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Mme Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei.

L’article de Marie Vastel et Karl Rettino-Parazelli (Le Devoir, 7 décembre) nous informait que « Huawei, la plus importante compagnie privée chinoise, est ciblée par plusieurs pays occidentaux, les États-Unis en tête, qui redoutent son emprise sur le déploiement du futur réseau de télécommunications 5G. Les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni (…) ont invoqué des risques pour la sécurité nationale en raison de soupçons d’espionnage, des allégations rejetées fermement par Huawei. (…) Ottawa fait pour l’instant bande à part. Pourquoi ? » poursuivait l’article. Le Premier ministre Trudeau a tenté une réponse tarte aux pommes : « Nous savons que la protection de la vie privée, la protection de nos citoyens, la protection de nos institutions, doit être une responsabilité primordiale pour tout gouvernement. C’est pour cette raison que nous suivons toujours les conseils et les recommandations faites par nos experts. »

Or, l’universitaire Paul Meyer, président de Pugwash Canada sur l’exécutif duquel je siège, a conclu une rencontre le 24 mai dernier de trois douzaines d’experts en politique internationale à l’École Balsillie de l’Université de Waterloo conviés à une conférence que je traduis par Guerre ou Paix dans le cyberespace : lieu ou non-lieu (去哪裡,去何處) de la cybersécurité. M. Meyer y a rappelé, à titre de diplomate canadien impliqué dans les questions de cybersécurité, que dès 2010, le Canada était fortement incité à développer une politique étrangère de cybersécurité, ce que les Affaires Globales (Ministère des Affaires étrangères) n’ont pas encore fait, se contentant de confier le gros de la responsabilité à un seul fonctionnaire, conseillé par M. Scott Jones, du Centre canadien de cybersécurité. En comparaison, le département des affaires étrangères de l’Australie a produit un document majeur et institué un Ambassadeur en Cyberaffaires, doté d’un budget conséquent en vue de développer une stratégie globale.

Il est d’autant plus important que le Canada agisse qu’il a lui-même incité le Groupe d’experts gouvernementaux de l’ONU dans le domaine de l’information et des télécommunications dans le contexte de la sécurité internationale (GGE) à travailler pour « un cyberespace gratuit, ouvert et libre ». Le moins qu’on puisse dire, à la lumière de l’affaire Huawei, c’est qu’une diplomatie plus forte est nécessaire pour contrer les dissensions entre la Chine et les États-Unis qui minent l’objectif de la préservation du caractère pacifique d’une entente coopérative souhaitable dans ce domaine.

Si la faute principale de madame Weng Manzhou, directrice financière de Huawai, est d’avoir contourné l’interdiction par Trump de transiger avec l’Iran, ce serait une bourde diplomatique majeure de la part du gouvernement Trudeau de la retenir prisonnière. Car signé par Obama, par toutes les puissances européennes ET LE CANADA, le traité avec l’Iran qui a accepté de ne pas enrichir son uranium au-delà d’un chiffre critique où il pourrait le convertir en arme nucléaire, fait encore force de loi, davantage que l’humeur belliqueuse de Trump qui l’a déchiré.

Évidemment, si madame Manzhou a commis une fraude bancaire ou s’est rendue coupable d’un espionnage avéré et prouvé, c’est une autre paire de manches. Mais, et Paul Meyer m’accuse gentiment d’angélisme artistique, plutôt que l’accuser en une cour de justice canadienne, ne serait-ce pas au GGE de se saisir du litige ? La question des pauvres moyens de l’ONU se pose immédiatement, face au scandale du financement interrompu par le gouvernement Trudeau de l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement. Connu sous l’acronyme UNIDIR, l’institut mène une lutte inégale contre les bombes à sous-munitions, les drones armés, les robots autonomes, la militarisation de l’espace et principalement depuis 2015, contre la cyberguerre. Ne serait-il pas opportun que les chercheurEs préoccupéEs par l’accroissement de menaces nationales (É-U, Chine et Russie) via le cyberespace, écrivent une motion commune pour que l’aide à l’UNIDIR soit rétablie et augmentée au-delà des montants ridicules accordés sous le gouvernement Harper ? Soustrayons des fonds aux ridicules dizaines de milliards de $ gaspillées en frégates et avions de chasse militarisés. Qu’attend le Canada pour s’objecter au militarisme et travailler pour la paix ?