualité prononcée, la fanfare de la Garde républicaine, conquise, non par la violence, mais par l’arme de la séduction.

La vedette mondiale de la pop, Lady Gaga, a fait part de son « lien particulier » avec la France. « C’est un honneur ultime de chanter pour vous », a-t-elle déclaré dans un long message posté sur le réseau social X, adressé aux organisateurs qui lui ont mis dans la bouche la gouaille de Mon truc en plumes de Zizi Jeanmaire, disparue en 2020 et dont on fête le centenaire de sa naissance, voix acclamée d’un Paris canaille, pour un titre emblématique du music-hall français. Rappelons qu’elle avait chanté, en français, La vie en rose, standard d’Edith Piaf dans le film A star is born en 2018.

La cérémonie a célébré de grands moments de l’histoire française, ses héroïnes, ses valeurs humanistes, sa littérature, la liberté, l’opportune interprétation de Jeux d’eau de Ravel, Carmen l’héroïne avant-gardiste de Bizet, une gymnopédie de Satie, avec deux moments révélateurs de la culture française la plus raffinée : une charnière émouvante entre Renaissance et baroque, chantée avec pureté avec un jeune animant le chant d’une exquise pantomime accompagnée au clavecin, sans doute LE moment culturel authentique de la cérémonie; puis la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris quasi-millénaire, ravagée par un incendie en 2019 (iv) : des artistes portant des tenues de chantiers ont dansé, accrochés aux échafaudages de la cathédrale qui rouvrira ses portes le 8 décembre.

La cérémonie d’ouverture avait débuté sur le pont situé dans l’est de la capitale, où figuraient côte à côte la devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort, ensemble » et celle de Paris, « Fluctuat Nec Mergitur ». Pour la première fois, une cérémonie d’ouverture des Jeux sortait d’un stade olympique, un pari hors norme, logistique, artistique comme sécuritaire, pour le Comité international olympique (CIO) et pour la France qui attendait depuis un siècle d’organiser des Jeux d’été.

LA RÉVOLUTION PEACE AND LOVE

Les artistes qui proclament mondialement la révolution peace & love sont de plus en plus censurés : en vue de notre 40e anniversaire, nous avions réussi à faire entendre le chant éternel de John Lennon (i) que la tradition olympique ramène tous les quatre ans. On a regardé hier avec émerveillement teinté de désespoir ce chant IMAGINE dans une mise en scène symbolique, avec le duo de la chanteuse Juliette Armanet et du pianiste Sofiane Pamart touchant un piano en feu sur un radeau qui semblait en perdition. Heureusement, l’appel à la paix via la poésie se grave dans la tête des spectateurs, sa première apparition remontant à 1996 à Atlanta (États-Unis), lorsque Stevie Wonder l’a interprétée : « cette chanson reflète les valeurs que défendent les Jeux olympiques : un appel à la paix, à la fraternité, à l’unité et à la solidarité », déclare le président du Comité international olympique, Thomas Bach.

C’est le même message qu’Édith Piaf nous a transmis en finale avec son Hymne à l’amour, du premier étage d’une Tour Eiffel illuminée, par la voix retrouvée, transcendante, d’une Céline Dion que la maladie a rendue plus sobre gestuellement et vocalement, avec le message humaniste remarquablement transmis de réunir celles et ceux qui s’aiment.

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i Canadien, l’auteur ne va pas suivre ces Olympiques, accablé par la honte des responsables de l’équipe de soccer de son pays qui ont espionné des équipes adverses à l’aide d’un drone, imitant ainsi leurs dirigeants conservateurs toujours en train de dénigrer les pays aux systèmes différents des leurs, Cuba, Venezuela, Russie, Chine etc., au lieu d’épouser la devise olympienne de Coubertin selon laquelle l’important n’est pas de vaincre, mais de participer…

ii https://lautjournal.info/20230106/lengagement-feministe-historique-de-simone-veil

iii Écrivaine et rédactrice en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle a laissé de nombreux écrits et pamphlets en faveur des droits civils et politiques des femmes dont elle proclame l’égalité et en faveur de l’abolition de l’esclavage des Noirs.

iv https://www.lautjournal.info/20190419/notre-dame-ressuscitera

v https://www.artistespourlapaix.org/la-paix-vecue-par-les-enfants-et-les-artistes/

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Autre son de cloche qui lui est publié par Le Devoir conservateur qui renchérit le 31 juillet par un son de cloche négatif publié par une lectrice, bref, la droite s’insurge après la cérémonie d’ouverture…

Jasmine Legendre à Paris

Au lendemain de la cérémonie d’ouverture, les critiques dithyrambiques fusaient de toutes parts. « Audacieuse », « originale », « éblouissante », pouvait-on lire dans les médias du monde entier. Mais l’excitation a vite laissé place à la polémique en France, dans un contexte politique tendu. Sur les réseaux sociaux, le mot-clé « boycott 2024 Olympics », boycottons les Jeux olympiques de 2024, a même fait son apparition. Dans le fil de discussion, les gens dénoncent notamment la reconstitution de la Cène, le dernier repas de Jésus-Christ avec ses apôtres, par des drag queens. Même si le directeur artistique, Thomas Jolly, a affirmé que son inspiration n’était pas la Cène, les critiques ne dérougissent pas. « L’idée était plutôt de faire une grande fête païenne reliée aux dieux de l’Olympe… Olympe… l’Olympisme », a-t-il déclaré sur la chaîne BFMTV. Le comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024 s’est même excusé, dimanche en conférence de presse, auprès des communautés religieuses qui auraient pu être blessées par la cérémonie. « Notre intention n’a jamais été de blesser ou de manquer de respect à des communautés religieuses. Au contraire, la cérémonie se voulait une célébration de la tolérance », a affirmé la directrice des communications, Anne Descamps. Certaines scènes du spectacle dirigé par Thomas Jolly ont été censurées par plusieurs pays, notamment au Maghreb et même aux États-Unis. L’Église orthodoxe russe l’a pour sa part qualifiée « d’un suicide historique et culturel ».

Une Cène qui dérange

En France, c’est la droite qui s’est emparée du moment pour dénoncer la montée du « wokisme ». La députée française Marion Maréchal s’est insurgée sur les réseaux sociaux en s’excusant au nom de son pays. « À tous les chrétiens du monde qui regardent la cérémonie et se sont sentis insultés par cette parodie drag queen de la Cène, sachez que ce n’est pas la France qui parle, mais une minorité de gauche prête à toutes les provocations », a-t-elle écrit sur la plateforme X. Béatrice Leroy et Adèle Dooh-Priso, croisées près du parc Martin-Luther-King, discutaient justement à la sortie de leur église protestante de la cérémonie. « Je me sentais très fière d’être française, je trouvais que la cérémonie était géniale, différente de toutes les autres, mais le Français ressent toujours le besoin de choquer », explique Béatrice Leroy. Si elle se dit de nature tolérante, malgré sa foi chrétienne, elle ne comprend pas pourquoi dans un spectacle vu dans le monde entier on sent le besoin d’aller aussi loin. Elle évoque la scène du trouple, qui s’embrassait avant de s’enfermer dans une chambre. « Quel est l’intérêt, se demande-t-elle ? Qu’ils fassent leur vie, mais pourquoi montrer ça dans une cérémonie officielle ? » Selon Adèle Dooh-Priso, les Français sont reconnus pour leur caractère transgressif. « Ça fait partie de leur personnalité », soutient-elle. Le Parisien Francis Charles abonde dans ce sens. « On a souvent tendance à maugréer, à rouspéter, contre tout événement qui vient bouleverser notre quotidien. » Il a lui aussi apprécié dans l’ensemble la cérémonie, mais ne s’étonne pas qu’elle ait été reprise par les différents partis politiques pour afficher leurs couleurs. « C’est très politique, il y a eu des conneries. Certains trucs ne sont plus de mon âge, il faut le reconnaître. Mais certaines scènes étaient aussi décalées, sans intérêt, sans classe », juge-t-il faisant référence à la scène où l’artiste multidisciplinaire Philippe Katerine est apparu couvert de peinture bleue, dénudé.

Un débat « woke » contre « extrême droite »

Les « J-Woke » écrivait sur X Marion Maréchal. « Mais quelle image de la France renvoie-t-on au monde », écrivait pour sa part la députée et vice-présidente du Rassemblement national, Edwige Diaz.

Pour les deux jeunes Français Gwenael Lamandé et François Villeneuve, la cérémonie n’aurait pas été une réussite si la droite n’avait pas été choquée. « Je trouvais ça très bien qu’il y ait des drag queens qui viennent réinterpréter l’histoire. Je ne vois pas en quoi ça peut être problématique », fait savoir François Villeneuve. Pour eux, cela témoigne de la nouvelle identité française qui embrasse les différences. « On a pris des classiques et on les a modernisés », ajoute Gwenael Lamandé.

La polémique s’inscrit dans un contexte politique difficile en France puisque le nouveau gouvernement français élu le 7 juillet dernier ne sera pas nommé avant la fin des Jeux olympiques à la mi-août au nom d’une « trêve politique » invoquée par le président de la République, Emmanuel Macron. « Politiquement, on vit une époque très trouble. Donc je ne pense pas que nous ayons une image formidable à l’étranger. On a une image d’un pays désordonné, qui ne se plie pas facilement à la discipline. Mais c’est peut-être l’occasion de la remonter un peu en organisant bien ces Jeux », dit Francis Charles. Pour lui, les prochaines semaines seront une occasion de redorer l’image de la France. « Il faut voir ça comme une grande fête parisienne qui donne encore plus envie aux gens de venir nous rendre visite. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir !