Kaboul, Afghanistan, le 13 août 2022

Kaboul, Afghanistan, le 13 août 2022. Photo : Nava Jamshidi/Getty

Le texte indispensable émanant d’ONU Femmes nous laisse un peu découragés devant sa naïveté de bon sentiment. Nos médias canadiens font pire, en reproduisant plutôt des images d’il y a un an de la pagaille à l’aéroport de Kaboul alors que les Talibans reprenaient le pouvoir : la discussion nationale porte à courte vue (voir texte sur l’histoire afghane en postface) sur le fait que le Canada a renié sa promesse d’accueillir 40 000 collaborateurs afghans (on en est à 17 000). Les APLP sont pour l’accueil de réfugiés de guerre au Canada, dans la mesure où on ait le souci de discriminer ceux coupables de crimes de guerre (même aux côtés de nos forces armées); on sait que la guerre n’a jamais amélioré le sort de quelque pays que ce soit.

Dès le premier jour de l’intervention armée occidentale en Afghanistan (7 octobre 2001), les Artistes pour la Paix la dénonçaient avec les comédiens Pascale Bussières et Jean-François Casabonne. Les forces armées occidentales, en particulier américaines et canadiennes, ont dépensé en vingt ans plus d’une centaine de milliards de dollars non pas pour améliorer le quotidien des Afghans mais pour attaquer un ennemi mal défini, vu l’identité pachtoune du président corrompu Karzaï : notons qu’il s’est racheté, en ayant la lucidité dès le début de l’invasion russe en Ukraine de conseiller au président Zelensky d’entreprendre des négociations de paix avec la Russie pour éviter de livrer son pays à 20 ans de guerre par procuration semblables à ce que son pays a soufferts.

Navrés par les innombrables articles qui reflètent tendancieusement un sentiment de supériorité occidentale qui se déresponsabilise de ses actes destructeurs guerriers, nous proposons l’article d’ONU Femmes représentant un exemple d’engagement à travailler ensemble pour un futur amélioré de paix.

ONU-Femmes

Sima Bahous
Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Directrice exécutive d’ONU Femmes

Au cours de l’année qui s’est écoulée depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, nous avons constaté une détérioration quotidienne et continue de la situation des femmes et des filles afghanes. Cela a couvert tous les aspects de leurs droits humains, du niveau de vie au statut social et politique. Cette année a été marquée par un manque de respect croissant pour leur droit à vivre une vie libre et égale, les privant de moyens de subsistance, d’accès aux soins de santé et à l’éducation, et d’évasion des situations de violence. (…) C’est le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’aller au lycée. Il n’y a pas de femmes dans le cabinet des talibans, pas de ministère des Affaires féminines, ce qui supprime de fait le droit des femmes à la participation politique. Les femmes sont, pour la plupart, également empêchées de travailler à l’extérieur de la maison et sont tenues de se couvrir le visage en public et d’avoir un chaperon masculin lorsqu’elles voyagent. En outre, elles continuent d’être soumises à de multiples formes de violence basée sur le genre.

Cette série délibérée de mesures de discrimination contre les femmes et les filles afghanes est également un acte terrible d’auto-sabotage pour un pays confronté à d’énormes défis, notamment des catastrophes naturelles et liées au climat, à l’exposition aux vents contraires de l’économie mondiale qui laissent quelque 25 millions d’Afghans dans la pauvreté et beaucoup d’affamés. L’exclusion des femmes de tous les aspects de la vie prive le peuple afghan de la moitié de son talent et de son énergie. Cela empêche les femmes de diriger les efforts visant à bâtir des communautés résilientes et réduit la capacité de l’Afghanistan à se remettre d’une crise. (…)

C’est pourquoi nous exhortons les autorités de facto à ouvrir des écoles pour toutes les filles, à supprimer les contraintes à l’emploi des femmes et à leur participation à la politique de leur nation, et à révoquer toutes les décisions et politiques qui privent les femmes de leurs droits. Nous appelons à mettre fin à toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles. Nous exhortons les autorités de facto à veiller à ce que les femmes journalistes, les défenseurs des droits humains et les acteurs de la société civile jouissent de la liberté d’expression, aient accès à l’information et puissent travailler librement et de manière indépendante, sans crainte de représailles ou d’attaques.

ONU Femmes est restée dans le pays tout au long de cette crise et continuera de le faire. Nous sommes inébranlables dans notre soutien aux femmes et aux filles afghanes aux côtés de nos partenaires et donateurs. Nous investissons également dans des organisations de la société civile dirigées par des femmes pour soutenir la reconstruction du mouvement des femmes. Comme partout dans le monde, la société civile est un moteur essentiel du progrès et de la responsabilité en matière de droits des femmes et d’égalité des sexes. Nous devons continuer à lancer un appel collectif et permanent aux dirigeants talibans pour qu’ils respectent pleinement les obligations contraignantes découlant des traités internationaux auxquels l’Afghanistan est partie. Et nous devons continuer à faire entendre la voix des femmes et des filles afghanes qui se battent chaque jour pour leur droit à vivre une vie libre et égale. Leur combat est notre combat. Ce qui arrive aux femmes et aux filles en Afghanistan relève de notre responsabilité mondiale.

Postface

Tirée en grande partie d’un article par William Maley, directeur fondateur du Collège de diplomatie Asie/Pacifique de l’Université nationale australienne, auteur de nombreuses publications sur l’Afghanistan dont des extraits de faits historiques sont sélectionnés par Pierre Jasmin (la pensée idéologique directrice de l’auteur pourrait se sentir trahi par ce montage).

Le 15 mars 1979, la 17e division de l’armée afghane se mutine à Herat, mettant le régime communiste au pouvoir face à un sérieux défi . Taraki demande l’aide de l’Union soviétique, mais le président du Conseil des ministres, Alexeï Kossyguine, répond en des termes mesurés :

« Le déploiement de nos forces sur le territoire afghan pousserait immédiatement la communauté internationale à réagir (…); nous sommes parvenus à la conclusion que si nos troupes étaient déployées, non seulement la situation dans votre pays ne s’améliorerait pas, mais elle s’aggraverait. On ne peut nier que nos troupes auraient à combattre non seulement contre des agresseurs étrangers, mais aussi contre une partie de votre peuple. Et le peuple ne pardonne pas ce genre de choses ».

Malheureusement, à la fin de 1979, la mauvaise santé d’un Kossyguine vieillissant l’écarte en grande partie du processus décisionnel politique et l’assassinat de Taraki [1] conduit les dirigeants soviétiques dans une autre direction. Le 12 décembre 1979, une réunion du Politburo soviétique, présidée par le ministre des Affaires étrangères Andrei Gromyko, accepte la recommandation de quatre dirigeants soviétiques et membres du Politburo  – Léonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste, Youri Andropov, président du Comité pour la sécurité de l’État (le KGB), Dmitri Ustinov, ministre de la Défense, et Gromyko lui-même  – d’envahir l’Afghanistan.

Les « moudjahidines » (résistants armés « qui pratiquent le djihad ») bénéficient pratiquement tout au long des années 1980 du soutien actif des États-Unis du président Reagan et du Pakistan du général Zia ul-Haq. (…) Cette situation irrite profondément des commandants tels que Massoud, qui (…) pressentent que l’on risque ainsi de créer un monstre qu’il faudra un jour combattre. Sur ce point, ils se révéleront d’ailleurs beaucoup plus clairvoyants que les décideurs à Washington ou le personnel de la CIA à Islamabad.

Le 13 novembre 1986, le Politburo soviétique prend la décision de retirer ses troupes. Le président afghan Najibullah est encouragé à élargir la base de son régime en facilitant la « réconciliation nationale », mais les blessures de la guerre sont trop profondes et, comme relevé dans une analyse, son passé dans la police secrète « l’exclut irrémédiablement en tant qu’architecte de la réconciliation nationale ». Pratiquement dès l’instant où la fourniture des ressources soviétiques cesse, son régime [qui comprend plusieurs femmes ministres non voilées] commence à se disloquer et en avril 1992, s’effondre complètement.

C’est dans le contexte nouveau de guerre civile qu’émerge le mouvement taliban sur la scène afghane, avec pour commencer la prise de la ville de Kandahar en 1995, et enfin celle de Kaboul en septembre 1996. « Taliban » est simplement le pluriel persan du mot arabe signifiant « étudiant ». Si plusieurs « fronts talibans » existaient en Afghanistan au début des années 1980, le mouvement de 1994 est différent, en ce sens qu’il (…) jouit du soutien du Pakistan. Comme le relève Human Rights Watch : « De toutes les puissances étrangères qui participent aux efforts visant à soutenir et influencer les combats en cours, le Pakistan se distingue à la fois par l’étendue de ses objectifs et l’ampleur de ses efforts, qui consistent notamment à lever des fonds pour les talibans, à financer les opérations menées par les talibans, à fournir un soutien diplomatique en tant qu’émissaire virtuel des talibans à l’étranger, à organiser l’entraînement des combattants talibans, à recruter une main-d’œuvre qualifiée et non qualifiée pour servir dans les forces talibanes, à planifier et diriger des offensives, à fournir des munitions et du carburant et à en faciliter l’acheminement, et à fournir, à plusieurs reprises un soutien direct aux combats ».


[1] Homme d’État afghan, secrétaire général de 1965 à sa mort en 1979 du Parti démocratique populaire d’Afghanistan (PDPA) et président du Conseil révolutionnaire de la République démocratique d’Afghanistan du 30 avril 1978 jusqu’à son assassinat le 14 septembre 1979. La présidence de Nour Mohammad Taraki initie des réformes communistes, dont une ambitieuse campagne d’alphabétisation et de redistribution des terres aux paysans pauvres, mais échoue le test de leader national en demandant l’aide de l’armée soviétique.