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Difficile pour Monique Mercure de renier une part de bagage génétique autochtone dans cette photo tirée de la fête païenne débridée qui l’a vue accéder à la célébrité dans la peau d’une des Femmes en or (1970) de Claude Fournier, aux côtés de la non moins extraordinaire Louise Turcot. Pendant que les Dames de la Congrégation Notre-Dame rougissaient de leur scandaleuse élève diplômée de Vincent-d’Indy en violoncelle, le Québec entier défroquait de toute pudeur catholique janséniste, avec cet immense succès cinématographique de pas moins de deux millions d’entrées ! Y participèrent, beaucoup plus gênés en apparence que la comédienne libérée, Marcel Sabourin, Donald Pilon, Yvon Deschamps, Donald Lautrec, Gilles Latulippe, Réal Béland, Paul Buissonneau, Paul Berval, Jean Lapointe, Jérome Lemay, Raymond Lévesque et même l’ex-frère trappiste Michel Chartrand dans un rôle hilarant de juge, révélé en pleine crise FLQ qui le conduira en prison !

Peut-être serait-il enfin temps de lever les tabous qui ont empêché les Québécoises et les Québécois de rire un bon coup, autrement que sous cape, de cette comédie émoustillante mettant en scène une actrice aguichante comme dans À tout prendre et comme dans son rôle plus effacé d’Alexandrine aux côtés de Jean Duceppe dans Mon oncle Antoine, aussi de Claude Jutra, longtemps considéré comme le meilleur film canadien jamais tourné.

Dans la télésérie Shehaweh de Fernand Dansereau/Jean Baudin, ce n’est pourtant pas une Amérindienne qu’elle incarnera, mais Jeanne Mance à cause du caractère décidé, voire féministe avant la lettre de celle que la Ville de Montréal reconnaîtra enfin en 2012 comme co-fondatrice de Montréal à l’égal de Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve.

Festival de Cannes 1977

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Monique Mercure encadrée par le réalisateur Jean Beaudin et l’acteur Marcel Sabourin. Photo Ralph Gatti/Archives AFP

Monique Mercure joue volontiers dans des films tournés par des femmes, comme la cuisine rouge de Paule Baillargeon en 1980 et la quarantaine d’Anne Claire Poirier en 1982. Celle qu’on a imaginée avoir caché le cadavre d’un amant dans sa cave dans la télésérie Providence ou dans Mémoires vives (Radio-Canada, de 2012 à 2015), ma mémoire se brouille en téléséries, avait déjà démontré son fort caractère dans J-A Martin, photographe, de Jean Baudin [1] encore, où le Festival de Cannes l’avait distinguée du prix d’excellence d’interprétation féminine pour son rôle de Rose-Aimée Martin donnant une réplique aussi vigoureuse que l’exubérant acteur Marcel Sabourin.

Une grande comédienne de théâtre

Au théâtre de 1971 à 1974, elle incarnait une autre Rose (Ouimet) dans Les Belles-Sœurs de Michel Tremblay, au Théâtre du Rideau Vert, à l’Espace Cardin à Paris, au Port-Royal de la Place des Arts ainsi qu’au Théâtre du Nouveau-Monde, avant de jouer le rôle en anglais, à Toronto, en 1973. Elle brille aussi dans Albertine en cinq temps de Michel Tremblay, sous la mise en scène de ma collègue de l’UQAM, Martine Beaulne à l’Espace GO, immortalisée sur pellicule par le regretté André Melançon en 2000.

À la manière de Jean-Louis Roux, Monique Mercure ne craint pas d’embrasser des rôles administratifs, directrice de l’École nationale de théâtre du Canada de 1991 à 2000 où lui succède Simon Brault, directeur général du Conseil des arts du Canada, qui pleure une complice de longue date : «Fougueuse, brave et déterminée, elle avait une verve et un franc-parler que beaucoup craignaient. Elle avait aussi un sens de l’humour et de l’autodérision beaucoup trop rares dans un monde qui se prend tellement au sérieux», a ajouté celui qui lui avait d’abord succédé à la tête de l’École nationale.

Prix du gouverneur général et Prix Denise-Pelletier pour les arts de la scène, elle a été honorée par l’Ordre national du Québec et l’Ordre du Canada dont elle a été faite Grand Officier. Elle m’avait salué gentiment au Centre Pierre-Péladeau lors d’un des concerts d’ouverture de la Salle Pierre-Mercure, baptisée à l’UQAM du nom de son mari compositeur qui lui a donné trois enfants : Michèle comédienne et les jumeaux Christian et Daniel. Ce dernier a embrassé avec succès la carrière musicale à laquelle se destinait d’abord sa mère. Je leur offre mes condoléances, ainsi qu’à sa grande amie Monique Miller (l’autre Monique M !) et à la directrice du TNM, Lorraine Pintal.


[1] Disparu l’an dernier, on lui doit la fresque féministe télévisée des Filles de Caleb d’Arlette Cousture (scénario Fernand Dansereau), à laquelle succèdera Blanche filmée par Charles Binamé.