Le Monde écrit : la double explosion s’est produite samedi matin à un carrefour du centre d’Ankara, la capitale turque, faisant au moins 30 morts et 126 blessés selon un premier bilan officiel communiqué par le ministère de l’intérieur [réévalué au triple de morts]. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a réagi à la mi-journée en condamnant « fermement cette attaque haineuse contre notre unité et la paix de notre pays ». Les propos du président Erdogan confirment que c’est bien l’hypothèse d’un acte terroriste qui est privilégiée par les autorités, même si aucune précision sur le déroulement des faits n’a encore été rendue publique. Une enquête est en cours pour déterminer s’il s’agit là d’un attentat suicide.
On peut apprécier la formulation du Monde sur une hypothèse [évidemment] privilégiée par le gouvernement turc et les islamistes sont, évidemment, à soupçonner (ceux de Boko Haram ont causé le même jour une quarantaine de morts au Tchad, à la frontière du Nigéria). On sait que le gouvernement turc islamique, pressé d’agir contre l’État islamique par la coalition occidentale (vu que la Turquie est membre de l’OTAN et à ce titre, possède même des armes nucléaires), avait finalement le mois dernier bombardé des cibles en Syrie, mais en concentrant les tirs de son armée sur des cibles …kurdes. On sait aussi que les jeunes djihadistes canadiens (étudiants de Montréal, notamment) ont utilisé des vols vers la Turquie où des passeurs les ont complaisamment acheminés à la Syrie.
L’attaque à Suruç près de la frontière syrienne le 20 juillet dernier, qui avait fait 33 morts, avait aussi été imputée par le gouvernement turc à l’État islamique, sans que la police en ait retrouvé les auteurs. Raison pour laquelle le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a souhaité que les auteurs de l’attentat d’hier soient retrouvés au plus vite. Des manifestants se sont plaints de l’intervention musclée des forces de l’ordre les empêchant de venir en aide aux blessés. Bien sûr, avant de conclure à un complot gouvernemental turc (a-t-on trop vu le film Z de Costa-Gavras?), il faut supposer que les policiers cherchaient à ce que la scène ne soit pas brouillée pour leur enquête. Bien sûr …? Le principal parti pro-kurde de Turquie a mis en cause le gouvernement. « Nous sommes confrontés à un État meurtrier qui s’est transformé en mafia« , a réagi le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas. À Istanbul et dans plusieurs villes du sud-est du pays, des milliers de personnes ont conspué le gouvernement aux cris de « Erdogan meurtrier » et « la paix l’emportera ». Des manifestations prokurdes similaires se sont déroulées en Europe, notamment en France, en Allemagne et en Suisse.
Un Kurdistan indépendant pourrait regrouper 44 millions de personnes, 7 en Iran et 5 millions dans la diaspora, le reste en Turquie, en Syrie et en Irak où les Kurdes luttent de toutes leurs forces contre l’État Islamique. Les Artistes pour la Paix, avec le souvenir vivace du premier génocide du XXe siècle, celui des Arméniens aux mains des Turcs il y a cent ans, souhaitent que la situation des Kurdes ne s’envenime pas et c’est pourquoi nous avons traduit la lettre suivante, remise au Consulat turc de Montréal par des militants kurdes quelques heures avant l’attentat.
Lettre au Consulat Général de la Turquie à Montréal
(portée en mains propres le 9 octobre 2015)
Nous, citoyens et citoyennes de Montréal, voulons vous faire part de nos inquiétudes face aux actions du gouvernement turc lorsqu’elles sabotent et attaquent le mouvement libertaire kurde. Nous sommes particulièrement inquiets de la répression des éléments progressifs de la société turque, qui menace les perspectives de paix déjà fragiles de toute cette région du Moyen-Orient.
Nous exprimons notre indignation face à la violence de l’assaut antidémocratique que le gouvernement turc fait subir aux Kurdes, qui nous fait craindre le déclenchement d’une guerre civile. Nous appelons à mettre immédiatement fin aux bombardements par voie aérienne et aux invasions terrestres de camps kurdes en Turquie, en Iraq, en Syrie, ainsi qu’à la répression politique et à l’intimidation des Kurdes, particulièrement dans la ville de Cizre. Nous exprimons notre horreur de voir votre gouvernement peindre le mouvement libertaire kurde sous les mêmes couleurs que des groupes tel l’État Islamique dont on connaît les monstrueux actes de violence. Nous sommes consternés par le manque d’efforts du gouvernement turc d’empêcher les actions terroristes de l’Armée islamiste contre le mouvement kurde, tel le massacre de Suruç en juillet.
Nous appelons à un arrêt immédiat de toute attaque sur les dirigeants et officiers du Parti démocratique des peuples ou HDP (Halkların Demokratik Partisi). Nous constatons avec inquiétude que les procédures démocratiques sont gravement menacées, compromettant ainsi la fiabilité des élections nationales de novembre. De ce fait, nous vous faisons part de notre inquiétude face à l’incapacité du gouvernement turc de prévenir des attaques violentes provenant de groupes nationalistes à l’égard des bureaux du HDP et de médias alternatifs tel que Hurriyet. Nous exprimons nos inquiétudes face aux libertés politiques et médiatiques menacées par l’arrestation de milliers de Kurdes, d’activistes de gauche et de journalistes originaires de la Turquie et de l’étranger pour les empêcher de rapporter ce qui se passe au Sud-Est de la Turquie (avec en plus le blocage de Twitter).
Nous exprimons notre vive inquiétude par rapport à la résistance exprimée par les douaniers face aux masses de réfugiés, certains transportant des cercueils, qui voudraient chercher refuge à Rojava, en fuyant la guerre en Syrie. Nous tenons aussi à dénoncer le couvre-feu répressif et le blocage de nourritures, de matériaux essentiels à la reconstruction de la région, de médicaments et de bénévoles provenant de Turquie et de Syrie qui sont essentiels à Rojava. Nous appelons à mettre fin immédiatement à ces blocages des frontières.
Le Collectif de solidarité avec Rojava de Montréal est un organisme de résidentes et résidents provenant de différents cadres professionnels et politiques qui se sont regroupés afin de montrer leur appui et leur solidarité envers la lutte des Kurdes dans le nord de la Syrie travaillant à aménager de nouvelles visions dans une région géopolitique qui a grandement besoin d’un tel changement. C’est un groupe qui cherche à exprimer sa solidarité avec Rojava et sa révolution sociale, étant donné que celle-ci est basée sur des principes de démocratie directe, communautaire, féministe, écologiste, multiculturelle, apatride ainsi que sur des tactiques de défense contre l’État islamiste. Rojava inspire non seulement les Kurdes et le Moyen-Orient, mais le monde entier.
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