La dictature Assad balayée par une alliance suspecte

Par l’Artiste pour la Paix, Pierre Jasmin, citant l’expert onusien Jeffrey D. Sachs

 

  1. Un message humain simple à comprendre

Qui vivra verra, un message humain que nous envoie Pierre Le Corf (https://www.facebook.com.pierre.jasmin.98), en nous enjoignant d’écouter attentivement avant de juger ce qui se passe. Le sentiment de libération de la population syrienne est réel et justifié, avec la chute de la dictature Assad père et fils, responsables autoritaires de plus de cinquante-trois ans d’emprisonnements sordides et de paroles censurées.

La Syrie est loin d’être sauve, entre les mains de ceux qu’on avait à bon droit considérés comme des terroristes islamistes (front Al-Nusra, franchise d’Al Qaeda, appellations diverses pour brouiller les pistes, Hayat Tahrir al-Sham – HTS djihadistes salafistes), qui se déguisent en agneaux devant le Secrétaire d’État américain Blinken. Peut-on les blâmer de réagir ainsi, face aux bombes d’Israël qui sont tombées sur eux après Gaza, la Cisjordanie, le Liban, le Yémen et l’Iran, quand donc la prison du Tribunal Pénal International de La Haye mettra définitivement hors d’état de nuire Nétanyahou, qui renchérit d’opportunisme immoral avec son occupation/colonisation des hauteurs du Golan ?

La chute du dictateur Assad avait été prédite trois jours avant par un émissaire de l’ONU, étonné de l’inertie du dictateur qui après avoir envoyé des avions russes bombarder Alep ne déployait aucune stratégie politique cohérente susceptible de rallier quelque appui que ce soit pour défendre Damas, son exil à Moscou étant probablement déjà planifié…

Tout en n’ayant aucune voix féminine comme co-porte-parole, les agneaux islamistes encore ébahis de leur « victoire » promettent de ne pas soumettre la population à des lois religieuses oppressives, nos amis Kurdes étant hélas dans la mire de l’appui par la Turquie. La visite éclair de Blinken vogue sur les ailes de la sinistre opération CIA en cours depuis bientôt trois décennies : les Artistes pour la Paix avec Christian Morin et Rachad Antonius avaient dénoncé la supercherie des Casques Blancs encouragée par des millions de $ de Chrystia Freeland, aussi responsable des errements militaristes du Canada face à l’Ukraine : les gouvernements membres de l’OTAN ont attaqué sans relâche l’ONU, ont envoyé des armes à l’Ukraine et refusé de négocier une issue à une guerre décimant sans merci les malheureux jeunes Ukrainiens (lire Glenn Michalchuk). Parlons aussi des manœuvres occidentales minant la réputation de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC – OPCW), accusée par son co-fondateur intègre José Bustani d’avoir falsifié des données pour fabriquer l’accusation de supposés bombardements syriens. Cette accusation avait désemparé les médias occidentaux, face à cette atteinte à la réputation d’une institution respectée et ouvert ensuite leurs attaques contre l’ONU, que seul l’ancien Premier ministre français de Villepin semble défendre. Revenons à la Syrie.

2- Comment les États-Unis et Israël ont détruit la Syrie et ont appelé cela la paix

Par Jeffrey D. Sachs*– Extraits choisis (que je commente en italiques) de Rêves communs.

L’ingérence américaine, à la demande de l’extrême droite de Netanyahou et du lobby juif américain, a laissé le Moyen-Orient en ruines, avec plus d’un million de morts et des guerres faisant rage en Libye, au Soudan, en Somalie, au Liban, en Syrie et en Palestine, avec l’Iran au bord d’acquérir un arsenal nucléaire. Selon les célèbres vers de Tacite, historien romain : Ravager, massacrer, usurper sous de faux titres, ils appellent cela empire ; et là où ils ont fait un désert, ils l’appellent paix.

La chute de la Syrie cette semaine est le point culminant de la guerre par Israël et les États-Unis contre la Syrie, dont l’origine remonte à 1996 avec l’arrivée de Nétanyahou au pouvoir en tant que Premier ministre. En 2011-2012, Barack Obama avait secrètement chargé la CIA de renverser le gouvernement syrien dans le cadre de l’opération Timber Sycamore qui a abouti cette semaine, après plus de 300 000 morts syriennes depuis 2011 (la même CIA avait créé al-Qaeda en entraînant, armant et finançant dès 1970 les Moudjahidines en Afghanistan qui ont renversé en 1992 un gouvernement élu avec des femmes ministres (!) ayant même réussi à évacuer l’armée russe en 1989; constatons la dévastation complète du pays depuis).

Avant que la campagne américano-israélienne pour renverser Assad ne commence sérieusement, la Syrie, pays ruiné avec une population acculée à la misère, était un pays prospère, possédant en 2015 nous écrit Aaron Matté l’un des meilleurs systèmes de santé du monde arabe selon l’Organisation Mondiale de la Santé et d’éducation avec 97% des enfants inscrits au primaire et 90% des adultes capables de lire et écrire, selon l’UNICEF.

Au lieu de permettre l’émergence d’une solution politique, les États-Unis se sont opposés au processus de paix à plusieurs reprises. En 2012, l’ONU avait négocié un accord de paix, bloqué par les Américains, exigeant qu’Assad parte le premier jour de l’accord de paix : les États-Unis voulaient un changement de régime, pas la paix.

En 2014, Seymour Hersh écrivait son article The Red Line and the Rat Line sur un accord conclu début 2012, appelé la ligne des rats, entre les administrations Obama et Erdoğan. Selon les termes de l’accord, le financement provenait de la Turquie, ainsi que de l’Arabie saoudite et du Qatar ; la CIA, avec le soutien du MI6, était responsable de l’acheminement des armes vers la Syrie des arsenaux de Kadhafi dont la Libye avait été préalablement bombardée par des raids de l’OTAN commandés par le général canadien Bouchard, nommé par la suite CEO de Lockheed Martin Canada qui s’enrichit de toutes les guerres. Peu après le lancement de Timber Sycamore, en mars 2013, lors d’une conférence conjointe du président Obama et du Premier ministre Netanyahu à la Maison Blanche, Obama avait déclaré : « En ce qui concerne la Syrie, les États-Unis continuent de travailler avec leurs alliés et amis et l’opposition syrienne pour accélérer la fin du règne d’Assad. »

La chute de la Syrie est survenue rapidement en raison de plus d’une décennie de sanctions économiques écrasantes, d’attaques de djihadistes, de la saisie du pétrole syrien par les États-Unis, des priorités de la Russie concernant le conflit en Ukraine et, plus récemment, des attaques d’Israël contre le Hezbollah, principal filet de sécurité militaire du gouvernement syrien. Il ne fait aucun doute qu’Assad a souvent mal joué son propre jeu et faisait face à un grave mécontentement interne, mais son régime a été ciblé pour effondrement pendant des décennies par les États-Unis et Israël.

Dans les deux jours qui ont suivi son effondrement, Israël a mené environ 480 frappes à travers la Syrie et a complètement détruit la flotte syrienne à Lattaquié. Poursuivant son programme expansionniste, le Premier ministre Nétanyahou a illégalement revendiqué le contrôle de la zone tampon démilitarisée du plateau du Golan et déclaré que ce plateau ferait désormais partie de l’État d’Israël « pour l’éternité ». L’ambition de Nétanyahou de transformer la région par la guerre remonte à près de trois décennies et se déroule présentement sous nos yeux. Lors d’une conférence de presse le 9 décembre, le Premier ministre israélien s’est vanté d’une « victoire absolue », justifiant le génocide en cours à Gaza et l’escalade de la violence dans toute la région, y compris par les assassinats successifs des chefs du Hamas, Haniyé et Sinwar, et du Hezbollah, Nasrallah, APRÈS qu’ils ont plaidé pour des cessez-le-feu. M. Sachs recommande la lecture de Dennis Fritz Deadly betrayal et d’Ilan Pappé Lobbying for Zionism on Both Sides of the Atlantic.

En septembre 2024, Nétanyahou s’est adressé à l’Assemblée générale de l’ONU avec une carte du Moyen-Orient divisée entre « bénédiction » et « malédiction », le Liban, la Syrie, l’Irak et l’Iran étant bien sûr maudits par Nétanyahou. La vraie malédiction est le chemin du chaos guerrier d’Israël, qui après le génocide à Gaza, a maintenant englouti le Liban et la Syrie, avec l’intention de Nétanyahou d’entraîner les États-Unis dans une guerre avec l’Iran également.

Tout cela au service d’une cause profondément injuste de nier aux Palestiniens leurs droits politiques en vue de servir l’extrémisme sioniste basé sur le Livre de Josué du VIIe siècle avant notre ère, où Dieu ordonnait à Josué et à ses guerriers fanatiques religieux de commettre de multiples génocides pour conquérir un pays dont ils n’étaient pas les habitants originaux! En résistance, les nations arabo-islamiques et la presque totalité du monde se sont unis à plusieurs reprises pour appeler à une solution à deux États et à la paix entre Israël et la Palestine. Au lieu de quoi, Israël et les États-Unis ont créé un désert et l’ont appelé paix.

Jeffrey D. Sachs est professeur à l’Université Columbia dont il dirige le Centre pour le Développement Soutenable. Il a conseillé trois Secrétaires généraux des Nations-unies, en particulier l’actuel secrétaire Antonio Guterres.