Par Pierre Jasmin, secrétaire général des Artistes pour la Paix
Wajdi Mouawad fut nommé artiste pour la paix 2006 sous les accents de la chanson Perlimpinpin de Barbara chantée par la directrice du Théâtre d’Aujourd’hui, Marie-Thérèse Fortin (i), accompagnée du claviériste Yves Léveillé et du contrebassiste Mathieu Désy. Un autre ami intime de Wajdi, aujourd’hui décédé, le graffiteur Zilon lui offrit une de ses œuvres.
La censure frappe chacun des articles des APLP – à part nos amis de l’Aut’Journal, Entrée libre, Presse-toi à gauche, Planète-Paix -. Dommage pour la compréhension du Moyen-Orient et de sa complexe situation envenimée par les bombardements de Nétanyahou facilités par la high-tech américaine qui ont tué en Iran et au Liban. Le Hezbollah terroriste et les Gardes révolutionnaires de l’Iran ruminent leur vengeance qui ne fera qu’aggraver la situation. Les APLP répètent que la Cour Pénale Internationale a raison de lancer un mandat d’arrêt contre le principal terroriste, Nétanyahou, et que cela permettrait d’écarter résolument le spectre d’une troisième guerre mondiale…
Wajdi Mouawad, auteur, metteur en scène et directeur du théâtre national de la Colline depuis 2016, devait créer fin avril Journée de noces chez les Cromagnons, écrit à Montréal en 1990, mais jamais monté. C’aurait été au théâtre Le Monnot à Beyrouth, avec une distribution exclusivement libanaise, une première pour le dramaturge prodige puisque ses pièces, traduites dans plus de vingt langues, ont connu de vifs succès, tel Incendies mais n’avaient jamais connu de créations dans le pays de sa naissance.
Mais le 10 avril, Josyane Boulos, directrice du théâtre, annonçait l’annulation des représentations du fait de « pressions inadmissibles et de menaces sérieuses faites au théâtre Le Monnot et à certains artistes et techniciens. » Il est certain que les événements politiques extrêmes qui se multiplient donnent rétrospectivement raison à madame Boulos, en particulier le GÉNOCIDE de Gaza, intensifié et dénoncé par la Cour Internationale de Justice. La Cour Pénale Internationale de l’ONU demande l’arrestation des dirigeants militaires Nétanyahou et Haniyé (tué récemment par une frappe d’Israël et remplacé par un autre terroriste Sinwar), le premier appuyé par les États-Unis, par les 31 autres pays militarisés de l’OTAN et par le gouvernement d’extrême-droite d’Israël, les seconds par l’ami du Hamas, le Hezbollah qui a souffert 500 morts libanais, parmi lesquels une centaine de civils (pour 16 soldats et 11 civils israéliens tués selon l’AFP), dans l’affrontement aux frontières ravivé entre les deux pays par la destruction de Gaza. L’impunité d’Israël révulse à juste titre une grande partie des Libanais, appuyée par l’ONU …symboliquement.
Annulation sous pressions des deux côtés de la pièce de théâtre Journée de noces chez les Cromagnons que Wajdi Mouawad devait créer fin avril 2024 à Beyrouth, au théâtre Monnot.
L’article suivant de Marina da Silva, reproduit par nos amis d’ORIENT XXI qu’on sent déchiré entre une sympathie envers l’auteur et leurs conclusions sans appel, qui vont du « mauvais timing » à « une vision eurocentrée » jusqu’à « un aveuglement face au réel », accusations toutes légitimes. « La plainte de The Commission of Detainees Affairs, représentant les détenus libérés des prisons israéliennes, auprès du parquet militaire libanais, avait demandé « l’ouverture d’une information judiciaire contre Wajdi Mouawad pour délit de communication avec l’ennemi israélien, en contravention de la loi sur le boycott d’Israël ». Elle était déjà formulée à l’occasion de sa pièce Tous des oiseaux, créée en 2017, « l’une des pièces les plus percutantes du dramaturge qui traite directement de la question israélo-palestinienne et interroge la notion d’identité à travers une histoire d’amour impossible entre un étudiant en génétique issu d’une famille juive berlinoise et une américaine d’origine palestinienne ». La plainte lui reprochait alors une histoire de billets d’avion payés par l’ambassade israélienne pour des acteurs israéliens dans la pièce.
Par ailleurs, Wajdi avait programmé, en 2023, l’adaptation théâtrale de la trilogie documentaire House du réalisateur israélien Amos Gitai, afin de « continuer à créer des espaces où les « ennemis » peuvent encore dialoguer et faire entendre ensemble une voix, même infiniment petite, qui ne soit pas celle de la haine ». Et déjà son texte du 9 novembre 2023 avait créé des remous.
Dans le domaine de la fiction théâtrale, cela peut donner des textes puissants de la veine de Tous des oiseaux ou d’Incendies, mais dans la vraie vie, le Liban est en guerre avec Israël. Et la tribune que Mouawad a publiée dans Libération le 9 novembre 2023 intitulée « Ils n’auront pas notre haine », où il considère que le 7 octobre est un « piège tendu par le Hamas pour que l’après soit antisémite » y a été particulièrement mal reçue. La journaliste libanaise Doha Chams rappelle fermement que ce n’est pas seulement la loi libanaise qui définit la problématique, c’est surtout une question éthique, le pays, les gens du sud tout particulièrement, ont payé un lourd tribut dans leur lutte contre l’occupation israélienne.
Depuis le 7 octobre, plusieurs dizaines de milliers d’habitants du sud ont de nouveau perdu ou dû fuir leurs maisons.
Une vision eurocentrée ?
Ce qui aurait — peut-être ? — pu prendre des proportions plus mesurées en d’autres circonstances s’expose alors aux feux de la rampe et de la rage. Rappelons qu’à sa création, Tous des oiseaux avait également été boycottée à Paris, Lyon ou Genève, car la pièce était estampillée « avec le soutien de l’ambassade d’Israël » et annoncée programmée au Cameri théâtre, le théâtre municipal de Tel-Aviv, sans que cela ne mobilise guère la presse mainstream.
Si Mouawad a eu de nombreuses tribunes pour s’exprimer sur « l’affaire du Monnot », on reste saisi par le décalage entre ses arguments eurocentrés et la filiation avec le pays du Cèdre dont il se réclame. Il déclare que la langue arabe a depuis toujours imprégné son écriture, et que « s’il écrit en français, il pense en arabe ». Mais cela ressemble à une formule qui évacue le contexte socio-politique libanais et les ravages subis lors des conflits à répétition avec Israël. Formule qu’il réitère dans une interview de Marina da Silva à L’Orient le Siècle, où, pour (s’) expliquer cette action de boycott qu’il juge dirigée contre sa posture avant-gardiste de réconciliateur, il affirme : « Ce qui est radical aujourd’hui, c’est la nuance. » Il faut vraiment vivre à des milliers de kilomètres d’une guerre jamais véritablement achevée pour conclure que la radicalité, c’est la nuance !
Un aveuglement face au réel ?
Que Mouawad développe depuis la France, ou le Québec auparavant, une utopie littéraire sur la réconciliation entre ennemis, comme dans les tragédies antiques, relève de son libre arbitre d’auteur. Mais cette obstination à ne pas tenir compte du réel, dans des circonstances paroxystiques, est assez stupéfiant. En 2007 déjà, juste après la guerre dite des « 33 jours » de juillet 2006, il a voulu décerner un prix à deux auteurs, l’un libanais, l’autre israélien, qu’il a fait rencontrer, hors de leurs pays respectifs, en transgressant des lois dont il ne veut pas voir les fondements ».
Les APLP prétendent au contraire que cette transgression des lois est une noble thématique explorée par l’auteur avec son respect d’Antigone, dont les nuances familiales lui font transgresser la loi, si on nous permet de nous porter à la défense de celui que nous avions nommé Artiste pour la Paix 2006 dans la controverse.
L’article poursuit : « Pour la promotion de Journée de noces chez les Cromagnons, finalement créée au Printemps des comédiens, à Montpellier du 7 au 9 juin, il est revenu, lors d’un entretien à France Inter 5, sur l’attaque du bus d’Aïn El-Remmanehi transportant des Palestiniens, le 13 avril 1975, qui allait déclencher la guerre civile (1975 – 1990) et à laquelle il avait assisté enfant : « Je donne la parole dans mes pièces à ceux qu’on m’a appris à détester. » Il indique également qu’un des textes les plus importants auquel il a envie d’appartenir est celui d’Antigone, et cite notamment la scène où elle affirme à Créon : « Je ne suis pas faite pour haïr, je suis faite pour aimer », qu’il reprend à son compte : « Je préfère le camp de l’amour plutôt que celui de la haine. Je ne veux pas ressentir de haine. Ni la nourrir. » Le seul souci est que cela peut s’entendre en partie à Paris, mais pas au Liban. Pour Soha Bechara, incarcérée de 1988 à 1998 à Khiam pour avoir tenté d’assassiner Antoine Lahad, commandant de l’Armée du Liban-Sud (ALS), à la solde d’Israël, le doute n’est pas de mise : « Il faut boycotter toute personne qui fait quoi que ce soit avec Israël. » Elle, qui dénonce depuis toujours la normalisation et la collaboration avec Israël, ne transige pas : « C’est une question de conscience politique, c’est le minimum qui puisse être fait. »
On attend une réponse de Wajdi …ou de Marina ?
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i Marie-Thérèse Fortin sera de la distribution de la pièce FANNY au Théâtre du Bic, dans le Bas Saint-Laurent, au texte signé Rébecca Déraspe et à la mise en scène de Marie-Hélène Gendreau et Hubert Lemire (j’ai mes billets pour le 13 août) qui sera reprise en Estrie. Elle poursuit également sa tournée où elle chante Barbara à travers le Québec, et notamment à North Hatley le 27 octobre.
ii La Phalange Kataeb dirigée par Bashir Gémayel, a revendiqué ce massacre d’une vingtaine de Palestiniens passagers, qui aurait déclenché la guerre 1975-1990 au Liban. Notons que la partie adverse l’attribue à une attaque précédente du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) sur une église. Bashir Gémayel sera élu président en 1982 mais assassiné trois jours plus tard. Œil pour œil, dent pour dent et tout le monde sera borgne avant longtemps….
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