La Crimée, l’Ukraine, Rachmaninov et les bombes nucléaires

Auteur: Pierre Jasmin | Le 17 mars 2014, 09h09

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17 mars Un référendum vient de donner une majorité stalinienne de plus de 95% à l’option du rattachement de la Crimée à la Russie. Les Tatars se sont abstenus, des soldats en armes patrouillaient les rues, autant de faits qui montrent que ce référendum a été illégal. Mais le fait que 81% de la population ait voté lui donne malgré tout une légitimité, quoiqu’on en dise. Il y a trois semaines, des militants en armes avaient illégalement renversé le gouvernement Yanoukovitch, mais le vote de près des 2/3 des parlementaires ukrainiens en faveur d’un nouveau gouvernement lui avait accordé une certaine légitimité.

Inquiétant match nul, alors que M. Poutine est qualifié de « nazi » par des voix telles que nos gouvernants canadiens (dont notre premier ministre qui va aller montrer « notre » soutien au gouvernement ukrainien illégal) et madame Hillary Clinton, laissant peu de place à la négociation Kerry-Lavrov, et surtout: comment, par quelle escalade, réagiraient-ils maintenant à une invasion de l’Est de l’Ukraine par des troupes russes? Espérons que Poutine n’ira pas jusque là et espérons que les nouveaux dirigeants de l’Ukraine ne lui fourniront pas un prétexte en réprimant leur minorité russophone. Quant à M. Harper, s’il est ukrainophile, qu’il donne des cadeaux à l’Ukraine mais qu’il ne lui donne pas le mauvais exemple de sanctions anti-russes…

En date du 3 MARS, nous écrivions le plaidoyer suivant pour garder la tête froide fort pertinent sur le danger d’une confrontation Est-Ouest, car on déplore, une fois de plus, l’attitude sectaire du gouvernement conservateur canadien face au conflit en Ukraine qui ne sert personne, ni même ses alliés ukrainiens. Jocelyn Coulon, directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix (CÉRIUM) écrit aujourd’hui: « depuis les derniers jours, la diplomatie occidentale s’époumone à condamner l’agression russe en Crimée. Chacun y va de sa déclaration, certaines n’étant pas toujours bien choisies. Ainsi le Secrétaire d’État américain, John Kerry, n’a pas résisté aux grandes envolées oratoires: « au XXIe siècle, vous ne vous comportez pas comme au XIXe siècle en envahissant un pays sous un prétexte fabriqué. » C’est pourtant exactement ce que les États-Unis ont fait en 2003 à propos des armes de destruction massive en Irak avec l’appui de Kerry, alors sénateur. Résultat: 200 000 morts du côté irakien. Pour l’instant, les militaires russes n’ont tué personne. »   

Notre article datant du 23 février semble mériter peu de corrections: combien de médias regrettent leurs éditoriaux d’alors?

Voici, tempérées par nos prises de position des Artistes pour la Paix contre l’homophobie (en Inde, en Ouganda et en Russie…) de la part d’un gradué du Conservatoire de Moscou (1978) quelques réflexions pro-culture russe : elles auraient préféré ne pas s’engager politiquement face aux tractations de M. Poutine et s’orienter culturellement sur le 2e concerto de Rachmaninov, magistralement interprété par le pianiste-collègue Denis Matsuev à la cérémonie de clôture des Jeux de Sotchi. Nous avions soupé à trois, avec l’ami chef d’orchestre Misha Pletnyev, il y a un an, quand ils sont venus interpréter avec l’OSM le 3e concerto de Rachmaninov.

Denis Matsuev

Denis est revenu cet automne à la Maison Symphonique de Montréal jouer le 2e concerto avec l’orchestre Mariinsky de St-Pétersbourg et son chef Valéry Guergiev, qu’il m’a alors présenté chaleureusement. Ce chef, ambassadeur de l’UNESCO, en dirigeait le premier mouvement (quelque peu réarrangé) ce matin à la télé. Sans égaler la poésie du spectacle d’ouverture auquel ont participé nos amis les 7 doigts de la mainle spectacle de clôture suivit la belle victoire de l’autochtone Carey Price et de nos vedettes canadiennes de hockey qui ont joué « défensivement en équipe » : on aimerait voir le gouvernement canadien faire de même, plutôt que de privilégier l’offensive des F-35, des drones, des hélicoptères d’attaque, des frégates modifiées et la vente d’armes à des pays plus que douteux (voir article sur les véhicules blindés vendus à l’Arabie saoudite)!

UKRAINE

Plus d’un million 200 000 Canadiens (32 000 seulement, au Québec) sont d’origine ukrainienne, surtout dans l’Ouest d’où proviennent plusieurs ministres conservateurs influents. L’Ukraine est donc devenue une question nationale, d’autant plus que le ministre canadien des Affaires étrangères avait participé à une manifestation de rue contre le gouvernement élu d’Ukraine. Les événements de la fin de semaine en font des gagnants. Mais on sait qu’en politique, le gagnant d’hier sera le perdant de demain…

La décision historique du président Victor Ianoukovitch de préférer accorder à la Russie le contrat d’approvisionnement en gaz naturel à son pays, en mettant au second plan les négociations avec l’Europe, a été très mal accueillie par l’opposition : celle-ci avait déjà fort mal digéré sa défaite électorale il y a quatre ans par un faible pourcentage de votes (au 2e tour, 49,42% des voix au pro-russe Ianoukovitch contre 46,69% des voix au pro-occidental Iouchtchenko). Or, le président avait immédiatement profité de son élection pour modifier la constitution en concentrant davantage de pouvoir à l’exécutif et en montant un procès inéquitable contre la célèbre opposante aux tresses blondes, Ioulia Timoshenko : elle vient d’être libérée sur ordre du Parlement. Car son bras droit, Olexandre Tourtchinov, élu hier président du Parlement ukrainien, avec 288 voix sur un total de 450, a aussitôt appelé une élection anticipée d’ici au 25 mai et la destitution du président Ianoukovitch : ce dernier a délaissé son palais présidentiel de Kiev, témoin de son accumulation de richesses mal acquises, retraité dans ce qu’on considérait jusqu’à hier son fief de Kharkiv, puis désavoué par ses alliés, il a fui le pays.

La collusion du président ukrainien avec Poutine réveillait évidemment des souvenirs douloureux : Staline avait provoqué avant la 2e guerre mondiale une famine faisant des millions de morts précisément en Ukraine, afin d’asseoir son autorité despotique sur la paysannerie qui n’acceptait pas les kolkhozes. D’où le sentiment actuel populaire ukrainien et le déferlement médiatique à sens unique (Radio-Canada, La Presse, Le Devoir, les journaux occidentaux) s’indignant à la une en appui aux révolutionnaires, comme si le président avait remis en question le processus électoral démocratique et instauré une dictature. Pour compliquer le tableau de la situation, le premier ministre russe Dmitri Medvedev avait dénoncé en son allié un pouvoir « sur lequel on s’essuie les pieds », alors que Ioulia Timochenko, native de l’est russophone, est étonnamment respectée par Moscou, et par Vladimir Poutine, qui avait proposé, quand elle était incarcérée, qu’elle soit soignée en Russie.

Si l’entente Poutine-Ianoukovitch permettait à l’Ukraine de se procurer du chauffage à très bas prix pour les prochaines années, la corruption indéniable, tant en Russie qu’en Ukraine, en aurait fait profiter des magnats de l’énergie qui auraient ainsi gonflé leurs avoirs mal acquis …dans les banques occidentales – l’Union européenne envisageait d’ailleurs une pénalité des gouvernements occidentaux ciblant ces honteux profiteurs, une bonne chose. Réfléchissons tout de même que les prix de chauffage exorbitants ont causé des dizaines de milliers de morts chez les plus pauvres : cela explique pourquoi les pensionnaires, c’est-à-dire d’innombrables ex-fonctionnaires, militaires et veuves de l’époque soviétique, appuyaient cette entente concoctée par leur vieux gouvernement qui leur aurait assuré un chauffage lors des hivers prochains, tandis que technocrates et jeunes hommes d’affaires ambitieux déploraient la coupure de Yanoukovitch avec l’Europe de la mondialisation.

Donc, encore une fois, de cet affrontement entre jeunes de la rue et vieux favorables au statu quo policé de l’ex-gouvernement, sortent gagnants des émeutiers n’ayant toutefois rien à voir avec nos manifestants du printemps érable : leurs rangs sont gonflés par le parti Svoboda et les fascistes de Praviy Sektor armés de fusils et de cocktails molotov et financés par les droites américaines et canadiennes. On lira les articles de Pierre Dubuc dans l’Aut’Journal et regardera l’extrait suivant de la BBC, surtout si on comprend l’ukrainien (proche du russe):http://www.bbc.com/news/world-europe-26398112.

Ces manifestants vandalisèrent des édifices publics qu’ils menacèrent d’incendies. Que nos médias occidentaux s’émeuvent des visages ensanglantés des jeunes révolutionnaires exhibés complaisamment à la une, on n’a rien contre cela, mais pendant ce temps, de malheureuses vieilles, mortes gelées dans leurs logements mal isolés, ne font pas l’objet de photos aussi spectaculaires…

Le dialogue que nous endossons et appelé par Ban Ki-moon reste un appel naïf et fragile, dans l’état polarisé actuel. Notre foi démocratique nous porte à faire malgré tout davantage confiance aux parlementaires (même situation au Canada, d’ailleurs!) qu’à l’ex-président, désavoué par son propre parti. Mais les parlementaires jouent un jeu dangereux qui pourrait déclencher une riposte militaire russe, ce qui serait désastreux.

Enfin, permettez-nous de déplorer l’unanimité suspecte des médias occidentaux qui s’apprêtent à remettre cela au Vénézuela, avec la protection des défavorisés par Chavez remise en question par les plus riches. Dans quelle mesure le président Nicolas Maduro a-t-il trahi cet héritage, en permettant à son entourage de s’enrichir et en laissant l’inflation et la criminalité augmenter dans les rues de Caracas? On aimerait bien que le peuple du Vénézuela en soit le seul juge lors des futures élections, sans que le ministre canadien des Affaires étrangères n’aille parader parmi les forces d’opposition d’ailleurs désunies.

Lettre reçue d’un représentant australien de Pugwash:

UKRAINE CRISIS HAS NUCLEAR DANGERS

The Human Survival Project (a joint project of People for Nuclear Disarmament and the Centre for Peace and Conflict Studies, Sydney University, Australia)  has pointed to the potential for nuclear catastrophe inherent in the latest and most severe crisis in Ukraine. We are calling for extreme caution and restraint on all sides.

“The nuclear dimensions of the Ukraine crisis are pretty obvious to many experts, yet they remain thus far the ‘elephant in the room’ in all the talk about Ukraine. Russia and the United States together posses about 95% of the world’s nuclear warheads. Each of them maintains just under 1000 warheads in a state in which they can be launched in, according to Russian military sources, ‘a few dozens of seconds’. These warheads are primarily aimed at each other. Their use would spell the end of what we call civilisation, and create an immediate body count of over a billion. The subsequent global climatic effects of their use would make human survival questionable.”

“Ukraine itself was once home to over 400 Soviet nuclear warheads, which it inherited at its independence. Ukraine was persuaded to renounce those warheads (voyez l’article suivant nouvelles hélas exclusives qui le mentionnait) only by the conclusion of the ‘Budapest Memorandum’ in which the US, the UK and Russia together guaranteed Ukraine’s independence and territorial inviolability. Ukraine has now invoked that memorandum.”

“Russia has over 1000 ‘tactical’ or non-strategic warheads. While we do not know locations with any precision, it is likely that some are located with Iskander missiles in Kaliningrad, on the Baltic. The Russian naval base at Simferopol in the Crimea, as a major submarine base, will of course be home to submarine-launched ballistic missiles. On the other side, NATO countries, including Germany, Italy, and Turkey, host as many as 400 US tactical nuclear weapons.”

“NATO does of course include France and the UK, both nuclear armed, France with just under 300 warheads, the UK with just over 100 warheads operational.”

“There is a frightening record of nuclear ‘close calls’ between the US and the USSR/Russia, ranging from a bear that nearly set off WW-III in the Cuban missile crisis to the Serpukhov-15 incident of September 26, 1983, ‘The Day the World Nearly Ended’, whose hero, Colonel Stanislav Petrov, is the subject of the movie ‘The Man Who Saved the World’.”

“There is no point in apportioning blame for the meltdown that is now taking place in Crimea and elsewhere in Ukraine. It is hardly surprising that Russia wants to defend its most important nuclear submarine facility. Reflexively blaming one side and lining up with the other is completely unproductive and, indeed, highly dangerous. It does nothing to promote a solution.”

“If we go in the direction we are now going, the potential for catastrophe is all too real. Let us hope and work that this is not the outcome.”

“Possible solutions might well include either a Ukraine that no longer includes Crimea (which was « gifted » to Ukraine by Nikita Khrushchev in 1954) and acknowledges the special interests of Russia in eastern Ukraine, and/or a Ukraine that has a close and cooperative relationship with BOTH Russia and the EU. Looking in these directions rather than finger-pointing would be more productive, and less potentially catastrophic, than a rush to confrontation.”

johnhallam2001@yahoo.com.au