Bien que le principe de neutralité soit établi depuis longtemps, Colin Miège, dans un article paru dans Sport et citoyenneté, estime que le CIO n’a pas le choix d’adopter une position réaliste et de se plier au diktat de l’opinion publique qui condamne massivement l’invasion russe : « La guerre en Ukraine a conduit le mouvement sportif international, sous l’égide du CIO, à abandonner de facto en quelques jours le principe fondamental de neutralité politique qui constituait son credo depuis des lustres. À vrai dire, cette évolution spectaculaire est à mettre au compte du réalisme autant que de la réprobation vertueuse. » En d’autres termes, la neutralité politique, comme la liberté d’expression, devient maintenant une position adaptable selon le baromètre de l’opinion publique, à la carte donc.
La question n’est pas si simple qu’elle paraît. Il faut dépasser les déterminants de l’opinion publique et poser d’autres questions : est-ce que l’exclusion va vraiment faire avancer la cause de l’Ukraine ? Une telle exclusion ne risque-t-elle pas de devenir une pierre d’achoppement à l’encontre d’une recherche minimale de la paix ? Exclure n’entraînera-t-il pas le CIO dans l’engrenage d’une prise de position à courte vue qui aura des répercussions sur son avenir ?
Pourquoi ces questions ? Parce que l’abandon du principe de neutralité devrait valoir pour les athlètes d’autres pays. Devrait-on exclure les athlètes de l’Arabie saoudite parce que ce pays mène actuellement une guerre terrible au Yémen ? Les Turcs parce que la Turquie combat les Kurdes ? Les athlètes israéliens parce que leur pays occupe la Palestine, établit des colonies dans des territoires occupés et bombardent occasionnellement en Palestine et tuent des civils ? Exclure les Iraniens et les Iraniennes parce que le gouvernement martyrise son peuple ? Tout cela dans une conjoncture où l’opinion publique ferme les yeux sur d’autres conflits meurtriers peu médiatisés. En outre, on pourrait poser la question suivante : est-ce que le CIO aurait dû exclure dans le passé ? Par exemple, les athlètes américains quand leur pays a envahi Panama, le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et j’en passe ? On pourrait aussi revenir sur les politiques du Royaume-Uni, de la Chine, de la France, etc. En somme, dire adieu à la neutralité politique, principe qui permet de sauvegarder une minimum d’harmonie et de paix entre les peuples malgré la folie et les dérives dramatiques des guerres.
En résumé, si le CIO entre dans la dynamique d’évaluation de la pertinence politique d’exclure ou pas des athlètes d’un pays ou l’autre, son critère consistera-t-il à adapter le principe à l’humeur de l’opinion publique ? Devra-t-il, pour dépasser les dérives des opinions stéréotypées, mettre en place un tribunal spécial d’inquisition pour évaluer la pertinence et la nécessité d’exclure ou pas les athlètes d’un pays au nom de ce principe? On se retrouve en pleine contradiction, véritable dilemme kafkaïen… La trahison de l’idéal de neutralité olympique soulève des questions éthiques lourdes de sens pour l’avenir et des conséquences insoupçonnées générées par cette stratégie inopportune et aberrante.
Le CIO devrait maintenir son idéal de paix et de coopération et rester neutre. Dans les sports professionnels, on permet aux athlètes russes de poursuivre leur carrière dans les équipes de hockey professionnel sans que l’opinion publique s’en émeuve, pourquoi doit-il en être autrement dans les sports olympiques ? Le CIO doit s’élever au-dessus de la mêlée et des diktats de l’opinion publique, sinon, il risque de miner sa crédibilité en trahissant son idéal; il prêtera flanc aux influences du moment et ouvrira une brèche qui sera difficile à colmater. L’avenir de l’olympisme et le développement d’une culture de la paix dans les sports commande plutôt le maintien du principe d’une neutralité non déterminée par les aléas des circonstances particulières à tel ou tel moment de l’histoire ou d’un conflit armé.
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