Le film Cinq caméras brisées vient de remporter deux prix dans le cadre des RIDM : le prix du public, et le prix des détenues de la prison de Joliette. À ne pas manquer!
Le film « Five Broken Cameras » s’est mérité une bourse de la Fondation Alter-Ciné en 2010 et a été présenté en novembre dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
Bande-annonce du film:
http://www.altercine.org/html/fr/gagnants-10.php
En 2005, à Bil’in en Cisjordanie, le fermier palestinien Emad Burnat filme la naissance de son quatrième fils. Au même moment s’érige au milieu des terres du village le mur qui doit isoler les paysans palestiniens d’une future colonie israélienne. Pendant les six années qui suivront, Emad, avec une persévérance exemplaire et grâce à la collaboration du cinéaste israélien Guy Davidi, ne cessera d’enregistrer le quotidien de Bil’in. Ses cinq caméras détruites l’une après l’autre documentent sans relâche la progression de l’occupation, la résistance pacifique et l’escalade de la violence répressive. Alternant entre événements politiques et vie familiale, ce journal intime filmé nous fait saisir de l’intérieur la réalité de l’occupation. Une œuvre incontournable et d’une grande humanité, primée à Sundance, à l’International Documentary Film Festival Amsterdam, au Cinéma du Réel et à bien d’autres festivals.
« Quand on est blessé, on se souvient toujours de sa blessure, même une fois guérie. Mais quand on est blessé jour après jour, on oublie les cicatrices. La caméra, elle, se souvient ».
Je m’appelle Emad Burnat et je suis cameraman. Au cours des cinq dernières années, mon village Bil’in, à l’ouest de Ramallah, se bat contre le mur érigé au milieu de nos terres. Pendant cette lutte, j’ai filmé avec cinq caméras vidéo qui ont été détruites l’une après l’autre. Chaque caméra a une histoire à raconter. Quand j’ai commencé à filmer, je le faisais en réaction à ce qui se passait autour de moi. Peu après, c’est devenu une manière de survivre.
Dès le début, la décision de s’opposer pacifiquement à la construction du mur a eu des conséquences pour tout le village. J’ai décidé de raconter notre histoire de mon point de vue, celui d’un cameraman qui persiste à filmer malgré les obstacles et les menaces. Mais ce film n’est pas seulement celui d’un militant. Pendant cinq ans, la réalité filmée s’est conjuguée à ma vie privée. Quelques jours avant le début de cette lutte, mon fils Jibreel est né. Cette naissance symbolisait parfaitement le lien entre ce combat et ma vie personnelle. Ma famille et moi, et mes deux meilleurs amis, avons tous été touchés par ces événements. Quand les soldats israéliens ont arrêté mon neveu de 11 ans, mes enfants ont été terrorisés. Ma femme Suraya craignait que le tournage mette en danger la sécurité de ma famille. J’ai filmé ma vie personnelle, celle de mes parents, de ma femme, de mes enfants, de mes deux amis Phil (surnommé éléphant) et Adeeb. J’ai filmé les changements qui se sont produits, et la beauté du village avant sa disparition.
« Je n’oublierai jamais le moment où la Fondation Alter-Ciné a décidé de soutenir mon projet. C’était très important pour moi de commencer le montage du film après tant d’années de tournage. La bourse de la Fondation a été le premier montant d’argent reçu après le développement du film. Par ce soutien, vous m’avez donné l’énergie et la possibilité de structurer et de terminer ce projet. Merci. »
Emad Burnat, cinéaste palestinien, coréalisateur de « 5 Broken Cameras »
“5 Broken Cameras” s’est mérité plusieurs prix depuis un an:
- -Sundance World Documentary Directing Award
- -IDFA – Special Jury Mention & Audience Award
- -Cinéma du Réel – Prix Louis-Marcorelles
- -Tempo Film Festival (Stockholm) – Stephan Jarl Documentary Award
- -One World Human Rights Film Festival (Prague) – Best Director Award
- -Movies That Matter (The Hague) – The Golden Butterfly Award: A Matter of Act Competition & Students’ Choice Award
- -Grand Prize Millennium Award of Planete + Doc Film Festival in Warshaw
- -Eurodok Film Festival (Norway) – Best Documentary
Voici un article écrit par Pierre Foglia dans La Presse
T’as aimé ça? J’étais dans le hall de l’Excentris, où je venais de voir Five Broken Cameras – cinq caméras brisées -, un documentaire qui raconte l’injustice et l’humiliation faites aux habitants d’un petit village de Cisjordanie par les Israéliens. Une heure et demie de lourde oppression. Non, je n’ai pas aimé ça. Personne ne peut voir des gens se faire écoeurer à ce point-là et aimer ça. Tu sors de là avec l’envie de hurler.
Mais je veux dire le film?
Arrête! J’ai envie de hurler, j’te dis, pas de jouer au critique de cinéma. Ces derniers jours, quand tu regardais ce qui se passait à Gaza, t’aimais ça ou, comme moi, tu rentrais ta rage en entendant les Israéliens dire que ce n’était pas eux qui avaient commencé?
Five Broken Cameras est 100 fois plus enrageant. Parce que ce n’est pas la guerre. C’est la paix, enfin si on peut appeler la paix des claques sur la gueule, des soldats qui t’enfument, te réveillent en pleine nuit à coups de crosse dans la porte, des colons qui foutent le feu à tes oliviers.
Le village s’appelle Bil’in. Le cinéaste? Y’a pas de cinéaste. Le documentariste? Y’a pas de documentariste. Qu’on se le tienne pour dit: il n’y a pas derrière ce documentaire un cinéaste pacifiste danois pro-palestinien, ni une altermondialiste québécoise tombée amoureuse d’un Palestinien, ni un journaliste français de Libération, ni aucun autre Michael Moore. Il y a un paysan de 40 ans qui s’appelle Emad Burnat. Et si Emad s’est acheté une caméra, ce n’est pas pour filmer les méchants soldats israéliens. C’est pour filmer son quatrième fils, Gibreel, qui vient de naître.
Mais voilà qu’au même moment arrivent sur les terres du village des arpenteurs venus pour tracer la frontière où doit s’élever le fameux mur qui protège maintenant Israël des terroristes. Emad les filme. Quand les gens du village se mettent à manifester pacifiquement, très pacifiquement, Emad les filme aussi. Les villageois ne protestent pas à cause du mur, ils s’y sont résignés depuis longtemps, ils manifestent parce que le tracé empiète très largement sur leurs oliveraies, on est en train de les spolier au profit de la colonie juive voisine.
Quand l’armée débarque, Emad filme. Quand l’armée enfume le village, quand l’armée blesse un de ses frères, quand l’armée tue un villageois, Emad filme. Quand l’armée investit le village en pleine nuit, quand un soldat frappe à sa porte, Emad vient lui répondre la caméra à l’épaule, le soldat l’informe alors de cette chose inouïe: cette maison où est né Emad, où dorment à l’instant ses fils, cette maison se trouve désormais dans une zone interdite, et donc Emad y est interdit de séjour.
Quand un soldat tire sur Emad, Emad ne filme plus, parce que la balle s’est logée dans la lentille de la caméra. Il ne filme plus non plus quand un soldat donne un coup de crosse dans sa caméra. Il ne filme plus quand un colon lui arrache sa caméra. Il lui faudra cinq caméras pour aller au bout de son documentaire. Il lui faudra aussi l’aide d’un cinéaste israélien (Guy Davidi) pour le monter, le lancer, le montrer.
Five Broken Cameras a été primé cette année aux deux plus grands festivals du documentaire dans le monde, Sundance et Amsterdam. Et il vient d’avoir le prix du public aux récentes Rencontres du documentaire de Montréal.
T’as aimé ça, alors?
Je te l’ai dit: j’ai envie de hurler.
Le film m’a replongé dans une de mes plus anciennes indignations. Je suis de ceux – nombreux et d’opinion plus documentée que la mienne, je pense à des intellectuels comme Edgar Morin, Jean Daniel, Amos Oz – qui pensent qu’il n’y aurait bientôt plus de conflit israélo-palestinien s’il n’y avait plus de colonies.
Je ne comprends pas ces enclaves à l’intérieur du territoire palestinien. Je ne comprends pas que de nouvelles colonies continuent de s’implanter. Je ne comprends pas que les anciennes colonies s’étendent en empiétant sur le territoire palestinien comme on le voit dans le documentaire d’Emad. Je ne comprends pas que des autoroutes, interdites aux Palestiniens, les relient entre elles et à Israël.
Mais ce que je comprends le moins de cette ghettoïsation des Palestiniens, c’est qu’elle se fait au vu et au su du monde entier et qu’aucune des grandes démocraties du monde, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les États-Unis, le Canada, ne mette son poing sur la table. De temps en temps, un ou une secrétaire d’État américain déclare que les États-Unis ont demandé à l’État hébreu de mettre fin à l’implantation de nouvelles colonies. Notez bien: pas de procéder à l’évacuation des colonies implantées, non, non… S’il vous plaît, M. Nétanyahou, pas de nouvelles colonies. Il en rit comme Sharon avant lui et les plus libéraux aussi.
Ne comptez pas sur Obama pour lever le ton et conditionner la considérable aide américaine à l’évacuation des colonies. Rappelez-vous comment Nétanyahou a été accueilli en héros, ovationné par le Congrès, rappelez-vous qu’il a eu l’outrecuidance de planter Obama devant ce même Congrès…
Ce que nous montre Five Broken Cameras, ce sont des paysans palestiniens d’un petit village de Cisjordanie que les Israéliens bousculent, enfument, blessent, humilient, dépouillent de leurs terres. La vraie raison? Le territoire. Tout le conflit israélo-palestinien est une question de territoire que se disputent deux nations. Une superpuissance dotée de l’arme nucléaire. Une autre qui lance des pierres.
Devinez derrière laquelle se rangent ceux qui mènent l’univers?
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