NDLR : Ce texte est paru originalement dans Le Devoir.
«La référence constante aux valeurs canadiennes ne remplace pas l’explicitation de positions politiques cohérentes et consistantes», affirme l’auteur.
Dès qu’il en a l’occasion, le premier ministre Justin Trudeau serine le même refrain : « je vais être clair dans ma défense et dans ma promotion de valeurs canadiennes ». Mais quel message concret faut-il comprendre ? Nul ne le sait. Plusieurs questions restent en suspens. Il laisse la porte ouverte à mille interprétations…En analysant ses actions, il charme peut-être, mais il ne va jamais au fond des choses. Pourquoi ? En utilisant un discours aussi vague, le premier ministre tente-t-il de prévenir les critiques ? Ou fait-il semblant d’être toujours positif ? En réalité, avec un tel leitmotiv, il peut dire une chose et son contraire en couvrant tous ses arguments du parapluie fourre-tout des valeurs canadiennes. En y faisant référence sans veston ni cravate, avec l’air désinvolte d’un jeune vendeur de voitures, il semble parvenir à faire avaler à peu près n’importe quoi. Reconnaissons qu’il s’agit là d’une tactique de communication racoleuse plutôt astucieuse.
À quelles valeurs canadiennes renvoie-t-il quand il aborde les questions relatives à la sécurité et à la course aux armements ? Jusqu’où va-t-il aller dans la lutte contre les armes nucléaires et les armes de destruction massive ? Va-t-il emboîter le pas au président américain en augmentant les budgets militaires ? Quelles valeurs canadiennes justifieraient de telles positions ? Et que dire de la vente de blindés à l’Arabie saoudite ? Le nouveau Programme pour la stabilisation et les opérations de paix semble prometteur, mais peu connu et encore passablement maquillé par le discours sur les valeurs.
Qu’en est-il par rapport à la protection des droits des réfugiés et des immigrants ? Bien malin qui peut prédire quelles valeurs canadiennes le premier ministre va évoquer face aux velléités du président Trump de serrer la vis d’une façon radicale et d’expulser des dizaines de milliers de personnes.
De quelles valeurs canadiennes est-il question dans les suites timides que son gouvernement semble donner au rapport de la Commission vérité et réconciliation sur les enjeux reliés aux droits et au développement des communautés autochtones, tout particulièrement en considérant la situation de pauvreté endémique qui touche plusieurs de ces communautés ?
Y a-t-il lieu de s’étonner quand le premier ministre se dit ouvert à la discussion avec le président Trump au sujet de la fermeture des frontières ? À ce jour, le gouvernement du Canada s’est montré très timide à ce sujet… au nom des valeurs canadiennes.
Expressions fétiches
Que fera-t-il quant aux échanges entre les producteurs d’armes canadiens et américains ? Quelles valeurs canadiennes sous-tendent le fait de les maintenir intégralement, voire de les améliorer ? Et que dire de l’investissement massif dans l’achat des chasseurs Super Hornet à gros prix ? Quelle valeur canadienne justifie cette nouvelle complicité militaire avec les États-Unis ?
Ces valeurs signifient-elles arrimer les positions aux seuls intérêts des élites économiques et financières ? Que signifie défendre les valeurs canadiennes quand le premier ministre se colle aux compagnies pétrolières tout en disant vouloir protéger l’environnement ? C’est dire une chose et son contraire.
Il semble que la manipulation de l’expression « les valeurs canadiennes » sous tous les angles fait partie de la construction d’un discours pour ajouter à l’image décontractée du premier ministre. Le contenu reste flou et vide à souhait. En nous rejouant ad nauseam le refrain des valeurs canadiennes, les artisans de l’image du premier ministre trouvent astuces, sophismes et entourloupettes pour faire avaler diverses positions controversées, comme l’appui au développement des gazoducs. Au fil des jours, on en vient à ne plus trop savoir ce que représentent ces valeurs dites canadiennes. Pourquoi ? Parce que la référence constante aux valeurs canadiennes ne remplace pas l’explicitation de positions politiques cohérentes et consistantes. Il en est de même pour l’autre expression floue et passe-partout qu’est la « classe moyenne ». Toutes ces expressions fétiches du premier ministre Trudeau lui semblent fort utiles, mais dans le jargon politique, on peut parler de la « langue de bois » comme somnifère du bon peuple. Il serait plus utile de voir concrètement comment il applique les principes de la Charte canadienne des droits. Il y a là des valeurs fondamentales, particulièrement comme fondement pour développer des politiques de défense et de promotion des droits fondamentaux et des droits sociaux et économiques.
Et le dernier « mais », étonnant celui-là, est le silence de l’opposition au sujet de ces perpétuelles références à des expressions passe-partout. On ne semble pas savoir sous quel angle affronter le premier ministre.
André a précisé au Devoir qu’il aimerait voir sa signature de son article associée aux Artistes pour la Paix.
Nadia Alexan – Abonnée
13 mars 2017 01 h 06 Des déclarations vides de sens! Vous avez raison, professeur André Jacob. C’est exactement «la langue de bois» que le Premier ministre utilise pour plaire à tout le monde. On ne peut pas faire plaisir aux multinationales d’armements et aux pétrolières en augmentant les effets de serre avec la construction des pipelines pour vendre le pétrole sale des Sables bitumineux, et en même temps se réclamer d’être le sauveur de l’environnement. Comme on ne peut pas se réclamer d’être féministe et en même temps acquiescer au chantage de l’Islam politique qui exige le port de la bourka et au niqab, des vêtements symboles de la soumission des femmes et du totalitarisme de l’Islam politique propagé par l’Arabie saoudite. Justin Trudeau doit avoir un peu de cohérence dans ses déclarations vides de sens!
Nicole Ste-Marie – Abonnée
13 mars 2017 05 h 30 Valeurs canadiennes ? Ce sont les valeurs, en dollars canadiens, des actions et obligations contenues dans son portefeuille (hérité de papa Pierre Elliott) et dans les portefeuilles des pétrolières.
Quand il parle d’économie, il parle de PIB et de PNB, pas des ressources humaines. Jamais dans le bilan des gouvernements il y a une colonne qui quantifie l’amélioration de la qualité de vie des Canadiens, jamais.
Pour les citoyens il y a : variation dans le taux de chômage, augmentation des prix à la consommation, augmentation du panier d’épicerie, augmentation des frais de scolarité, augmentation des frais d’électricité donc indirectement des impôts, augmentation du prix de l’essence à la pompe donc augmentation de la TVQ, augmentation du prix du vin.
Augmentation des salaires des hautes directions des sociétés d’État et loi de retour au travail pour les officiers de l’état qui revendique de meilleures conditions de travail et … …, et …, rien pour la classe moyenne qui s’appauvrit toujours et de plus en plus pour la classe riche qui s’enrichit de ses abris fiscaux.
CE SONT LES VALEURS CANADIENNES.
Jacques Lamarche – Abonné
13 mars 2017 08 h 34 Seul sur la glace! Et peu de débats et de confrontations! Le monde de l’information, au Québec, au Canada, aux USA également je crois, fonctionne, d’une part, sur un modèele qui veut que les politiques soient seuls sur la glace lorsqu’ils s’adressent aux citoyens! Rarement sont-ils confrontés à une solide opposition. D’autre part, les émissions d’information proposant de discussions entre experts sont rares. En France, tous les jours, on peut assister à des débats entre trois ou quatre spécialistes sur cinq, six, sept, … chaînes! Les politiques sont sérieusement talonnés, leurs termes étroitement surveillés!
Ainsi, les Trudeau, Couillard, Barrette … peuvent s’en donner à coeur, sans se soucier des termes creux que vous dénoncez et d’une démagogie habilement maquillée!
Jean-Pierre Marcoux – Abonné
13 mars 2017 08 h 54 Speak white Pour les américains que je connais, les valeurs canadiennes tiennent surtout à une forme douce de socialisme, où l’individu n’est pas laissé à lui-même, mais épaulé par la collectivité.
Pour les canadiens-anglais que je connais, c’est justement le fait de ne pas être comme les américains, d’être moins agressifs, pas impérialistes, plus modestes.
Pour le québécois que je suis, les valeurs canadiennes sont beaucoup celles qu’on a voulu m’imposer de force tout au long de mon histoire personnelle et de celle du peuple québécois, à titre de minorité linguistique, culturelle et juridique.
Oui, le peuple canadien et le peuple québécois partagent certaines valeurs, comme ils en partagent avec les pays scandinaves. Mais ils se distinguent à plusieurs niveaux : multiculturalisme vs interculturalisme, identitaire vs mondialisation…
J’aime bien voir ça comme une forme bénéfique de sociodiversité, au même titre que la biodiversité est une bonne chose sur notre grande planète qui semble rapetisser à mesure qu’elle devient un écoumène.
Michel Lebel – Abonné
13 mars 2017 08 h 56 Une évidence!
Mais voyons, Trudeau, c’est le vide incarné! Absolument aucune profondeur dans ses discours. Le vide, vraiment le vide!
Maurice Gendron
Oui, André, il fallait attendre que ta plume vive, droite, franche, ose ce magnifique texte! Bien écrit d’un bout à l’autre. Bien factuel. Touchant la cible au plus pointu. Avant qu’il ne mette sa « chaise en jeu », comme son précédent, pour défendre les valeurs canadiennes, il fallait bien que tu lui fasses voir sa morve au nez…sans y passer le mouchoir. Bravo pour l’audace joyeuse et fine! Je suis certain que tu ne manqueras pas l’occasion de lui remettre en main propre ce si beau miroir pour qu’il selfie! Bye Maurice