J’aimerais partager avec vous un article écrit par Serge Grossvak, membre de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide, paru dans le quotidien français L’Humanité et signalé par notre ami André Cloutier. En ces temps désastreux, c’est un merveilleux appel à l’ouverture de la conscience des humains. Qu’est-ce que vous en dites ?
Quotidien L’Humanité, France, vendredi 8, samedi 9 et dimanche 10 janvier 2016, page 13.
Tribune libre
Nous n’avons pas besoin de vengeance mais de la paix
Par Serge Grossvak
Comment ne pas percevoir que nous sombrons dans l’antre du Léviathan, que notre monde aveuglé se jette dans les griffes du monstre ? Nous retournons vers un monde où « l’homme est un loup pour l’homme ». Dans ce monde nous revient notre terrible part de loup. Pour avoir une chance d’échapper à ce destin, il nous faut comprendre.Comprendre est le contraire d’accepter : c’est faire appel à l’arme de notre intelligence pour affronter le péril. Rien d’autre, mais c’est crucial. Comprendre pour refuser le pire. Au moins nous donner une chance d’échapper au Léviathan. « Nous sommes en guerre », annonce le premier ministre. C’était déjà les mêmes mots en janvier 2015. Sans doute ne l’étions-nous pas les quelques années précédentes, lorsque « nos » avions bombardaient déjà en Afrique et en Asie. À croire que le mot guerre dépend du lieu d’explosion des bombes.
À regarder de plus près, « nous » avons tiré les premiers mais cette fois ce n’est pas face aux Anglais du temps des armes rudimentaires. Les conséquences ne sont pas les mêmes. Alors, encore un peu plus de guerre conduira-t-il à la paix ? Voilà bien le mot absent de ces épisodes : paix. Il manque « simplement » tous les mots pour dessiner la paix dans nos perspectives.
Ce n’est pas de vengeance dont nous avons besoin mais d’une sortie de ce cauchemar. Alors il nous faut comprendre. Notre peine, notre peur, notre souffrance sont légitimes et d’une profonde humanité mais nous avons le devoir de regarder en face ces premiers désastres pour espérer échapper à ceux qui s’annoncent. Regardons l’histoire, elle nous montre qu’elle peut être prévisible et que nous pouvons agir sur elle. Elle est d’un grand enseignement.
Il n’y eut plus d’autre choix que de combattre Hitler. Mais avant ? Avant, il y eut des voix pour alerter du péril. Elles ne furent pas écoutées. Après, il y eut Hitler et sa haine. Hitler pouvant mêler sa barbarie aux frustrations d’un peuple écrasé. Nous n’oublions pas Hitler et ses horreurs.
Nous oublions nos fautes qui ont contribué à rendre possible Hitler. Alors nous commettons les mêmes erreurs. L’histoire, « notre histoire » européenne, porte également une autre leçon contraire à la précédente. Cette leçon-là, nous pourrions en être fiers si nous consentions à ne pas la chasser de notre mémoire. Celle-là pourrait être notre part de fierté mêlée aux parts de fierté qui reviennent à chaque peuple. Dans notre histoire, nous avons inventé les lois de la paix. La paix est impossible sans justice. Ce qu’expliquait Emmanuel Kant. La paix est impossible dans la domination. Ce que disait Jean Jaurès. La paix a besoin de droit et de justice. Où étaient-ils dans ces guerres que notre Occident a su si prétentieusement engager en tant de pays ? Absents.
Où se trouve l’égalité des nations et des peuples proclamée dans la charte des Nations unies ? Absente. Les choix qui ont été ceux de nos pays imbus de leur supériorité financière et technologique ont été des choix de guerre car ils enfreignaient les lois de la paix. Nos guerres de domination ont construit le terreau qui a permis qu’émergent ces petits Hitler de notre actualité. Il nous faut sortir de cet engrenage. Aveuglément, nous avons légitimé la guerre et maintenant la guerre est là avec ses propres lois : celle du déni de la vie.
Les assassins de nos enfants se sentent légitimés par l’état de guerre… L’homme est un loup pour l’homme. La guerre n’est pas la solution. La guerre n’est jamais la solution… Pourtant, il y a l’ONU, l’ONU conçue pour rendre impossible la guerre, pour construire de la justice. L’ONU défaille, c’est une évidence. Quelle justice fait-elle régner aujourd’hui de par le monde ? Lorsque dans l’impunité les États-Unis mentent sans honte pour jeter leur guerre sur l’Irak, lorsque dans l’impunité ces mêmes États-Unis et leur concurrent russe engagent leurs armées hors de leurs frontières, lorsque Israël dans l’impunité conquiert des territoires par les armes et outrage un peuple lorsqu’il ne le décime pas, lorsque la France et la Grande-Bretagne dans l’impunité lancent leurs bombardiers au mépris des accords internationaux, lorsque… il y aurait tant d’exemples.
Tout est à reprendre. La tâche est immense et jamais elle n’a été engagée hors des lendemains d’immenses désastres. Lorsque tout est dévasté, l’homme désespéré redevient humble et se sent envahi d’une aspiration à la sagesse. Là, il pense la paix. Là, il tente de la bâtir. Après, seulement après le désastre. Alors devons-nous attendre les dévastations de la haine et de la mort pour enfin renaître à un peu de sagesse et de civilisation ? Devons-nous livrer nos enfants au Léviathan, souffrir tout ce qu’il est humainement possible de souffrir, avant d’engager notre monde vers ce droit et cette justice que clamait Stéphane Hessel ? La tâche est gigantesque. Il n’est d’autre issue d’avenir que de nous y attaquer. Les puissants ont piétiné la justice. Nous, humbles de la Terre, avons à unir nos consciences et nos volontés pour imposer un ordre du monde fondé sur l’égal respect des peuples.
Chantons moins la Marseillaise au glorieux passé émancipateur pour clamer, crier, exiger, imposer un nouvel ordre mondial bâti sur les idéaux fondateurs de l’ONU, sans doute avec des améliorations. Ce sera bien plus efficace que l’union sacrée sur « nos valeurs »… qui apparaîtront vite pour ce qu’elles sont : un enfumage. Nos « valeurs », dans la vraie vie, loin des idéaux révolutionnaires, sont maintenant des valeurs de fric. Nos « valeurs », c’est une vie de merde (au moins de galère) pour des millions de nos concitoyens. Nous sommes de bien petits êtres insignifiants pour faire aboutir un projet aussi crucial. C’est pourtant vital.
« Regardons l’histoire, elle nous montre qu’elle peut être prévisible et que nous pouvons agir sur elle. Elle est d’un grand enseignement »
Note du webmestre : nous reproduisons intégralement ce texte au lieu d’un lien de référence pour des raisons purement techniques.
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