Par Peter Maurer, président du comité international de la Croix-Rouge (CICR)
Vendredi 22 Janvier 2021 – Plusieurs journaux dans le monde ont titré : « Les bombes nucléaires ont toujours été immorales. Elles sont maintenant illégales. » La Presse n’a accordé qu’un espace à l’opinion du professeur en sciences juridiques Rémi Bachand (aussi membre d’Échec à la Guerre) en changeant d’office son titre et en lui accolant une photo de missile nucléaire nord-coréen !!
Paru dans le journal l’HUMANITÉ, voici une opinion boycottée par la majorité des journaux qui se proclament voix du monde libre! Mais est-ce à cause de son idéologie ou de sa nationalité française que l’interviewer Pierre Barbancey a pris soin de ne référer aucune de ses questions à l’ONU ni à l’OMS ? P.J.
L’entrée en vigueur, ce vendredi, du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, ratifié par 51 États, est un véritable levier judiciaire pour les rendre à terme illicites. C’est « une victoire pour l’humanité », estime Peter Maurer.
En quoi l’entrée en vigueur du Tian est importante ?
Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (Tian) est le premier instrument de droit international humanitaire visant à remédier aux conséquences humanitaires catastrophiques de l’utilisation et de la mise à l’essai d’armes nucléaires. À compter du 22 janvier, il sera illégal d’utiliser ou menacer d’utiliser, de développer, tester, produire, acquérir, posséder ou stocker des armes nucléaires.
En outre, les parties devront fournir une assistance aux victimes des essais et de l’utilisation d’armes nucléaires et assainir les zones contaminées.
Juridiquement contraignant pour les 51 États qui l’ont ratifié ou y ont adhéré, il le sera aussi pour les États qui deviendront parties à l’avenir. En interdisant expressément et catégoriquement l’utilisation d’armes nucléaires, ce texte affirme avec force que tout recours à ces armes serait non seulement inacceptable d’un point de vue moral et humanitaire, mais aussi illégal au regard du droit international humanitaire. Il donne force de droit à la conviction profonde, partagée par les États et la société civile, que toute utilisation d’armes nucléaires est inacceptable, quel qu’en soit le motif.
Pourquoi le Comité international de la Croix-Rouge se sent-il concerné ?
Notre organisation humanitaire et la Croix-Rouge du Japon ont été les témoins directs des souffrances indescriptibles causées par les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki en 1945, alors qu’elles tentaient de porter secours sur place aux mourants et aux blessés.
Depuis soixante-quinze ans, nous plaidons pour l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires, tandis que nous observons toujours les effets à long terme des armes nucléaires et que la Croix-Rouge du Japon continue de soigner dans ses hôpitaux plusieurs milliers de personnes atteintes de divers cancers imputables aux radiations.
Les armes nucléaires ont des conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire et constituent une menace pour l’humanité. Aucun pays n’a les moyens de maîtriser les effets d’une guerre nucléaire et de faire face aux conséquences qu’engendrerait une catastrophe d’une telle ampleur et dont les effets transcendent les frontières. Aucune organisation internationale ne pourrait non plus répondre de manière adéquate aux besoins des victimes.
Enfin, il est difficilement concevable que l’utilisation d’armes nucléaires puisse un jour être conforme au droit international humanitaire, dont le CICR est le garant. Ce traité est donc une victoire pour l’humanité, espérée par tous ceux qui mènent campagne depuis des décennies.
Certains affirment que les États possédant l’arme nucléaire n’étant pas signataires de ce traité, il n’aura aucune portée. Est-ce votre avis ?
Le Tian consacre le tabou relatif à l’utilisation de ces armes. À ce titre, il incite de manière plus pressante les États qui en sont dotés à réduire et, à terme, éliminer leurs arsenaux nucléaires, conformément à leurs engagements et leurs obligations au titre du droit international et en particulier du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui reste la pierre angulaire de la lutte pour la non-prolifération et le désarmement nucléaires.
Il serait illusoire de s’attendre à ce que le traité donne naissance dès demain à un monde sans armes nucléaires. Il s’envisage plutôt comme le point de départ d’une action à long terme – engagée sur le plan humanitaire et juridique – pour le désarmement et la non-prolifération nucléaires. C’est ainsi que fonctionne le droit international.
D’autres traités interdisant l’emploi d’armes spécifiques ont fini par imposer une nouvelle norme qui a entraîné une modification des politiques dans des pays qui n’y avaient pourtant pas adhéré. Pour ce faire, ce document représente aussi un formidable levier d’influence pour les partisans de l’interdiction et de l’élimination des armes nucléaires.
Comment faire vivre ce traité, le renforcer et l’appliquer ?
L’entrée en vigueur du Tian marque un nouveau départ de l’action visant à débarrasser le monde de l’arme nucléaire. Nous devons désormais nous employer, dans les prochaines années et décennies, à promouvoir le respect des interdictions établies par ce texte. Nous devons veiller à ce que ses dispositions soient rigoureusement mises en œuvre par les États parties, et chaque signature et chaque ratification constitueront un pas de plus vers notre objectif. Nous continuerons en outre d’exhorter les États détenteurs d’armes nucléaires et ceux qui leur sont alliés à prendre des mesures pour réduire le risque d’utilisation – en abaissant le seuil d’alerte opérationnelle et en diminuant le rôle de ces armes dans leurs politiques de sécurité et leurs doctrines militaires, notamment – et, bien sûr, à long terme, à signer et ratifier le traité.
Enfin, nous devons continuer de sensibiliser à l’impact catastrophique des armes nucléaires sur le plan humanitaire, et à la nécessité de protéger les générations actuelles et futures contre les dangers de ces armes, les plus terrifiantes jamais inventées. Il est de notre devoir de prévenir ce à quoi nous ne sommes pas en mesure de nous préparer.
Au final, est-il possible d’abolir les armes nucléaires ?
Ce traité marque un tournant en faveur d’une atténuation effective des effets à long terme de ces armes de destruction massive et réoriente le débat, d’ordinaire dominé par le point de vue des États détenteurs, sur l’arme elle-même et ses conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire.
Les interdictions du Tian établissent une norme claire, un repère à l’aune duquel seront jugés tous les efforts visant à parvenir à un monde sans armes nucléaires. Quel que soit le délai que l’on se fixe pour débarrasser à jamais le monde de la menace nucléaire, on ne pourra y parvenir qu’en s’appuyant sur une norme de droit qui interdit expressément les armes nucléaires. À ce jour, 86 États ont signé le traité et 51 l’ont également ratifié ou y ont adhéré, mais notre travail ne sera pas terminé aussi longtemps que tous les États n’auront pas fait de même.
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