Le Canada en route vers la non-prolifération nucléaire?
Déclaration de clôture de la Table de la société civile du 26 mars sur l’Interdiction mondiale des armes nucléaires, en préliminaire de la réunion du Comité préparatoire pour la Conférence d’examen de 2015
du Traité de non-prolifération (NPT Prep Com)
le 1er avril 2012
La dernière fois que le Bulletin des scientifiques atomistes a déplacé vers minuit les aiguilles de son Horloge de l’Apocalypse, c’était en partie pour dénoncer ce qu’il a qualifié d’« échec de leadership » sur la voie menant à un monde sans armes nucléaires. Ces échecs sautent aux yeux de tous, mais nous pouvons aussi faire connaître deux récents exemples de leadership constructif — un international et un canadien.
L’automne dernier, le respecté Conseil des délégués de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a rappelé « les souffrances humaines incommensurables qui pourraient résulter de l’emploi d’armes nucléaires, » ajoutant que les autorités n’auraient pas de moyens crédibles de faire face à une telle dévastation. Le Conseil a conclu qu’il « peine à concevoir comment l’emploi, sous quelque forme que ce soit, d’armes nucléaires pourrait être conforme aux règles du droit international humanitaire, en particulier aux règles relatives à la distinction, à la précaution et à la proportionnalité. » Il a donc appelé tous les États à « poursuivre de bonne foi et mener à terme sans tarder et avec détermination des négociations en vue de conclure un accord international juridiquement contraignant pour interdire l’emploi des armes nucléaires et parvenir à leur élimination totale, sur la base des obligations internationales et des engagements existants. »
L’initiative Croix-Rouge/Croissant-Rouge est méritoire et tombe à point nommé. Les difficultés économiques chroniques rendent les armes nucléaires encore plus coûteuses. On gaspille chaque année plus de cent milliards de dollars en armes nucléaires. Une meilleure compréhension des risques de la prolifération, qui s’étend aujourd’hui à des acteurs non étatiques, s’ajoute à un climat politique propice à de nouvelles actions pour l’abolition des armes nucléaires. De plus, en 2010, tous les États signataires du TNP ont reconnu les « conséquences humanitaires catastrophiques » de toute utilisation d’armes nucléaires, volontaire ou non. Plus des trois quarts de tous les pays ont voté pour une résolution de l’ONU demandant la mise en place de négociations visant à l’élaboration d’une Convention d’élimination des armes nucléaires. Des pays représentant 81 % de la population mondiale appuient la tenue de négociations en vue d’une interdiction complète et permanente.
Le Canada devrait rejoindre cette majorité. Effectivement, une motion unanime du Parlement canadien « incite le gouvernement du Canada à entamer des négociations sur le désarmement nucléaire en vue de conclure une entente » et « à mettre en œuvre une importante initiative diplomatique canadienne à l’échelle mondiale en appui à la prévention de la prolifération nucléaire et à l’accroissement du taux de désarmement nucléaire. » Cette motion appuyée par tous les partis a été votée aux Communes et au Sénat en 2010 et réaffirmée en décembre 2011 au Forum parlementaire de tous les partis soulignant le premier anniversaire de la motion unanime.
Voilà deux exemples du genre de leadership que nous avons pressé le gouvernement du Canada d’adopter pendant la prochaine session du Comité préparatoire pour la Conférence de 2015 d’examen du Traité de non-prolifération (NPT Prep Com). Les propositions suivantes, offertes par un regroupement d’organisations de la société civile canadienne liées au Réseau canadien pour l’abolition des armes nucléaires, indiquent les priorités pour l’action du Canada au sein du présent cycle d’examen du TNP.
1. Le gouvernement du Canada devrait profiter de la première rencontre du Comité préparatoire de la Conférence d’examen de 2015 du TNP pour déclarer son appui à la Proposition en cinq points du Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon sur le désarmement nucléaire. Pour mettre en œuvre une « importante initiative diplomatique », comme l’a réclamé unanimement la Chambre des communes, le gouvernement devrait tenir une rencontre d’États aux vues similaires, sous les auspices du Middle Powers Initiative Framework Forum, pour examiner les exigences légales, techniques, politiques et institutionnelles d’une interdiction internationale des armes nucléaires.
2. Le gouvernement du Canada devrait intensifier ses efforts pour trouver un ou des forums alternatifs afin de discuter des mesures de désarmement, qui restent confinées à la Conférence du désarmement (CD). Comme l’a déclaré l’ambassadeur canadien devant la CD le 7 mai 2010, « la CD ne détient plus le monopole des négociations sur le désarmement. »
3. Le gouvernement du Canada devrait rappeler la nécessité de s’entendre sur une interdiction globale des armes nucléaires en encourageant tous les États qui en détiennent à entreprendre des discussions et des mesures de réductions de leur arsenal, afin d’en venir à une prohibition universelle et non discriminatoire de toutes les armes nucléaires.
4. Tout en continuant à exprimer ses inquiétudes face aux dangers de la prolifération, le gouvernement du Canada devrait rappeler et remettre de l’avant les liens inextricables entre la non-prolifération et le désarmement.
5. Nous encourageons le gouvernement du Canada à continuer ses efforts en vue de la mise sur pied d’une infrastructure institutionnelle saine pour le TNP, y compris grâce à des mécanismes de reddition de compte plus efficaces et transparents. En tant que partie à cette réforme institutionnelle, le Canada devrait travailler avec d’autres États afin de renforcer les liens avec la société civile et pour encourager une participation plus directe de celle-ci dans le processus d’examen du TNP. La société civile joue un rôle essentiel dans la construction d’une volonté politique globale, nécessaire à une mise en œuvre complète du TNP et à la réunion de tous les engagements envers la non-prolifération et le désarmement en une seule convention globale sur les armes nucléaires.
6. Tout en félicitant les États-Unis et la Russie pour leurs importantes réalisations en matière de réduction de leurs systèmes déployés d’armes stratégiques, le gouvernement du Canada devrait les encourager à redoubler leurs efforts pour une réduction des systèmes d’armes stratégiques et non stratégiques déployés, et pour une réduction de leur réserve stratégique en général, en conformité avec les principes de transparence, d’irréversibilité et de vérifiabilité. Il devrait y avoir un moratoire sur la modernisation de toutes les armes nucléaires.
7. Afin d’arriver à une résolution pacifique de la question nucléaire iranienne, le gouvernement du Canada devrait appuyer activement la diplomatie internationale et les efforts d’inspection et de surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à cette fin. Alors que l’Iran est clairement en train d’acquérir des technologies de cycle du combustible nucléaire qui peuvent être utilisées pour fabriquer des armes nucléaires (comme en possèdent d’autres pays signataires du TNP), la diplomatie devrait se concentrer sur l’obtention d’une coopération totale entre l’Iran et l’AIEA ainsi que d’une transparence complète sur les programmes nucléaires iraniens, notamment par l’adhésion au Protocole additionnel de l’AIEA. L’objectif devrait être de prévenir la conversion par l’Iran de ses technologies actuelles en armes nucléaires, plutôt que de l’empêcher de développer des technologies non interdites par le TNP. Le Canada devrait explicitement rejeter toute intervention armée contre l’Iran et ses programmes nucléaires.
8. Le gouvernement du Canada devrait presser tous les États du Moyen-Orient à participer à la conférence de 2012 sur la constitution du Moyen-Orient comme zone libre d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive. Dans cette optique, le gouvernement du Canada devrait en appeler à la mise sous surveillance complète par l’AIEA de tous les programmes et usines nucléaires de la région (incluant Israël).
Cette déclaration du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire est appuyée par Les Artistes pour la Paix
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Elle semble avoir déjà eu pour effet de provoquer la sortie suivante de l’ambassadeur Prosor:
The Associated Press Friday, 30th of March
UNITED NATIONS –
Israel’s U.N. ambassador says his country will not attend a conference on
turning the Middle East into a zone free of all weapons of mass destruction
until there is peace throughout the region.
In May 2010, the Nuclear Non-proliferation Treaty’s 189 members called for
convening such a conference in 2012. The conference is expected to take
place later this year in Finland.
Israel’s Ambassador Ron Prosor told reporters Friday that before there is
« comprehensive peace in the region … we feel that this is something that
is absolutely not relevant. »
Israel is widely believed to have an arsenal of nuclear weapons but has
avoided confirming or denying their existence. It is not a party to the
Nuclear Non-proliferation Treaty.
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Commentaire de Jean Léger:
Date: sam. 2012-03-31 13:15
Objet : RE: Israël et l’arme atomique
Bonjour,
Sur le fond, je salue respectueusement le travail accompli par la table de la société civile portant sur l’ interdiction mondiale des armes nucléaires et l’urgence vitale pour l’humanité entière à agir en ce sens auprès de nos gouvernements.
Cependant, les résolutions 7 ainsi que 8 pointent du doigt la République Islamique d’Iran qui, selon les informations récentes de l’AIEA, ne possède pas, pour l’heure, l’enrichissement en uranium voulue afin de produire de telles armes mais, convenons qu’elle y travaille fortement. Par contre, la pression provenant des pays possédant de telles armes, dont une bonne part de ceux-ci siégeant au Conseil de Sécurité des Nations Unies, ne subissent aucune de ces pressions voir même, que ces pays ayant signés le Traité de Non-prolification des armes atomiques entretiennent une relation de deux poids, deux mesures à l’égard de l’Iran.
Pourquoi n’y a-t-il pas de sanctions économiques votées contre les États-Unis, la Russie, la Chine, le Pakistan, l’Inde, la France et Israël dans un premier temps afin de contraindre ces États possédant un arsenal considérable pouvant annihiler l’humanité entière.
Il m’apparait que nous nous faisons les messagers du dictat international où les grands de ce monde décident de l’agenda de ceux qui peuvent posséder et de ceux qui y sont proscrit.
Le scénario étant le même dans l’application du protocole de Kyoto me semble-t-il.
L’exemple doit provenir de ceux qui ont déjà commis des crimes et non de ceux que l’on croit susceptibles d’en commettre…
Jean Léger
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Réponse de Pierre Jasmin
Bonjour
Je suis très sensible aux arguments que vous invoquez et cela revient à poser la question: vaut-il mieux une déclaration qui ressemble exactement à la vérité telle que vous et les Artistes pour la Paix la perçoivent, diffusée à quelques rares exemplaires dans une ou deux tribunes, ou vaut-il mieux travailler à influer un grand groupe vers une déclaration plus objective? Et nous nous posons tous cette question, selon que nous travaillons tour à tour en solitaires, dans de petites ONG ou dans de vastes partis politiques que leurs militants désertent de plus en plus à cause des entorses faites à la vérité…
La déclaration du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire en trois pages que nous endossons malgré tout commence par
– un paragraphe qui énonce d’abord une vérité sombre de dégradation de la situation internationale telle que perçue par les savants atomistes;
– le deuxième publicise une déclaration de la Croix-Rouge internationale (à qui des politiciens de grandes puissances ont reproché de ne pas se mêler de ses affaires) qui condamne fermement les bombes nucléaires: nous avons d’ailleurs reçu lundi un représentant de cette Croix-Rouge, à qui nous avons aussi parlé de nos préoccupations au sujet des mines anti-personnel et des bombes à fragmentation telles qu’utilisées par Israël au Liban en 2006: nous avions alors élu artiste pour la paix de l’année Wajdi Mouawad;
– notre 3e paragraphe dénonce le gaspillage insensé de 100 milliards de $ par année sur des bombes heureusement non utilisées depuis 1945 mais qui pourraient l’être accidentellement ou à des fins terroristes;
-notre 4e rappelle les motions unanimes adoptées au Sénat et au Parlement, suite à nos pétitions, entre autres celle de mon ami Murray Thomson, pilote de la Seconde guerre mondiale, signée par 570 membres de l’Ordre du Canada et 108 professeurs d’universités (Frédéric Back des Artistes pour la Paix lui a remis une œuvre en remerciement pour son dévouement lors d’un concert que je donnais à l’UQAM le 3 mai 2010, jour d’ouverture de la négociation du traité de non-prolifération à New-York).
Vous n’aurez pas eu de problèmes, j’espère, à endosser ces deux premières pages ainsi que nos recommandations 1 à 5? Ne reste qu’une demi-page litigieuse, je vous l’accorde.
– Pour la 6e recommandation, nous avons manqué de temps pour dénoncer le projet de bouclier anti-missiles européen (mais décidé par les Américains) qui met en péril le NEW START Russie-USA: il aurait fallu trouver un angle qui permette au Canada d’avoir une influence là-dessus. Mais j’espère de tout cœur que les Européens eux-mêmes n’admettront pas une telle infamie.
– La 7e a été abondamment réécrite. Sa première version semblait contraindre l’Iran à collaborer réellement avec l’Agence internationale d’énergie atomique. Je m’y suis objecté, compte tenu que M. Amano de l’IAEA me semble moins objectif que l’était son prédécesseur Mohamed el Baradeï, qui lui a eu le courage de résister aux mensonges des Bush et Blair, en affirmant jusqu’au bout que l’Irak n’avait pas d’arme nucléaire (voir le film Fair Game, sur l’affaire Valerie Plame, entre autres). Amano dans son dernier rapport sur l’Iran semblait mettre des points d’exclamation là où il aurait fallu des points d’interrogation, comme l’a justement dit un autre intervenant qui a fait plusieurs voyages en Iran. Malgré tout, il nous semblait crucial de tenter de ne pas allouer que l’Iran se dote d’armes nucléaires, tout en nous assurant de passer un message condamnant toute intervention militaire telle que les droites israéliennes et américaines l’envisagent hélas. Mes discussions à Berlin en juillet dernier aux Conférences Pugwash avec l’ambassadeur de la République islamiste d’Iran et avec l’ex-numéro 1 du Mossad israélien m’ont permis de voir que de rares points d’entente sont encore possibles…
– Le 8e point qui nomme Israël a provoqué un tsunami diplomatique, comme le révèle le discours paniqué de l’ambassadeur israélien à l’ONU hier.
Le groupe qui a endossé cette déclaration comprend des diplomates qui ont des liens aux plus hauts niveaux…
Maintenant, tout respectables soient-ils, il serait illusoire de croire qu’ils puissent persuader la communauté internationale d’engager des sanctions économiques contre les puissances nucléaires qui sont comme par hasard les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité !?!
Les vérités diplomatiques procèdent à petits pas, hélas…
Je suis ému que vous voyiez dans notre déclaration un travail qui mérite malgré ses imperfections du respect, qui tient dans le fond à l’urgence que notre message fait porter sur nos décideurs politiques.
Je vous remercie de poser des questions si valables, en espérant que mes pauvres réponses vous ont satisfait.
Pierre Jasmin
PS J’observe que vous avez omis de mentionner le Pakistan et la Corée du Nord parmi les pays détenteurs d’armes nucléaires: cela complique la donne, en effet. On ne voit toutefois pas ce que le Canada pourrait faire de plus (je parle du groupe). Quant à nous aux Artistes pour la Paix, nous lions nucléaires militaire et civil et condamnons les exportations d’uranium décidées par Harper en Inde et en Chine et nous condamnons le Plan Nord de Jean Charest quant à sa volonté d’ouvrir une mine d’uranium au mont Matoush en territoire Cri.
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