Pierre Jasmin était invité à la Première (3 août) au cinéma Impérial.
Une soirée débutant par des mondanités d’usage
Notre collègue André Michel [1] était aussi convié à cette soirée d’ouverture du Festival international Présence autochtone 31e édition, animée par une trilingue et habile représentante de la CBC Crees Unit, succédant à la légendaire Emma Saganash. Elle a présenté tour à tour Sophie Monica Ille, chef de la direction d’APTN, Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, Nathalie Goulet, membre du comité exécutif de la Ville de Montréal, responsable de l’inclusion sociale, des sports et loisirs, de la condition féminine, de l’itinérance et de la jeunesse (ouf !), Chantal Rouleau, ministre de la Métropole et de la région de Montréal et le dernier et non le moindre, Charles Bender président du festival.Ont succédé aux mondanités de ces officiels qui ont fait de beaux efforts, les vibrants discours de notre ami André Dudemaine, directeur des activités culturelles de Terres en vues et fondateur du festival, et de Ghislain Picard [2], chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, qui ont blâmé sans détours les médias de ne s’être jamais beaucoup intéressés aux autochtones. Soulignant que cette année marquait une différence appréciable, Dudemaine n’a pas manqué d’évoquer la naissance du festival en 1990, en pleine crise d’Oka, alors que la population était montée par les médias racistes contre « les maudits Indiens révoltés ».
Un documentaire hanté par des révélations et l’image ci-haut
Ashes-and-embers d’Alix Van der Donckt-Ferrand sur un scénario et une narration de Floyd Favel a connu sa première mondiale en la plus belle salle de cinéma de Montréal, l’Impérial de la rue Bleury. Alix à la présence magnifique, Floyd et le vieux Gavin Baptist de la Première Nation Little Pine venu de Saskatchewan, Lisa Koperqualuk et Kanerahtakwas Deom, artisans de ce film amateur de 39 minutes qui présente l’énigmatique chef historique Tootoosis et plusieurs témoignages d’octogénaires hésitant 72 ans plus tard à s’avouer responsables de l’incendie, même après avoir relaté comment ils s’étaient regroupés pour le fomenter. Devant l’imposante statue du prêtre français Henri Delmas, dont personne ne veut dire du mal, tous s’accordent néanmoins à trouver totalement incongru son rêve de rebâtir les bases d’un catholicisme français en Saskatchewan, avec à l’appui une immense statue de Jeanne d’Arc épargnée par l’incendie à part des traces de brûlures – justifiables historiquement 😊. La présence totalement absurde de cette sculpture explique combien ces malheureux autochtones, sacrifiant leur santé éprouvée par une nourriture inappropriée pour établir un culte de saints étrangers à leur réalité et même à leur première langue étrangère, l’anglais, en ont voulu aux colonisateurs; au point de brûler l’immense pensionnat du père Delmas, en prenant soin qu’il n’y ait aucune victime, même si des élèves aînés ont dû assommer une religieuse qui voulait les empêcher de quitter les lieux en proie à l’incendie! Le pensionnat était tenu par les Missionnaires Oblats de Marie Immaculée de l’Église catholique romaine. En janvier 1901, le chef Peyasiw-awasis, ou Thunderchild, avait pourtant écrit au nom de son peuple pour protester contre l’établissement d’une école catholique romaine dans la réserve, puisque la majorité des Indiens de la réserve sont protestants, avait-il expliqué en vain.
Deux autres films méritent des prix
Le grand prix social Rigoberta Menchu revient à Que les paso a las abejasqui documente l’opposition des Mayas de Campeche, face à l’agriculture du soya génétiquement modifié par la multinationale Monsanto-Bayer, en proposant un modèle de développement durable ancré dans la tradition maya pour sauver l’apiculture traditionnelle. Notons aussi le documentaire Ataguttaaluk, de Carol Kunnuk, qui montre la force mentale et physique d’une femme inuk qui a survécu à une grande famine dans la communauté d’Igloolik au Nunavut.
La réalisatrice abénakise Kim O’Bomsawin fut récompensée par le prix APTN pour son documentaire Joséphine Bacon: Je m’appelle humain, très bien commenté le 13 novembre 2020 par François Lévesque dans le DEVOIR. « Autrice, réalisatrice et militante pour les droits des femmes autochtones, Kim O’Bomsawin a suivi Joséphine Bacon au gré d’une odyssée non seulement de la souvenance, mais de la pérennité. Ainsi assiste-t-on au combat doux mais résolu de la femme de lettres pour garder vivantes la langue, la culture et les traditions qu’elle a elle-même apprises de ses ancêtres ». Le titre renvoie à l’un des poèmes de Bibitte (comme notre artiste pour la paix 2009 Chloé Sainte-Marie l’appelle affectueusement) et « agit comme un rappel que le mot innu signifie « humain ». Sa langue, d’ailleurs, la poète en parle avec une ferveur et un amour inspirants.
« Le mot poésie en principe, c’est un mot qui n’existe pas en innu. C’est un mot qu’on a inventé. Mais je pense qu’on n’avait pas besoin d’avoir le mot… » souffle-t-elle. « Je ne dis pas que je suis poète. Je dis que dans les mots simples que j’écris, les gens trouvent leur poésie. » Admirable film que je revois occasionnellement pour me nourrir de sa substance poétique augmentée par les paysages de la Côte-Nord.
Beans mentionné par Dudemaine
Dans son discours d’intro, André a mentionné ce film en effet remarquable. La vision personnelle et rafraîchissante de la cinéaste Tracey Deer (qui avait douze ans lors de la crise d’Oka) surprend par la densité de son regard, à la fois révolutionnaire et d’une grande humanité, puisqu’il cerne aussi l’éveil à la sexualité précoce d’une pré-adolescente; un épisode relate une microagression maladroite subie par l’héroïne de la part d’un de ses camarades mohawks, alors qu’eut servi à son propos que l’agresseur soit blanc. On reconnaît là l’honnêteté de la cinéaste dans un film qui rencontrera son public quand nos complexes de culpabilité québécoise face aux autochtones tomberont. Écoutons les mots émouvants de Tracey : « Au cours de cet été-là décisif et effrayant, j’ai appris de terribles leçons : le monde était dangereux, ce qui me distinguait faisait de moi une cible et cela réduisait ma valeur à un tel point qu’il était acceptable de me faire du mal. » Difficile de mieux décrire la réalité si offensante du racisme.
Dans mes propres mémoires de la crise [3], j’y relate un épisode immédiatement cerné par le compositeur Gilles Tremblay en 1990, qui avait pris soin d’écrire une pétition adressée au Premier ministre Robert Bourassa, signée par 50 Artistes pour la Paix, se révoltant contre la lapidation d’un convoi mohawk empruntant le pont Mercier : le film en fait à juste titre un événement marquant pour l’héroïne, la réalisatrice elle-même.
PS L’équipe de la série télévisuelle Pour toi Flora, qui aura pour trame centrale l’histoire des pensionnats pour Autochtones, mène des auditions pour trouver acteurs et actrices. Nombreuses ont été les personnes à répondre à l’appel, mais il manque toujours des garçons de 8 à 12 ans des Premières Nations parlant français ou anishnaabemowin. Le tournage doit débuter mi-septembre. Après avoir lancé un appel via les réseaux sociaux, l’équipe s’est déplacée à Kitigan Zibi, Pikogan, Lac Simon ou encore Wendake et Montréal pour faire des auditions, notamment d’enfants souhaitant jouer dans la série de six épisodes, écrite et réalisée par la cinéaste et scénariste mohawk Sonia Bonspille Boileau.
[1] Créateur d’une oeuvre pour les Premières nations – http://www.artistespourlapaix.org/?p=20518
[2] Merci à Ghislain qui a pris le soin d’apprécier favorablement sur facebook notre article intitulé victoire collective contre GNL http://www.artistespourlapaix.org/?p=20557
[3] L’été 90 à Kanehsatà:ke, tel que vécu par Pierre Jasmin, selon ses souvenirs.
8 juillet 2020 http://www.artistespourlapaix.org/?p=18992
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