Tout allait trop bien. On se mettait à y croire, avec tant de bonnes volontés, tant d’énergies, tant d’informations enfin libérées à la télé et dans les journaux. On suivait en direct de Paris les blogues quotidiens de l’AQLPA, d’Équiterre, de la Fondation Suzuki, de Greenpeace, du directeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement à l’UQAM… On trouvait même les discours de certains dirigeants intelligents et on recevait avec une gentillesse empressée à Toronto et à Montréal, par une température irréelle de douceur, les victimes musulmanes (et autres) des fanatiques al-Hassad et al-Bagdadi : et on se disait que 25 000, c’est trop peu par rapport à l’Allemagne qui en accepte un million (admirable Angela Merkell). …
Il a suffi aujourd’hui de deux événements à peu près simultanés, l’un à Paris, l’autre à Montréal pour plomber notre optimisme. Non, on parlera plus tard du fasciste Donald Trump et de l’avancée en France du Front National et de la relégation de François Hollande avec sa politique imbécile de bombardement (honte au parti socialiste héritier de Léon Blum et de Jean Jaurès!) en troisième place. Nous parlons de deux choses inter-reliées puisqu’il s’agit du pétrole sournois et de sa puissance d’argent.
À Paris, l’Arabie Saoudite, encore elle, ce maudit pays créé par les Anglais et encouragé par les Américains pour spolier les Arabes de leur pétrole,
- qui nous a donné Ousama Ben Laden et le 9/11/2001,
- dont nous avions dénoncé l’achat de 15 milliards de $ de blindés ontariens en février 2014, achat présenté comme une avancée économique par Harper,
- pays qui, comme nous l’a raconté le sociologue Rachad Antonius mardi en sa conférence à l’UQAM, a financé à raison de 90 milliards de $ en 40 ans le tournant waabiste-salafiste des mosquées du monde, une radicalisation religieuse qui a trouvé sa logique culmination de haine des infidèles avec les Taliban puis avec la désastreuse naissance de Daesh ou Armée Islamique,
- ce pays qui applique la charia en coupant des mains, en tranchant des têtes et en fouettant des mécréants, tel l’idéaliste Raïf Badawi gardé prisonnier dont la grève de la faim inquiète Michel Marc Bouchard et nos valeureux collègues d’Amnistie Internationale,
- enfin ce pays qui le dernier des 195 de l’ONU a accordé un maigre droit de vote municipal aux femmes aujourd’hui même (c’est rapporté dans la conclusion écrite de l’excellent film les suffragettes qui apparaissait vendredi sur nos écrans),
- enfin ce pays « grand allié » d’un Occident qui a perdu tout sens des valeurs,
eh bien, a montré combien les dossiers de paix sont indissociables des dossiers de l’environnement en opposant à la COP21 à Paris son veto obstiné entraînant une cascade de durcissements des pays producteurs de pétrole. Il a refusé d’accorder une part minime de son pactole pétrolier pour participer à l’effort universel afin de limiter à 2 degrés la hausse des températures; et on sait que sans cet effort de limite, que Catherine McKenna voudrait restreindre encore à un degré et demi, le réchauffement climatique mondial menacera des millions d’habitants, en particulier d’Afrique, d’Asie du Sud-est et de petits pays insulaires telles les îles Marshall déjà si éprouvées par les monstrueux essais atomiques américains.
À Montréal, un tout petit événement mais grandement symbolique : le premier chargement d’un navire de pétrole, alimenté par l’inversion Enbridge qui menace nos rivières chevauchées par des pipelines conçus à d’autres fins, se lance à l’assaut du Fleuve Saint-Laurent, qu’on voulait protéger par notre manifeste de l’Élan Global (voir http://artistespourlapaix.org/?p=7056 ) et qui va subir désormais une périlleuse valse aller-retour de tankers rouillés, menacé en outre par l’assaut Trans-Canada, que le premier ministre Couillard accepte, puisqu’il ne semble s’opposer qu’au pétrole d’Anticosti, parce qu’il s’agissait d’un projet péquiste.
Lui et Trudeau ont reçu à Paris les félicitations d’Al Gore MAIS au-delà de leurs paroles, qu’en est-il, de leurs décisions? Tout n’est pas perdu: on n’imagine pas du tout une lettre semblable adressée au premier ministre précédent. Mais pour ce qui est du pétrole, qu’y a-t-il à espérer, alors que les pays acceptent encore de donner 550 milliards de $ en SUBVENTIONS ANNUELLES à l’exploitation pétrolière?
Malgré tout, 350.org nous demande de garder espoir par cette communication :
« Aujourd’hui fut un jour historique à Paris: des milliers de personnes ont rempli les rues, pendant que les dirigeants politiques finalisaient le premier projet d’accord universel sur le climat. L’accord prévoit de maintenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, de poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C, et d’atteindre la ‘neutralité carbone’ peu après le milieu du siècle. Ce n’est pas à la hauteur de nos espérances, mais c’est un accord qui envoie un signal clair: il faut laisser les combustibles fossiles dans le sol, et désinvestir du pétrole, du charbon et du gaz.
Cet accord est une étape majeure – mais cette étape n’est pas une fin en soi. Notre objectif, c’est une planète juste et vivable.
Même s’il est suivi à la lettre, l’accord laisse bien trop de gens exposés à la violence de la montée du niveau de la mer, aux tempêtes et à des sécheresses marquées. Il contient trop de vides juridiques qui pourraient empêcher une vraie action. Et cela, en dépit des efforts héroïques des dirigeants des pays et communautés vulnérables qui se sont battus pour avoir un accord basé sur l’état des connaissances scientifiques.
Mais les entreprises exploitant du charbon, du pétrole et du gaz ne devraient pas crier victoire. Pour rester sous 2°C il faut laisser 80% des combustibles fossiles sous terre, et pour atteindre 1.5°C, encore plus. Et les pays doivent revenir à la table des négociations tous les 5 ans pour revoir leurs ambitions à la hausse.
L’accord de Paris n’est pas le fin mot de l’histoire, juste la fin d’un chapitre. Maintenant, il ne tient qu’à nous de renforcer ses promesses, de nous assurer qu’elles soient tenues, et d’accélérer la transition vers une énergie 100% renouvelable.
Alors que les dirigeants finalisaient le texte de l’accord, des milliers de personnes étaient dans les rues de Paris pour montrer leur détermination à continuer le combat. »
Voici aussi la lettre adressée au premier ministre canadien par un groupe de nos alliés environnementaux, sans qu’aucun journal ne trouve l’honnêteté de la publier :
Lettre au premier ministre Justin Trudeau
concernant les changements climatiques et le projet d’inversion de l’oléoduc 9B d’Enbridge
Le 9 décembre 2015
Le très honorable Justin Trudeau, P.C., M.P. Premier Ministre du Canada
Édifice Langevin, Ottawa (Ontario) K1A 0A2
Objet : Changements climatiques et projet d’inversion de l’oléoduc 9B d’Enbridge
Monsieur le Premier Ministre,
Nous vous écrivons au nom de groupes communautaires du sud de l’Ontario et du Québec, ainsi qu’au nom de communautés autochtones affectées et d’organismes nationaux. Nous souhaitons exprimer notre opposition catégorique à l’autorisation d’exploitation récemment accordée à l’oléoduc 9B d’Enbridge. L’approbation par l’ONÉ du projet d’inversion et d’augmentation de capacité de l’oléoduc 9 (lignes 9A et 9B) est inacceptable, car elle résulte d’un processus d’évaluation de l’ONÉ profondément vicié et antidémocratique.
L’oléoduc 9 pose des risques importants pour la santé et le bien-être de millions de Canadiennes et de Canadiens. Considérant vos promesses renouvelées de protéger l’environnement, incluant l’atténuation de l’emballement des changements climatiques, de même que vos engagements de respecter les droits des Premières Nations, nous demandons au gouvernement fédéral de réformer le processus d’évaluation des projets de pipelines de l’ONÉ. Nous exhortons le gouvernement fédéral d’arrêter le projet d’inversion de l’oléoduc 9 jusqu’à ce que ce projet soit soumis à un nouveau processus d’évaluation plus rigoureux, transparent et démocratique.
Dans votre lettre de mandat transmise à Madame Catherine McKenna, Ministre de l’Environnement et du Changement climatique, vous avez souligné le rôle crucial que la société civile joue pour amener le gouvernement fédéral à rendre des comptes et ce, en plus des engagements importants retenus en lien avec l’environnement. Nous vous demandons d’exercer la vision et le leadership nécessaires pour tenir les promesses que vous avez faites en campagne électorale et réaliser le mandat confié concernant la protection de l’environnement.
Vous avez dit clairement que nous devons » traiter notre eau douce comme une ressource précieuse qui mérite une protection et une gestion prudente « . La décision de l’ONÉ de donner le feu vert au démarrage du projet de l’oléoduc 9 vient directement saper cet objectif. L’oléoduc 9 est une canalisation vieillissante qui traverse toutes les rivières majeures et les tributaires du lac Ontario, duquel des millions d’Ontarien.ne.s dépendent pour leur eau potable. Au Québec, l’oléoduc 9B franchit aussi plusieurs cours d’eau importants, dont la rivière des Outaouais qui est la source d’eau potable de plus de 2.5 millions de personnes.
Les différents types de produits pétroliers qui transiteront par l’oléoduc 9 incluent le bitume dilué provenant des sables bitumineux, lequel est beaucoup plus lourd et toxique que les produits pétroliers conventionnels pour lesquels l’oléoduc a été construit, ainsi que le pétrole de schiste potentiellement explosif de Bakken. Un expert en sécurité des pipelines, Monsieur Richard Kuprewicz, qui détient plus de 40 ans d’expérience dans le secteur pétrolier et gazier, a affirmé que la probabilité de déversement significatif de l’oléoduc 9 au cours des cinq premières années de son exploitation est de 90%. Nous sommes grandement préoccupé.e.s par les conséquences locales le long du tracé de l’oléoduc, mais tout autant par les conséquences en amont issues des mégaprojets d’exploitation des sables bitumineux. En Alberta, les communautés des Premières Nations sont déplacées et empoisonnées par cette exploitation et subissent des effets nocifs significatifs sur leur santé.
L’extension du réseau pipelinier canadien aux fins du transport du bitume dilué à travers les communautés et les territoires des Premières Nations envoie le signal aux Canadien.ne.s et à la communauté internationale que l’objectif principal du gouvernement fédéral est de mettre en marché cette ressource, peu importe les effets sur les changements climatiques. L’exploitation des sables bitumineux est le premier contributeur des émissions de gaz à effet de serre au Canada et constitue l’obstacle le plus évident à l’atteinte des cibles de réduction. Vous constatez que l’objectif primordial doit être « de prendre l’initiative pour mettre en œuvre le plan du gouvernement pour un environnement propre et une économie durable », et que nous devons nous « assurer de remplir nos promesses, tout en respectant notre plan fiscal ». Nous appuyons le développement d’une économie durable, laquelle doit toutefois reconnaître que les limites à respecter ne sont pas celles dictées par les incitatifs financiers ou les mécanismes du marché. Ces limites à respecter sont plutôt celles de notre planète — des limites qui ont déjà été repoussées jusqu’à leur point de rupture par des projets comme ceux des sables bitumineux. Dans le cadre d’un nouveau processus d’évaluation des projets pipeliniers, il est par conséquent impératif que l’ONÉ prenne au sérieux la nécessité de réduire les effets de l’expansion de l’exploitation et du transport des sables bitumineux sur les changements climatiques.
De plus, dans votre lettre de mandat, vous exprimez qu’il n’y a pas de relation plus importante que « celle avec les Premières Nations ». Les communautés des Premières Nations de l’Ontario et du Québec ont été sur les lignes de front de la bataille pour résister au projet d’inversion de l’oléoduc 9 et aux risques écologiques, économiques et sociaux qu’il pose à leurs communautés et à leurs terres. Vous affirmez qu’ « il est temps de renouveler la relation avec les Premières Nations sur la base d’une reconnaissance des droits, du respect, de la coopération, et du partenariat », et pourtant les droits issus des traités avec les Premières Nations sont expressément et illégalement ignorés en donnant le feu vert à ce projet d’oléoduc.
L’approbation du projet d’inversion de la canalisation 9B et l’autorisation d’exploitation actuellement en vigueur sont des décisions qui ont été imposées aux résident.e.s du Canada par un organisme réglementaire non-élu, composé d’acteurs biaisés provenant de l’industrie qui priorisent les buts et objectifs de cette industrie. Vous nous avez informées qu’ « il est important que [le gouvernement fédéral] reconnaisse ses erreurs lorsqu’il en fait ». Nous avons la conviction profonde que les actions du gouvernement précédent pour modeler la structure et le fonctionnement actuels de l’ONÉ ont résulté en une décision erronée qui menace les communautés, les sources d’eau potable, les écosystèmes locaux et la planète.
Nous vous demandons non seulement de reconnaître cette erreur, mais aussi de prendre rapidement les moyens nécessaires pour la corriger.
Nous implorons le gouvernement fédéral de réformer l’ONÉ afin de mettre en œuvre un processus d’évaluation des projets pipeliniers qui soit plus rigoureux, transparent et démocratique, en accordant une priorité aux considérations suivantes :
- les effets en amont et en aval;
- la contribution catastrophique aux changements climatiques;
- et le respect des droits inhérents et issus de traités des peuples autochtones.
Vu le mépris de ces considérations durant les audiences de l’ONÉ concernant l’oléoduc 9, et votre déclaration à l’effet qu’une réforme de l’ONÉ entraînerait une revue des projets de pipelines en cours, nous demandons que le projet d’inversion de l’oléoduc 9 soit immédiatement arrêté et réévalué dans le cadre de cette nouvelle réforme.
Veuillez trouver ci-joint le rapport détaillé intitulé Not Worth the Risk, lequel résume les inquiétudes des communautés par rapport au projet d’inversion de l’oléoduc 9: http://noline9wr.ca/sites/default/files/NEB_report_final.pdf
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre très haute considération.
Sincèrement vôtres,
http://www.sources.com/Releases/LettreauPMJTrudeau-Oleoduc9-RE45348.htm
Also available in English
http://www.sources.com/Releases/LettertoPMJTrudeaureLine9-RE45348.htm
Voici également un message de Naomi Klein : Entre les lignes rouges, nous célébrons le monde que nous souhaitons.
RÉACTION À CHAUD AU TEXTE « LE PÉTROLE DOUCHE L’ESPOIR », envoyée directement à Pierre Jasmin samedi matin le 12 décembre à 8h44.
Après quelques échanges de courriels privés avec Pierre, je me permets de le soumettre en commentaire public sur le site des APLP, car il traduit une différence importante de STRATÉGIE dans un combat commun contre les changements climatiques. Débat que Laure Waridel a aussi soulevé, dans le même sens, à l’égard de la réaction première de Québec Solidaire face à l’Accord de Paris. À chacun(e) de se faire son idée…
NON Pierre. Je crois que tu fais une erreur stratégique importante. En militance, surtout sur un enjeu aussi vital que les changements climatiques (la survie de l’humanité), dans l’histoire du « verre à moitié plein et à moitié vide », il FAUT choisir de voir (et de montrer) le verre à moitié plein. L’Accord d’hier est une première et une avancée historiques pour laquelle des millions de gens ont poussé, manifesté, pétitionné, etc. depuis plusieurs années. Certes, il n’est pas ce que nous souhaitions de mieux. Oui, il est encore bien insuffisant pour « réaliser dans les faits » ce qu’il « s’engage à faire sur papier ». Mais C’EST UNE ERREUR de bouder notre plaisir. Et de faire partie de ceux qui, au lieu de se servir du verre à moitié plein pour encourager les timides, intéresser les indifférents et galvaniser les convaincus en montrant qu’on peut gagner des choses et qu’il faut continuer sans relâche (voir le texte de 350.org), choisissent plutôt de mettre l’accent sur le verre à moitié vide, insistant ainsi sur l’échec d’une mobilisation mondiale sans précédent, donnant ainsi raison à ceux qui nous voient, à tort, comme de perpétuels insatisfaits qui ne cesseront jamais de « crier au loup » et de jouer les prophètes de malheur.
Je n’ai pas voulu mettre cela en commentaire sur le site des APLP (pour le moment) car j’ai l’intention d’écrire quelque chose de plus articulé en ce sens dès que possible (même si ma journée d’aujourd’hui est pas mal pleine). Surtout que je préférerais (si j’avais une suggestion à faire comme simple membre de l’APLP), que tu retires carrément ton texte du site des APLP pour prendre le temps d’y réfléchir davantage avec d’autres (je crois que, cette fois, tu a « tiré trop vite », plus vite que ton ombre pour paraphraser Lucky Luke).[SUITE À QUOI PIERRE A CHANGÉ LA SIGNATURE DU TEXTE EN INDIQUANT QU’IL S’AGISSAIT DE SA RÉACTION PERSONNELLE]
Je te (vous) reviens là-dessus dès que possible (car je dois filer à l’instant).
Dominique Boisvert