pouvoir_des_arts

Le 18 février sur la scène de l’auditorium du Musée des Beaux-Arts de Montréal, de gauche à droite : le président national des Artistes pour la Paix André Michel, Pierre Jasmin brandissant le programme de la fin de semaine, Aquil Virani qui animait un atelier et Jean-Daniel Lafond, directeur de la Fondation Michaëlle-Jean.

Trois jours de présentations et de discussions réunissant plus de trois cents artistes ont animé le Musée des Beaux-Arts de Montréal du 16 au 18 février 2018 : une initiative de la Fondation Michaëlle-Jean, à laquelle se sont joints principalement Nathalie Bondil, directrice générale et conservatrice en chef du Musée, Sébastien Goupil de la Commission Canadienne pour l’UNESCO et le Réseau des donateurs pour la paix (« promouvoir l’harmonie sociale ») représenté par le philanthrope Brian Bronfman et par Audrey Lamothe, diplômée d’une maîtrise en médiation interculturelle de l’Université de Sherbrooke, oeuvrant à rendre tangible ce qu’on appelle le « mieux vivre ensemble ».

Des armes pour la paix

Vendredi le 16, une cérémonie d’ouverture a mis en vedettes artistiques le duo autochtone Twin flames, le musicien slam et poète inspiré du Togo-Côte d’Ivoire Yao accompagné par la pianiste Marianne Dumas, les Imani Gospel Singers qui ont fait danser la salle et un prélude de Bach et une ballade de Chopin, interprétés sur un excellent Steinway.

Le moment le plus intense de la soirée fut la remise de bourses TD à quatre jeunes lauréates totalement investies dans leurs missions d’entraide humanitaire : Michaëlle Jean était sur scène à leurs côtés à 21 heures pour poser maintes questions très pertinentes en anglais et en français à cette jeunesse à la belle énergie, générant de multiples applaudissements mérités dans la salle.

Ma propre présentation consistait en un survol historique des engagements des Artistes pour la Paix . J’énumère ici ceux auxquels la si riche fin de semaine, à en juger par le programme, n’a pas fait allusion, malgré leurs liens avec la paix :

  • les bombes nucléaires que 122 pays veulent voir éradiquées, suite à l’action d’Elayne Whyte-Gomez, ambassadrice au Costa-Rica et suite aux pétitions des 7582 Maires pour la Paix, de mille membres de l’Ordre du Canada et du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire, toutes ignorées par les médias;
  • le contrôle des armes à feu, sujet que la récente tuerie dans une école secondaire de Floride a brutalement ramené à l’agenda;
  • la dégradation des Casques Bleus canadiens : il n’en reste que 42, dont dix-neuf policiers;
  • les mines anti-personnel combattues par le Traité d’Ottawa de Jean Chrétien ainsi que les drones, bombes à sous-munitions et blindés canadiens, ces derniers vendus à l’Arabie Saoudite alors qu’heureusement, les hélicoptères ont été enlevés aux Philippines;
  • la responsabilité canadienne dans la naissance de la Cour Pénale Internationale de LaHaye, mais hélas aussi dans le massacre perpétré par l’OTAN en Libye (voir plus loin);
  • le travail de solidarité en faveur des 66 millions de réfugiés mondiaux avec l’UNHCR, l’UNESCO et avec Humanité et Inclusion, anciennement Handicap International;
  • la solidarité avec les Kurdes, les Rohingyas, les Palestiniens et les Bosniaques;
  • la dénonciation de la pollution radioactive des centrales nucléaires (Guylaine Maroist) et fermeture de notre mine d’amiante (Louise Vandelac et Kathleen Ruff);
  • les autres actions écologistes à la suite de Gro Harlem Brundtland, de Pierre Dansereau et de Dominic Champagne (22 avril 2012 et le printemps érable);
  • la participation des femmes (Raging Grannies et Mémés déchaînées) pour changer le monde macho avec #me too et #etMaintenant, tout en veillant à ce que les critères de justice soient respectés (Margaret Atwood);

 

Voilà quelques-uns des dossiers où les APLP ont investi des milliers d’heures. Le diaporama a été accueilli par un silence impressionnant qui en disait long sur son impact, m’a félicité Philippe Duhamel, militant pour la paix de longue date qui a rédigé la plupart des présentations des participants lors des trois jours.

Samedi le 17 s’est terminé par deux prestations énergiques de Seidnaly Sidhamed, alias Alphadi et par le guitariste-chanteur-conteur-compositeur-interprète Gotta Lago qui a fait lever toute la salle.

Le discours final de Jean-Daniel Lafond

Exaltante fin de forum dimanche, avec une présentation des Jeunes du bout du monde animés par le militant anti-raciste noir de Montréal-Nord, Ricardo Lamour, tandis que Vanessa Kanga créatrice du Festival Afropolitain Nomade, ma collègue de l’UQAM Mona Trudel, l’APLP Guy Demers et Caroline Laplante du Centre des Femmes l’Autonomie en Soi de Saint-Hyacinthe exprimaient leur souci d’intégrer l’art des plus pauvres de nos sociétés riches (par exemple, ATD-Quart-Monde et Miguel Estrella).

Nous avons ensuite entendu l’auteure-compositrice-interprète Beatrice Deer, accompagnée de son guitariste Jordey Tucker, précéder l’énoncé d’une Déclaration des arts pour la paix, formulée par le Réseau des donateurs pour la paix.

Mais cette déclaration, un peu « tarte aux pommes » où tout était naturellement beau et gentil, a été suivie par une réflexion du brillant directeur-philosophe de la Fondation Michaëlle-Jean, Jean-Daniel Lafond, ayant travaillé d’arrache-pied à réunir tout le monde des premières heures aux dernières de l’événement : il nous a entretenus de sa persuasion que le pouvoir des arts contenait aussi une face sombre qu’il faut avoir le courage de dévoiler.

Ce que je m’autorise à faire ici, avec l’exemple sinistre de Harvey Weinstein, déjà évoqué lors de ma présentation de vendredi sur le mouvement #moiaussi et #etMaintenant, et leur endossement par Margaret Atwood dont les dystopies rencontrent un succès retentissant trente ans après leurs créations car elles expriment audacieusement les débordements de sociétés totalitaires imperméables à l’art et aux préoccupations des femmes. Voici de quoi il s’agit :

thomas_frankThomas Frank, journaliste américain qui écrit pour The Guardian, vient de révéler les usages par Weinstein de son pouvoir pour empêcher de célèbres artistes d’appuyer Bernie Sanders plutôt que Hillary Clinton. Ce qui suit est tiré de son article What Harvey Weinstein tells us about the liberal world, suivi de révélations sur ses liens avec Bernard Henri Lévy contenues dans un autre article, celui du Monde diplomatique de février 2018, page 28.

« En 2012, Weinstein achète les droits américains sur le Serment de Tobrouk [1], documentaire par l’élégamment vêtu Bernard-Henri Lévy destiné à promouvoir sur la scène internationale la destruction en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi – destruction mieux connue aux États-Unis sous le nom de « guerre de Hillary » [Clinton] et dont la Libye, sept ans plus tard, ne s’est pas remise.

Car passées les hésitations des premières semaines de ce qui avait été présenté comme une opération onusienne destinée à protéger les islamistes minoritaires de Benghazi [2] d’un carnage aux mains de l’armée libyenne, il est vite apparu que le général canadien Charles Bouchard [3], commandant l’aviation de l’OTAN lors de l’opération, avait reçu des ordres secrets de bombarder le régime jusqu’à son extinction complète. Depuis cette date, la Chine et la Russie, échaudées par leur accord irréfléchi à cette mission catastrophique, n’ont plus autorisé aucune opération armée émanant du Conseil de Sécurité de l’ONU, car il est difficile d’imaginer des coûts humains plus dévastateurs en morts, en réfugiés et en prisonniers des pires camps de concentration depuis l’époque nazie, comme nous l’a révélé la journaliste Sophie Langlois de Radio-Canada.

Si BHL tente de se racheter une virginité en risquant sa vie pour filmer le combat désespéré des Kurdes, l’opération est hors de portée pour Weinstein.

La féministe Marilyn French écrivait dans la fascination du pouvoir [4] les mots suivants qui nous ramènent aux nombreuses prises de position par les APLP contre les bombes nucléaires :

« L’imagerie en question, comme la véhiculent films et romans, ne propose qu’un passé dépoussiéré, et ce passé tel qu’il était ne peut mener qu’au présent tel qu’il est. […] Mais de vision d’un avenir pour l’humanité, point. La réalité justifie suffisamment notre impression de vivre une époque perturbée où nous nous acheminons, frissonnants d’horreur, vers la fin du monde. Les peuples du XIVe siècle, affligés par des guerres incessantes et par la peste noire, croyaient eux aussi la fin du monde proche; toutefois ils manquaient des moyens de la provoquer. Nous les avons. Et rien, dans l’histoire de l’humanité, ne peut nous assurer qu’ils ne seront pas employés ».

Désolé de terminer sur une note aussi apocalyptique ma description de trois jours de rencontres qui ont permis d’envisager l’avenir avec plus d’optimisme, comme le proclamait le titre de ma présentation, copié sur celui de l’ouvrage sur Pierre Dansereau paru en octobre aux Presses de l’Université du Québec : L’espoir, malgré tout !


[1] « Ce film merveilleux, écrit Weinstein, montre le courage incroyable de BHL et la force de l’ancien président Sarkozy, tout en mettant en lumière l’inestimable leadership du président Barack Obama et de la Secrétaire d’État Hillary Clinton. » On croit lire un vocabulaire de propagande communiste chinoise des années 60 !

[2] Si on cherche des références sur les rebelles de Benghazi, on ne trouve sur google que celles sur l’assassinat de l’ambassadeur américain en 2012 pour lequel Hillary Clinton a été blâmée par les Républicains, mais À PEU PRÈS RIEN sur comment la doctrine Right to Protect (R2P) a entraîné les Nations-Unies à approuver une guerre dont les conséquences de nos jours se chiffrent encore en centaines de morts mensuelles. Les pouvoirs politiques semblent plus importants que les êtres humains…

[3] L’intérêt du complexe militaro-industriel dans l’opération s’est vite révélé par la nomination subséquente du général Bouchard à la tête de Lockheed Martin Canada qui cherche maintenant à vendre au ministre de la Défense canadien Sajjan des F-35, avions bombardiers furtifs, au coût de dizaines de milliards de $…

[4] Etude socio-historique de l’évolution de la condition féminine depuis les origines de l’humanité, l’analyse est fondée sur la relation dominant-dominé dans l’organisation sociale. Traduit en 1986 (titre original Beyond Power : On Women, Men, and Morals ), ce livre qui m’a été référé par la militante féministe Pascale Camirand, membre des Artistes pour la Paix, explore le patriarcat et la morale patriarcale à travers les siècles et comment le féminisme offre un cadre des choses différent qu’il faudra pour mettre en place un monde plus humain et un nouvel ordre socio-politique.