Par  Christophe Chowanietz, 2025, le Devoir 

Professeur de science politique au Cégep John Abbott, il nous envoie son texte magistral. Ses enseignements et ses recherches portent principalement sur la violence politique, avec un intérêt particulier pour le terrorisme, la politique américaine et le mythe du rêve américain. Il est l’auteur de Bombs, Bullets, and Politicians, publié aux éditions McGill-Queen’s University Press

“The greatest threat to our planet is the belief that someone else will save it” Robert Swan 

Cher Christophe, 

Vous pouvez lire mes articles hebdomadaires sur le site www.artistespourlapaix.org et vous pourrez constater que nous appuyons en tous points votre remarquable article d’hier intitulé L’EMPIRE DES ILLUSIONS. Nous aimerions le reproduire, avec votre permission, votre photo et une courte notice biographique. Nous apprécierions recevoir aussi la version en anglais (si elle existe) qui pourrait intéresser nos amis torontois de SCIENCE FOR PEACE. Je vous félicite d’avoir rédigé une opinion aussi maîtrisée, et contenant tant d’informations controversées par nos médias.

Mes hommages,

Pierre Jasmin Secrétaire général des Artistes pour la Paix. 

 

Des politiciens de tous horizons, aux chroniqueurs politiques les plus établis, jusqu’aux snowbirds avachis sur leurs transats en Floride, nous partageons aujourd’hui une même stupeur hagarde. Nous sommes, collectivement, en train de nous réveiller péniblement d’un long et doux rêve américain qui, depuis de longues décennies, berce nos vies. D’un océan à l’autre, une même lamentation se fait entendre comme un leitmotiv d’incrédulité : What The F! Pardonnez l’anglicisme, mais il s’impose ici : il est le cri de Gregor Samsa, ce personnage de la Métamorphose de Kafka découvrant, un beau matin, qu’il s’est changé en insecte, ou plutôt, que le monde autour de lui s’est métamorphosé en une chose informe et menaçante. 

Si les Canadiens peinent à saisir la réalité dans laquelle ils se sont réveillés au lendemain du retour de Donald Trump au pouvoir, c’est peut-être parce qu’ils ont longtemps refusé d’admettre l’évidence : les États-Unis d’Amérique n’ont jamais été cette grande démocratie éclairée que l’on voulait croire, mais bel et bien un Empire – un empire à l’appétit hégémonique insatiable, depuis plus d’un demi-siècle. Demandez donc aux Chiliens de 1973, aux Vietnamiens bombardés jusqu’à l’âge de pierre, aux Iraniens trahis, aux Haïtiens dépossédés, et à tant d’autres peuples qui ont vu leur désir de liberté réduit à néant, voir en cendres, par ce même allié que nous avons longtemps chéri les yeux fermés. 

Un Empire, pas une démocratie 

Cet aveuglement coupable à l’égard de la véritable nature des États-Unis est d’autant plus aberrant et consternant qu’il est encore partagé par ceux-là même qui devraient être les premiers à en percer le vernis : universitaires, intellectuels médiatiques et autres commentateurs politiques soi-disant avertis. C’est une chose de se prélasser sur une plage de Floride ou de magasiner à Burlington, c’en est une autre de continuer de présenter les États-Unis comme une démocratie garante des libertés et de la justice. Ce pays, dont nous chantons trop souvent les louanges, n’a jamais été autre chose qu’une ploutocratie militarisée; une société où les fusillades et les bavures policières ne sont pas des faits divers exceptionnels, mais la marque d’un pays profondément malade, violent et raciste. La démocratie états-unienne, loin d’être un rempart contre la barbarie, n’est qu’un décor, un masque derrière lequel se dissimule un Empire régi par une élite vorace et un complexe militaro-industriel que Ike Eisenhower, pourtant général et président, décrivait lui-même comme une menace existentielle pour la liberté.  

Cela fait bien longtemps que le peuple états-unien n’a plus prise sur sa destinée, pris en otage par un système où le choix électoral se réduit à une illusion. Comme nous le rappelle Chris Hedges, l’ancien journaliste du New York Times, les démocrates et les républicains ne sont dorénavant que les deux branches d’un même parti, celui du Corporate Party, ce parti unique du capital. 

Le masque de la liberté 

Quant à Donald Trump, il n’est que la dernière incarnation d’une longue lignée d’Empereurs, en portant à leur paroxysme les tendances impériales déjà bien enracinées. Trump incarne la version décomplexée d’un Empire qui, pour survivre, doit s’accaparer les ressources des autres, ignorer les frontières, écraser les souverainetés. Aux yeux des États-Unis, le Canada, le Québec, tout comme le Groenland, ne sont pas des partenaires. Ils sont une réserve stratégique regorgeant de ressources. Un garde-manger impérial à ciel ouvert. Il suffit de songer à la crise croissante de l’eau dans le Sud-Ouest américain—de la Californie, à l’Arizona en passant par le Nevada—, pour comprendre l’intérêt vorace que l’Empire porte à notre territoire. Rappelons que le Canada à lui seul possède 20% des réserves d’eau douce de la planète. L’Empire a soif, littéralement. Si notre rêve américain vire au cauchemar éveillé, c’est bien parce que nous nous sommes laissé berner. Nous avons été hypnotisés trop longtemps par la machine à rêves qu’est Hollywood, les refrains de Taylor Swift, la frénésie consumériste d’Amazon, l’adrénaline du Superbowl, bref par l’adoration manufacturée de l’American way of life.  Nous sommes demeurés aveugles à son visage réel :  celui qui, derrière Mickey Mouse, cache l’ombre d’Hiroshima et de Nagasaki, l’acte fondateur de l’Empire et de sa domination par la force. C’est ce pouvoir d’attraction, ce soft power redoutable, qui a rendu l’Empire si difficile à nommer, si facile à aimer. Le Canada ne deviendra peut-être pas le 51ème État tant espéré par Trump. Mais à moins d’un réel sursaut collectif, nos dix provinces et trois territoires, y compris le Québec, continueront d’être traités comme un arrière-pays colonial, un frigo bien garni pour l’ogre américain. Et nous, comme des vassaux, continuerons à applaudir entre deux pauses publicitaires. (30)

J’ai obtenu mon doctorat en sciences politiques à l’Université de Montréal et ma maîtrise en relations internationales de la London School of Economics. Je donne les cours d’introduction à la politique, à la politique internationale et à l’économie politique, ainsi que les cours de gestion de crise.  Je suis l’auteur de Bombs, Bullets and Politicians publié par McGill-Queen’s University Press. An in-depth and comparative inquiry into the reactions of political elites in the aftermath of terrorist attacks. 

In the weeks following the 9/11 attacks, the mainstream political elite in Washington, DC acquiesced to every major decision taken by George W. Bush’s administration while partisan politics in Congress ceased. As a nation and its representatives rallied around their leader, the diversity of opinions and the role of political opposition seemed suddenly less vital. A similar unity materialized in the aftermath of the attacks on Charlie Hebdo in January 2015, as millions marched across Paris and the “Marseillaise” resonated throughout France.
Emphasizing France’s distinctive struggle against terrorism between 1980 and 2016, Bombs, Bullets, and Politicians presents a comparative analysis of how political elites react to terrorist attacks in five western democratic states.  

Demonstrating that the magnitude and frequency of terrorist acts determines whether political elites rally around the flag or rail against the government, Christophe Chowanietz formulates hypotheses on the likely impact of various patterns of terrorist actions. He first tests these hypotheses quantitatively in relation to an existing database of incidents, and then qualitatively in the effects that terrorist attacks have had in France. Shedding light on the difference in reactions between mainstream, radical, right-wing, and left-wing parties, Chowanietz argues that terrorism never fails to disrupt the political game. In an age when the news is dominated by terrorist threats and debates on what to do about them, Bombs, Bullets, and Politicians offers a pertinent analysis of the relationship between terrorism and the conduct of the West’s party politics.