Douglas Roche, ancien député, sénateur et ambassadeur du Canada pour le désarmement, est l’auteur de « Hope Not Fear: Building Peace in a Fractured World ». Publié avec l’aimable autorisation de The Hill Times.
Traduction : Michel Duguay
EDMONTON – « La fureur du virus illustre la folie de la guerre. En une courte phrase, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a ouvert la porte à une nouvelle compréhension de ce qui constitue la sécurité humaine. Les gouvernements saisiront-ils l’occasion offerte par l’immense crise de la COVID-19 pour enfin adopter un programme mondial pour la paix ? »
Dans une décision extraordinaire le 23 mars, Guterres a exhorté les parties belligérantes du monde entier à déposer leurs armes à l’appui de la plus grande bataille contre COVID-19 – l’ennemi commun menaçant maintenant toute l’humanité. Il a appelé à un cessez-le-feu mondial immédiat partout. « Il est temps de mettre le conflit armé sous contrôle et de se concentrer ensemble sur le vrai combat de nos vies. »
Son plaidoyer pour « faire taire les armes » créerait des couloirs d’aide vitale et ouvrirait des portes à la diplomatie dans les zones déchirées par la guerre en Syrie, au Yémen, en Afghanistan, en Irak, en Libye et dans les régions centrales de l’Afrique.
Mais la signification profonde de l’appel de Guterres est bien plus grande que la suspension des guerres existantes. C’est un avertissement aux gouvernements du monde entier que la guerre ne résout pas les problèmes existants, que les énormes dépenses consacrées aux armements détournent les fonds désespérément nécessaires pour les équipements sanitaires, qu’un militarisme trop bien financé est impuissant contre les nouveaux tueurs dans un monde globalisé.
Toutes les armées du monde ne peuvent pas arrêter la COVID-19. C’est un moment sombre et effrayant quand une foule de microbes met l’humanité à genoux. Nous sommes arrivés à un tournant dans l’histoire du monde. Les anciennes façons de renforcer la sécurité – des armes plus puissantes et plus sophistiquées – sont complètement hors de propos maintenant.
Alors, que devons-nous faire lorsqu’un virus franchit ouvertement les frontières et ignore les systèmes d’armes stratégiques ? Davantage de la même pensée qui a trompé les gens en leur faisant croire que tant que nous aurions de gros canons, nous serions en sécurité ne sera pas la solution. Nous devons revoir notre façon de penser.
Une grande réflexion n’est pas seulement une pilule. C’est maintenant essentiel pour la survie. Nous devons construire un système pour assurer une sécurité commune. Au milieu de la guerre froide il y a quatre décennies, un panel international composé d’expert-étoiles dirigé par le Premier ministre suédois Olof Palme a établi le principe qu’à l’ère des armes de destruction massive, aucune nation ne peut à elle seule trouver la sécurité. Les nations ne peuvent trouver la sécurité que dans la coopération et non aux dépens les unes des autres. Selon Palme, la sécurité commune exige la fin des compétitions d’armements, la retenue nationale et un esprit de responsabilité et de confiance mutuelle.
Au cours des années suivantes, l’idée de sécurité commune s’est élargie au-delà des mesures militaires pour inclure de nouveaux courants de coopération dans le développement économique et social et la protection de l’environnement.
Soudain, en 1989, le mur de Berlin est tombé. L’Union soviétique a implosé. La guerre froide a pris fin. En 1992, le Secrétaire général de l’ONU à l’époque, Boutros Boutros-Ghali, a écrit un magnifique document, Agenda pour la paix, incorporant les idées de sécurité commune dans des programmes pratiques de consolidation de la paix, de diplomatie préventive et de maintien de la paix.
Mais au lieu de remanier le système de sécurité mondial pour assurer une sécurité commune à tous, les gouvernements ont continué à marcher lourdement et ont jeté par la fenêtre le dividende de paix qu’ils avaient entre leurs mains. Les pays occidentaux ont étendu l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. La Russie a envahi la Crimée. Les dépenses d’armes ont grimpé en flèche. Les gouvernements ont gaspillé une magnifique occasion de construire un monde de paix. La culture de la guerre était trop forte et le moment a été perdu.
Il y a trente ans, la grande historienne Barbara Tuchman et auteure de la «Marche de la folie» avait raison quand elle a écrit : « La tête dure, source d’auto-tromperie, est un facteur qui joue un rôle remarquablement important au sein du gouvernement. Elle consiste à évaluer une situation en termes de notions fixes préconçues tout en ignorant ou en rejetant tout signe contraire. »
Maintenant, dans la crise actuelle, Guterres nous dit que la poursuite de la « folie » de la guerre met en danger la sécurité de tous – les riches comme les marginalisés. La demande de l’administration Trump de 46 milliards de dollars de plus pour les armes nucléaires, alors que le pays ne peut même pas fournir suffisamment de masques au personnel de la santé pour traiter le COVD-19, est obscène au-delà des mots.
Et qu’en est-il du Canada ? Le gouvernement prévoit d’augmenter les dépenses de la défense à 32 milliards de dollars d’ici 2027. Pourquoi ? Pour apaiser l’appétit militaire gargantuesque du président américain Donald Trump, lequel pousse les États de l’OTAN à dépenser 2% de leur PIB en armement et tout ce qui va avec. Nous pouvons battre COVID-19 en dépensant de l’argent pour des mesures sanitaire et de développement médical, non pas pour des armes.
Il vaut beaucoup mieux réduire de 10% les dépenses prévues du Canada en matière de défense et consacrer 2 à 3 milliards de dollars supplémentaires aux « Objectifs de développement durable » des Nations Unies, ce programme en 17 points étant axé sur d’énormes améliorations en matière de santé maternelle, de systèmes d’approvisionnement en eau et d’agriculture durable. Mais nous ne pouvons pas y arriver avec une poursuite de la planification traditionnelle. Nous avons besoin d’une réflexion vraiment audacieuse pour repousser la menace que COVID-19 fait peser sur la sécurité commune.
Le gouvernement canadien veut montrer ce qu’il pourrait faire au Conseil de sécurité des Nations Unies. Faire passer la pensée politique de la culture de la guerre à une culture de la paix serait digne du plus grand défi de santé auquel le Canada a été confronté au cours des cent dernières années.
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