On m’a demandé de vous parler d’une créatrice d’image, d’une poète d’images, d’une jongleuse d’images, d’une lanceuse d’images. On m’a dit qu’elle était envoutante, curieuse, enchanteresse, investigatrice, unique.
Et l’image de Meryam Joobeur m’est venue, elle dont la beauté se reflète dans le regard, par une vigilance tranquille qui semble toujours prête à absorber la représentation, le reflet, le caractère dissimulé, la vision, la projection en devenir.
Réalisatrice et scénariste tunisienne et canadienne, son premier court métrage documentaire est Gods, Weeds and Revolutions (2012) Joobeur filme tout avec une grande pudeur, un amour évident et une poésie du moment empreint d’une mélancolie bienveillante qui nous laissent dans une sorte d’état second.
Le second court métrage: Born in the Maelstrom (2017) raconte le voyage soutenu d’une jeune métisse, qui remue ciel et terre pour saisir les significations de son identité dans une réalité toute entière absorbée de la douloureuse existence passée de sa mère d’origine noire.
Son long métrage Là d’où l’on vient (2024) met en scène une histoire poignante se déroulant dans un village isolé de Tunisie où deux parents sont confrontés à l’inexplicable départ de leurs fils pour une guerre inconnue.
L’un d’eux revient avec une mystérieuse fiancée voilée et muette, et alors un lourd secret se met en place au sein de la famille. L’intrigue se complique lorsqu’un policier enquête sur des événements étranges, pressentant que quelque chose de bien plus sombre se cache derrière ce retour.
La cinéaste avoue qu’elle désirait se pencher sur le ressenti des personnages féminins.
Les acteurs de ces films profonds l’ont interrogée: Qui sommes-nous une fois que disparaissent les rôles qui nous étaient impartis ?
Elle pose des questions dont elle ne connait pas les réponses puisque dit-elle, elles font partie d’interrogations présentes depuis des millénaires.
La réalité bi-raciale de personnages, a-t-elle été approfondie par sa propre situation identitaire?
La source est-il un drame familial ou un conte spirituel?
Meryam Jobber est assurément une cinéaste profonde pour qui les questions existentielles sont autant de pierres posées dans l’eau, qui lui permettent de continuer sa progression humaine. En dépit de son jeune âge, ses expériences intenses ont fait d’elle une chercheuse d’humanité et de cet indicible qui porte un regard humain au-delà du paysage concret.
Le Conseil d’administration des APLP du 19 décembre 2024 a choisi Meryam Joobeur pour son film sombre, représentatif de la fin 2024 en Syrie.
La jeune réalisatrice a réagi ainsi: “Quelle belle reconnaissance, vous me voyez très émue puisque j’ai toujours cru que l’art avait le pouvoir de connecter l’humanité à l’espoir et à la paix. Quelle joie de découvrir votre organisme à travers votre site web. »
Le personnage central de son film, la grande actrice Salha Nasraoui, tente de protéger au moins son fils cadet du sort échu à ses fils aînés brouillés avec leur père. Là d’où l’on vient raconte un retour d’idéal déchu, qu’on devine être le Djihad islamique entrepris par deux frères, dont le désespoir si noir ne saurait être accablé davantage par quelque jugement que ce soit : se dégage, en un enchaînement de dérapages, le rachat entrevu de leurs âmes pourtant alourdies de meurtres, cette fois à la manière de Robert Bresson. Les images magnifiquement cadrées avec d’innombrables gros plans, dans des paysages de prairies et de bords de mer tunisiens hantés par des comédiens dévorés par leurs personnages, nous plongent dans le sujet éternel de la dévastation guerrière, rarement aussi magistralement exploitée y compris par une musique lancinante, mais pas par des violences de champs de bataille. Madame Joobeur porte son regard aiguisé sur les hommes intérieurement déchirés.
Rarement a-t-on perçu la guerre comme un si intense déchirement familial dans un huis-clos implacable de réfugiés dans leur propre pays, prostrés dans la désillusion d’un retour d’exil. Mais l’art exigeant et poétique de la fabuleuse réalisatrice tunisienne établie à Montréal se garde de tout jugement en témoignant des douloureux ravages d’une extrême pauvreté rurale qui anime les gestes machinaux de bergers acculés à la très dure tâche de survie élémentaire. Nous contemplons, proies médusées, les tensions intrafamiliales insoutenables qu’une femme que j’appelle Mère Courage dans un élan brechtien, tente de calmer, en cherchant fermement à réconcilier un mari aux rigides principes traditionnels avec ses trois fils encore en vie. Mais l’un d’entre eux a ramené de Syrie une femme non musulmane pourtant vêtue d’une burka pour échapper aux regards inquisiteurs qui veulent pour la plupart la juger, une trop infime minorité cherchant à comprendre et à aimer l’étrangère impie. On s’achemine alors, inexorablement, vers un dénouement qu’on pressent sacrificiel. Ainsi, l’œuvre de Meryam Joobeur fait office de miroir embarrassant et inversé pour notre société hypnotisée par le faux glamour américain.
Notes biographiques Élevée en Tunisie et aux États-Unis, la réalisatrice canado-tunisienne Meryam Joobeur vit à Montréal. Elle est diplômée de l’École de cinéma Mel-Hoppenheimhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Meryam_Joobeur à l’Université Concordia. Son court métrage Brotherhood sorti en 2018 avait remporté de multiples prix dans les festivals de cinéma, dont le prix meilleur court métrage canadien au Festival international du film de Toronto 2018 ; il a été nommé pour l’Oscar du meilleur court métrage en prises de vues réelles en 2020.
Son long métrage Là d’où je viens devait initialement porter le nom de Motherhood.
https://www.lautjournal.info/20241129/desesperances-dideaux-dechus
https://www.pressegauche.org/Desesperances-d-ideaux-dechus
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