Le secrétaire général des Artistes pour la Paix, Pierre Jasmin, grâce aux recherches de la webmestre Valéry Latulippe, rappelle nos deux hommages rendus en 2017 et en 2021. 

Les APLP honorent Janette Bertrand 9 avril 2017   

Janette Bertrand continue de nous émerveiller par son engagement féministe en toutes ses productions télévisées à titre de scénariste/animatrice/autre depuis les années 50. Ma vie en trois actesdresse en trois heures de télévision le portrait d’une femme courageuse, humaine et attachante qui a façonné l’histoire exemplaire de l’évolution des femmes au Québec.Le féminisme, comme le pacifisme, veut changer le monde : sa compassion active d’Artiste pour la Paix envers les Mohawks défendait leur pinède abritant des sépultures autochtones contre un promoteur qui voulait agrandir un golf en 1990. Elle succède en prix hommage à Michel Rivard, Alanis Obomsawim, Raymond Lévesque, Gilles Vigneault, Fabienne Larouche… 

Merci, Sébastien Dhavernas. Tu me présentes comme un vétéran, tu vas faire croire que j’aurais participé il y a 69 ans aumanifeste du Refus global qui sonnait le glas de 15 ans de régime clérical duplessiste ! Mais il y a exactement cinq ans, on fêtait le Jour de la Terre avec Dominic Champagne, Artiste pour la Paix de l’année, Frédéric Back et les jeunes cégépiens et universitaires aux carrés rouges. Notre printemps érable a mis fin à neuf années de corruption du gouvernement Charest, avec sa mine d’amiante et sa centrale nucléaire stoppées en 2012 par l’intrépide ministre des Ressources Naturelles Martine Ouellet. 

Il y a deux ans, les APLP participaient à la rédaction de l’Élan global repris par le Leap manifestode Naomi Klein pour mettre fin à neuf années de Stephen Harper et permettre au Canada de s’illustrer à la Conférence de Paris sur le Climat. On a aussi félicité pour son accueil de réfugiés de guerre M. Trudeau, appuyé par nos deux autres paliers de gouvernements, merci à Philippe Couillard et Denis Coderre. 

En décembre dernier, nous étions présents à l’exposition de neuf jeunes artistes musulmanes organisée par Jean-Daniel Lafond et Nathalie Bondil au Musée des Beaux-arts de Montréal (lire notre article l’art de l’inclusion 2 en fin d’article). 

Aujourd’hui, nous appuyons Amnistie Internationale et les Premières Nations qui veulent une enquête sur le racisme systémique, afin d’améliorer le vivre-ensemble : dans cette même salle, il y a deux semaines et demie, Messieurs les maires Beis et Coderre, en collaboration avec la Fondation Michaëlle-Jean, lançaient une semaine d’actions contre la haine et le racisme. 

En 2014, les APLP s’étaient donc opposés à la Charte des valeurs du Parti Québécois que vous avez appuyée, Janette, par solidarité avec votre amie Pauline Marois. Mais votre opinion et celle de la grande Lise Payette ont alors été contestées de façon virulente par des trolls sexistes et âgistes, condamnant sans nuances vos dénonciations de l’islamisme radical, en vous accusant de racisme anti-immigrant… Comme si on n’avait pas le droit au Québec de préférer des immigrés juifs séfarades et musulmans francophones du Maghreb comme Mohamed Lotfi, plutôt que des salafistes intégristes qui refuseront de s’intégrer. 

Janette Bertrand et Pauline Marois

Ces trolls, les a-t-on aperçus dans la marche d’un quart de million de Montréalais qu’on a organisée en 2003 avec Luc Picard pour empêcher le Canada d’entrer en guerre contre les musulmans d’Irak ? Ont-ils dénoncé comme nous en 2011 les bombardements canadiens de l’OTAN en Libye, qui ont fait tomber les armes de Kadhafi entre les mains de milices djihadistes qui mettent l’Afrique à feu et à sang ? Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU sonne l’alarme ce mois-ci sur la possibilité de 20 millions de morts à cause de ces guerres, et c’est sans compter les dizaines de milliers de naufragés en fuite sur la mer Méditerranée.

Qui de nos médias, à part TVA et Azeb Wolde-Georghis de Radio-Canada, a relayé la conférence de presse que j’ai présidée en 2013 à la CSN – merci à Gérald Larose ici présent à la mairie -, après avoir dû changer de lieu en raison de menaces de mort, dont une fatwa koweitienne ? Venant de Syrie où elle travaillait sans relâche à des réconciliations, Mère Agnès-Mariam de la Croix était à Montréal pour nous confier sa détresse face aux mercenaires de l’Armée islamique armés par la CIA et les pétromonarchies, plus violents encore que Bachar el-Assad, et c’est pas peu dire ! Et cette religieuse, empêchée de parole suite au désistement d’un centre chrétien effrayé par des appels à la bombe, a fait sa conférence du soir… dans un centre islamique, quelle exemplaire solidarité pacifiste transcendant les sectarismes religieux ! Ce matin, M. Trump a bombardé la Syrie en décrétant qu’elle était responsable de l’utilisation d’une arme chimique. Rappelons-nous qu’en 2013, une enquête de l’ONU n’avait pu déterminer si Assad était responsable, ou les rebelles à partir d’un stock provenant de la Libye irresponsablement bombardée par l’OTAN. 

 

Janette raciste ? Voyons donc !Son féminisme, comme le pacifisme, change le monde. Et ce n’est pas d’hier. Souvenons-nous de sa compassion militante envers les Mohawks qui défendaient en 1990 leur pinède écologique abritant des sépultures autochtones contre un promoteur qui voulait agrandir un golf: j’en parlais la semaine dernière au pianiste de jazz François Bourassa, dont le père premier ministre atteint du cancer a voulu régler cette crise avec la diplomatie du ministre Ciaccia ! C’était grâce à l’influence de femmes sages et courageuses face à l’opinion publique comme vous, Janette, comme les regrettées Janine Sutto et Simonne Monet-Chartrand, comme Alanis Obomsawim qui avait quitté notre conseil d’administration pour aller filmer sur les barricades mohawks. Les femmes de paix Myra Cree et Monique Giroux à Oka, à qui nous avons porté des fèves, des courges et du maïs en symbole de solidarité, engueulaient autant certains Warriors trop violents que des agents racistes de la Sûreté du Québec. Et nous avons dit merci au patron de l’armée canadienne De Chastelain pour la retenue imposée à ses hommes à Kanesatakeh, avant qu’il parte en Irlande désarmer les milices protestantes et catholiques, parce que ce général-en-chef était peut-être le dernier à comprendre que la paix se fait en désarmant, pas en bombardant… 

Les médias qui ont relayé les attaques contre vous, Janette, ont passé sous silence nos alertes signées Dimitri Roussopoulos à notre ministre des Affaires extérieures sur la situation des Kurdes attaqués et par les djihadistes et par la Turquie. Lundi prochain à Ottawa, je suis invité par le ministère des Affaires mondiales à qui je vais reprocher leur boycott de la semaine historique que nous venons de vivre à l’ONU : 132 pays, hélas SANS LE CANADA, ont entrepris des négociations pour éliminer les bombes nucléaires, à l’incitation de 940 membres de l’Ordre du Canada et de 7000 Maires pour la Paix, dont nos amis de Hiroshima! Pas un mot des médias, comme ils ont tu nos pétitions qui dénonçaient les véhicules blindés vendus par l’Ontario et John Baird à l’Arabie Saoudite en guerre au Yémen et les Superhornets agressifs du ministre de la Défense à cinq, six milliards de $ : ces armes, ne menacent-elles pas les musulmans, prétendument « attaqués » par Janette ? 

Pour terminer, compassion est LE MOT-CLÉ pour décrire Janette qui a fait bien plus que parler pour parler : chaque admirable épisode de Ma vie en 3 actes témoigne de son féminisme agissant ayant façonné l’histoire du Québec. Ses émissions télévisuelles populaires n’ont jamais pris de haut les personnes vulnérables, les vieux agressés par leurs familles ou en certains CLSC, les jeunes drogués, les homosexuels sidéens, les femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants battus, même les agresseurs désemparés qu’elle réintégrait à la vie ! C’est pourquoi elle a reçu en 1989 le Prix de la santé et du bien-être psychologique de l’Ordre des psychologues du Québec, fut déclarée Femme du siècle par le Salon de la femme de Montréal en 1990 et a reçu l’Ordre national du Québec en 1992 et l’Ordre du Canada dix ans plus tard. Et après le prestigieux Prix du Québec Guy-Mauffette en 2011, voici notre humble hommage 2017.  Nous t’aimons très fort, Janette, et voici en 40 secondes pour le dire mieux que moi, un dernier mot d’une personnalité de la télévision, seul autre prix accordé par les APLP en ce domaine en 29 ans… 

Sébastien Dhavernas prend le relais pour nous lire le petit mot que Fabienne Larouche a tenu à nous transmettre: 

Je suis désolée de ne pas être avec vous aujourd’hui. Toute une primeur, je travaille ! J’aurais tellement aimé être là pour cet hommage à Janette qui a toujours été pour moi une inspiration, non seulement par ses œuvres, mais aussi, et surtout, par son humanité.  Il y a beaucoup d’artistes de talent, mais c’est à cette capacité d’entrer en communion avec le public qu’on reconnaît les plus grands. Pour moi, Janette, dans le petit monde de la télévision, c’est toi la plus grande. Chaque jour, en me mettant à l’œuvre, et surtout lorsque je rencontre des difficultés – elles ne sont pas rares dans le métier – je me pose la question : « Comment Janette agirait-elle ? ». C’est excellent pour le caractère, je te l’avoue. Avec ce réflexe en tête, je deviens une meilleure femme, avec l’espoir fou de te ressembler un peu plus chaque jour.  La seule petite critique que je me permettrai de te faire, c’est qu’en tentant d’imiter ta résilience, je n’ai pas fini de manquer les rendez-vous comme celui d’aujourd’hui en raison du boulot, puisque tu n’as pas de frein. Paix à toi, Janette, artiste de la Paix, mais surtout artisane des rapports harmonieux, de la compréhension mutuelle et de l’ouverture à l’autre. Je t’aime. 

Quelle émotion de rendre hommage à Janette Bertrand, humaniste et artiste pour la paix, qui nous a confié avoir commencé sa réflexion sur la paix auprès de son père, à l’affût des nouvelles de la Seconde guerre mondiale à la radio. Elle nous a dit avoir alors ressenti profondément une sorte de vocation que la communication entre les êtres était le point de départ essentiel, non pas pour éviter totalement les conflits, mais pour en assurer une issue sinon heureuse, du moins non-violente. Ai-je bien interprété vos paroles, chère Janette ?  

 

Un documentaire inspiré de Janette Bertrand, signé par Léa Clermont-Dion 

13 août 2021Ecrit par Artistes pour la Paix 

La documentariste Léa Clermont-Dion réalisera le film documentaire Janette Bertrand et filles et Éric Ruel ainsi que Guylaine Maroist produiront le projet qui démarrera sa production à l’automne prochain. Le film documentaire féministe sera diffusé sur Télé-Québec à l’automne 2022. La jeune Léa Clermont-Dion a toujours été militante pour la cause des femmes et elle l’illustrera une fois de plus dans le film Janette Bertrand et filles qui promet d’être un film coup de poing « inventif ». 

« C’est un privilège de pouvoir fouiller notre passé pour interroger notre présent. Mon but est de comprendre l’avancement des femmes vers l’égalité au Québec. Cette histoire, trop peu racontée, s’incarne par des actrices de changement incontournables. Rebelle féministe du gros bon sens, Janette Bertrand est témoin d’un siècle de transformations. Je promets un film inventif qui brasse la cage », lance Léa Clermont-Dion par voie de communiqué. 

Janette Bertrand et filles, fera partie de la lignée des documentaires d’archives de La Ruelle films. La boîte est d’ailleurs responsable pour les documentaires Jukebox : un rêve américain fait au Québec, la série J’ai la mémoire qui tourne et Expo 67 : Mission Impossible, dontl’un des héros, Yves Jasmin, était présent pour l’hommage à Janette à la mairie, puisqu’ils ont fait plusieurs émissions dont Chacun son métier ensemble. 

Dans Janette Bertrand et filles, on pourra entre autres voir Guylaine Tremblay, Martine Delvaux, Claudia Larochelle, Noémi Mercier, Kim Lizotte, Régine Berteau, Chris Bergeron, Pauline Marois, Gabrielle Boulianne Tremblay, Sarahmée, Philippe-Audrey Larrue-Saint-Jacques ainsi que notre reine québécoise, Janette Bertrand. 

Les Artistes pour la Paix rappellent que Guylaine Maroist fut élue présidente des APLP dans l’année cruciale où le gouvernement du Québec a tiré la plogue sur la centrale nucléaire Gentilly 2 (en partie grâce à son film Gentilly or not to be) et que Janette Bertrand a fait l’objet d’un hommage célébré par notre organisme en 2017 à la mairie de Montréal, en choisissant René Derouin APLP de l’année. 

 

 

Rappel de notre article l’art de l’inclusion, écrit avant la honteuse dérive de l’école Bedford 

L’art de l’inclusion – 2e partie 

8 janvier 2017 Écrit par Pierre Jasmin 

Un commentaire 

Musée des Beaux-Arts de Montréal, samedi 10 décembre 2016 

Compte-rendu de Pierre Jasmin. Le vice-président des Artistes pour la Paix était accompagné en matinée par André Jacob, membre du C.A. APLP, aussi professeur honoraire UQAM, ex-coordonnateur de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations 

Les Artistes pour la Paix remercient Jean-Daniel Lafond, cinéaste et écrivain, mari de Michaëlle Jean [1] et directeur de la Fondation qui porte son nom, pour son invitation et son encouragement constant : il était présent le 15 février dernier à la remise du prix de l’APLP de l’Année au jeune rapper autochtone Samian; cette cérémonie à la Mairie de Montréal présidée par M. Denis Coderre honorait aussi Michel Rivard, dont une chanson avait alors été interprétée par le groupe multi-ethnique Surkalen.

La journée, on l’a écrit dans http://www.artistespourlapaix.org/?p=12272, fut lancée par un admirable discours de bienvenue par Nathalie Bondil dont la belle énergie en faveur de la paix avait créé l’exposition John Lennon-Yoko Ono (bien meilleur souvenir que le décevant musée de la Paix Hornstein : que fait sous ce thème un tel bric à brac où domine le portrait de l’impérialiste Napoléon ??). 

Si Jean-DanielLafond s’est surpassé par un discours de paix équilibré et rassembleur, Michaëlle Jean a aussi prononcé un vibrant discours, additionné toutefois d’une tirade anti-terrorisme islamiste déplacée dans les circonstances, même si on a vite compris qu’elle procédait de l’inquiétude d’une mère dont la fille était sortie le 13 novembre 2015 au soir dans le quartier même où les attentats du Bataclan avaient eu lieu ! 

On a déjà vanté le travail de Peter Flegel et les allocutions de Fo Niemi,Claudie Mompoint [2] et de Hanieh Ziaei [3]contenant notamment des: 

STATISTIQUES QUI PARLENT D’ELLES-MÊMES DE LA NÉCESSITÉ DE   DÉVELOPPER LA POLITIQUE DU VIVRE-ENSEMBLE, PAR EXEMPLES : 

  • 70% DE LA POPULATION MONTRÉALAISE N’EST PAS NÉE À MONTRÉAL; 
  • 33% SONT NÉS À L’EXTÉRIEUR DU CANADA; 
  • SUITE À UNE FORTE IMMIGRATION ENTRE 2001 ET 2011, 10% SONT MUSULMANS; 
  • MAIS MALGRÉ LEUR TAUX PLUS ÉLEVÉ DE SCOLARISATION, ILS SOUFFRENT D’UN TAUX DE CHÔMAGE DE 18%, TAUX QU’ON NE PEUT ATTRIBUER SEULEMENT À LEUR PLUS JEUNE ÂGE (EN MOYENNE) 

Les Artistes pour la Paix n’ayant en rien contribué au succès de cet événement, il nous est d’autant plus facile de le louer, d’une part parce que, disons-le nettement, il y avait toutes sortes de possibilités de rater une entreprise aussi délicate (et je ne parle même pas de la possibilité d’une attaque terroriste…). D’autre part, même si on nous reproche nos attaques incessantes, il faut encore souligner l’absence de nos médias francophones, alors que la majorité des artistes couronnés s’exprimait en un français impeccable et que the Gazette [4] et la CBC avaient saisi l’importance de l’événement! 

Nous avons déjà souligné l’interprétation par Joël Janis d’une superbe version très applaudie d’une chanson non moins superbe (vous en trouvez les paroles inspirées dans notre article précédent intitulé l’art de l’inclusion 1), par notre Artiste pour la Paix de l’Année (carrière), Michel Rivard. 

Les jeunes Musulmans et leurs œuvres 

L’invitation à prendre part à cette journée était illustrée par une œuvre d’une des neuf jeunes lauréates – il y avait aussi un lauréat – récompensés par dix bourses de la Fondation Michaëlle Jean. L’intitulé de l’illustration (qu’on voit au début de l’article : bravo, Mlle Bentaya) se décline en deux versions qui signifient une même réalité « l’union fait l’inclusion » ou « l’union fait la diversité ». Car on ne peut unir que ce qui est séparé. 

Des autres œuvres esquissées, retenons l’installation saisissante de Yousra Benziane qui a aligné une dizaine de sacs de plastique transparent, tous transpercés par un crayon effilé en plein milieu de leur contenu d’eau qui, par un phénomène physique qu’elle m’a patiemment expliqué, ne s’écoule pas : symbole voulu de la résilience de ces musulmanes, certaines réfugiées de pays meurtris par nos bombes, pour se retrouver chez nous agressées par les campagnes maladroites à la Donald Trump ou à la François Legault qui les blessent. 

Quatre des lauréates étaient voilées (deux d’un hidjab), mais les aurait-on simplement ENTENDUES, on n’aurait saisi aucune différence entre leurs discours (sauf pour une seule intervention désagréablement anti-québécoise qui nous a fait douter un moment de l’objectivité du jury). Les difficultés commencent lorsque leurs œuvres sont interprétées. 

La jeune Wuroot Habib a exposé des photos de son tapis de prière en différents lieux du CÉGEP Dawson où étudie aussi sa consoeur très articulée, Abdelhamid Beniani. Wuroot nous a expliqué très simplement qu’elle prie cinq fois par jour, « pour remercier la vie » ; ces moments de méditation sont pour elle « une façon de ralentir hors de la société, de respirer, de prendre un moment à réfléchir en dedans ». Et elle insiste qu’à chacune de ses demandes adressées à différents intervenants du CÉGEP, elle n’a reçu que sourires et permissions accordées de squatter dix minutes, soit une salle de classe vide, soit un bureau de professeur, soit l’aboutissement d’une cage d’escalier ou même la grande armoire à balais du concierge ! 

Mais lors de ma visite de l’exposition en après-midi, j’ai pu observer que ses photos exposées provoquaient déjà des revendications agressives de membres de comités islamiques qui s’indignaient de l’indignité de ces lieux de prière. Pourtant, pour Wuroot et ceux et celles qui avaient entendu ses explications dans la salle plus tôt, la simplicité rustre de ces lieux témoigne ardemment de l’authenticité de sa foi. Et on sait trop combien les demandes agressives d’accommodements de la part de ces comités provoquent des refus de la part de professeurs qui ont raison de dire que des lieux de prière n’ont pas leur place dans un lieu d’enseignement : sans écoles religieuses abusivement subventionnées, le Québec n’aurait pas à rappeler cette évidence qui heurte parfois ces jeunes musulmans qui la prennent « personnelle ». Et leurs exigences provoquent un ressac indigné de militants laïcs qui ne retiennent plus leur agressivité : alors la paix fout le camp. 

Pauvres jeunes musulmans : victimes au départ de préjugés qui les blâment d’exprimer leur foi, victimes après, d’instrumentalisation de la part de co-religionnaires. 

La Québécoise Monique Proulx, ou en tout cas le personnage musulman masculin de son roman intitulé Ce qu’il reste de moi l’a très justement exprimé : 

Choisir délibérément de se cacher les cheveux quand on est une femme ici est un geste d’une tonitruance inouïe(…). Je vous ai vue sourciller, alors que le foulard dont je parle ici est loin de ressembler au tchadri opaque comme une armure que je vois dans vos yeux. Ce n’est qu’un bout de tissu aérien, coloré, qui serait un ornement aimable, et certainement un sujet négligeable dans un monde moins paranoïaque. La paranoïa est si forte des deux côtés, à vrai dire, que je ne blâme pas davantage les Occidentaux, qui associent tout tissu sur la tête au terrorisme et à l’écrasement des femmes, que les islamistes, qui ont investi deux minuscules versets du Coran de leur interprétation biaisée pour nous infliger sans en avoir l’air leurs vieilles traditions bédouines. Cette obsession pour les cheveux des femmes couverts ou découverts est tellement risible qu’elle donne envie de pleurer. (…) Le Coran, le Qur’an, est une œuvre magnifique d’une luminosité et d’une poésie indescriptibles, intraduisibles, et l’entendre réciter ou le réciter soi-même ouvre des brèches dans l’Absolu. Ma peine est grande de voir le Qur’an, cette monumentale déclaration d’amour, réduit à un symbole d’oppression ou à un instrument de fermeture. (…) Tous les jours des gestes atroces sont commis par des gens malheureux qui dirigent leur douleur vers l’extérieur, et tous les jours la douleur se propage au lieu de se colmater. 

Elle cite ces versets du Coran qui s’adressent comme un reproche autant à nos islamophobes qu’aux terroristes qui s’attaquent à l’Occident : « la punition d’un mal est un mal identique; celui qui pardonne et s’amende trouvera sa récompense » (XVII, 40). 

À l’opposé, l’Algérien Kamel Daoud, dans son réquisitoire anti-colonialiste Meursault, contre-enquête, fait se lamenter ainsi son personnage principal : 

J’ai toujours cette impression quand j’écoute réciter le Coran qu’il ne s’agit pas d’un livre mais d’une dispute entre un ciel et une créature ! La religion est pour moi un transport collectif que je ne prends pas. J’aime aller vers ce Dieu, à pied s’il le faut, mais pas en voyage organisé. (…) Je déteste les religions et la soumission. A-t-on idée de courir après un père qui n’a jamais posé son pied sur terre et qui n’a jamais eu à connaître la faim ou l’effort de gagner sa vie ? (…) J’ai parfois envie de crever le mur qui me sépare de mon voisin, de le prendre par le cou et de lui hurler d’arrêter sa récitation de pleurnichard, d’assumer le monde, d’ouvrir les yeux sur sa propre force et dignité et d’arrêter de courir derrière un père qui a fugué vers les cieux et qui ne reviendra jamais. Regarde un peu le groupe qui passe, là-bas, et la gamine avec son voile sur la tête alors qu’elle ne sait même pas encore ce qu’est un corps, ce qu’est le désir. Que veux-tu faire avec des gens pareils ? Hein ? 

Dès l’après-midi faisant suite à cette matinée si riche et si lumineuse, des associations musulmanes ont pris le plancher d’ateliers organisés, en déformant souvent ce que les jeunes artistes avaient dit si naturellement. Un exemple : on s’est emparé d’une simple statistique (43% des Québécois se méfient de ceux qui professent ouvertement leur religion) comme d’une manifestation islamophobe, alors que j’ai immédiatement offert mon opinion que cette statistique ne faisait que refléter l’intelligence des Québécois de renier leurs années de duplessisme clérical et de politique ignoble des pensionnats autochtones où certains frères chrétiens violaient les jeunes qui leur étaient confiés. Mais mon intervention fut perçue comme désagréable, parce qu’elle faisait chanceler à la base toute la construction victimaire que cette cléricale d’un autre temps s’apprêtait à lancer… 

À suivre… 

[1] Notre site soulignait en 2010 « le courage dont Michaëlle fit preuve en Afrique, ne craignant pas : 

  • au Sénégal de dénoncer devant les autorités l’esclavage des enfants soumis à certains imams sans scrupules. 
  • en République Démocratique du Congo, de dénoncer, toujours courageusement  devant les autorités, les viols odieux que la guerre au Sud-Kivu entraîne : les dignitaires de ce pays se partagent alors entre femmes qui applaudissent cette dénonciation avec enthousiasme et hommes qui n’osent pas se solidariser et retiennent leur approbation. Par honte, pudeur ou lâcheté? Par atavisme coupable ? Que de chemin à parcourir… 
  • au Rwanda, de présenter des excuses au peuple rwandais (et non à son gouverne-ment, car la main du diable qu’a serrée le général Dallaire n’est peut-être pas celle qu’il pensait), au nom du Canada qui, comme le reste de la communauté internationale, a failli au devoir de secourir la population lors du génocide de 1994 et cela, malgré les appels et avertissements lancés désespérément par le même Général Roméo Dallaire. 

 

Et l’espoir, sans doute irrationnel, naît car on se prend à imaginer dans un futur rapproché (…) voir se développer de telles solidarités auprès des millions de femmes qui travaillent désormais grâce aux microcrédits, pour que l’humanité triomphe des froids traités d’affaires conclus par les sociétés minières sans scrupules dénoncées par Noir Canada (éditions Écosociété). La justice sociale et les combats pour l’égalité de la femme et contre le racisme tels que menés par la gouverneure générale inspirent l’humanité dans son chemin vers la paix… » 

[2] Représentante de la Ville de Montréal, on lui doit une bonne part des statistiques éloquentes citées. 

[3] Nous la remercions pour son courriel saluant aimablement notre premier article : son discours commentait plusieurs de ces statistiques et citait pertinemment l’orientalisme du regretté Edward Saïd. 

[4] Le numéro du 12 décembre contenait une photo couleur de Wuroot Habib (reproduite), et un article élogieux de Christopher Curtis. Mentionnons aussi l’hommage posthume par Russell Copeman, maire de Côte-des-Neiges, de son mentor Warren Allmand, un grand homme de paix (pages A3 et A4). 

Arts visuels, Paix sociale 

Travailler à construire la paix relève d’une conscience critique 

                       Pierre Jasmin 20 février 2017 – 0 h 44 min 

Kamel Daoud, prix Jean-Luc Lagardère du journaliste de l’année et auteur de Meursault contre-enquête que j’ai cité, fait l’objet de 17 pages fascinantes dans le magazine français Le Point du jeudi 9 février. 

Parmi ses réflexions fulgurantes, celles-ci nous font douter de nos prises de position et nous l’en remercions. Le doute n’est-il pas la conviction du pacifiste? 

 

  1. « Par son décret de bannissement, le président américain [Donald Trump] rend service aux islamistes, à leur cartographie du monde, à leur vision d’ « oumma » qui déclasse les nations. Il réinvente en effet la géographie confessionnelle. Les pays bannis sont désormais la carte des pays « musulmans ». C’est-à-dire une géographie tracée par une confession. (…) Les états-nations sont effacés derrière le tracé de l’ « oumma ». Daech et les islamistes ne pouvaient pas trouver meilleur allié… Les médias islamistes n’ont pas repris la protestation impressionnante du monde contre le bannissement, ses images émouvantes et ses appels à réagir par la solidarité. Occupé par la culpabilité [d’avoir engendré les guerres et Trump?], l’Occident n’a pas vu, perçu, senti l’immense onde de jouissance qui a parcouru l’islamistan à l’annonce du bannissement. Ainsi la grande muraille devient plus haute et on consacre l’idée d’un Occident qui nous vomit et d’un califat qui lentement se met en place pour nous accueillir avec compassion, réaction aux débâcles des nationalismes devenus régimes prédateurs ou au patriotisme devenu idolâtrie aux yeux des islamistes et arnaques aux yeux des jeunesses désillusionnées. » 
  2. « Partout dans le monde arabe, on continue de glisser de la loi vers la fatwa, de l’élu par les urnes vers l’imam par le ciel, de la Constitution vers la charia, de l’école vers la récitation. 
  3.  « Je suis un attentat contre le discours d’une certaine gauche ». 
  4. Sébastien Le Fol, journaliste du Point, écrit : « Vous avez subi une fatwa en Algérie. De quoi avez-vous peur? ». KM : « Dans le fil du rasoir de Somerset Maughan, l’un des personnages demande à l’autre : « C’est vrai que les gens ont peur de la mort? » L’autre lui répond : « J’ai rencontré beaucoup plus de gens qui avaient peur de la vie ». SLF « Et vous, avez-vous peur de la vie? » KM « J’ai peur de ne pas la mériter ». 
  5. SLF « Vous avez été le premier journaliste à parvenir dans le village de Had Chekala où un millier de personnes avaient été massacrées par les djihadistes en décembre 1997. Vos engagements défient tous les conforts idéologiques. » KM « Dans le Prophète de Khalil Gibran, si je ne me trompe pas, il y a un passage que j’aime beaucoup. Un gamin, qui passe tous les matins devant le prophète en train de prêcher, s’arrête un jour et lui dit : « Pourquoi continuez-vous à prêcher? Vous savez très bien que vous n’allez pas changer le monde. » Et le prophète de répondre : « Je le fais pour que le monde ne me change pas. » (ça, c’est pour nous, Artistes pour la Paix) 

Kamel Daoud a remporté le prix Goncourt en 2024 pour HOURI chez Gallimard. 

Mais c’est une Tunisienne, Alice Zeniter, qui nous a davantage séduits par son intégrité remarquable dans L’ART DE PERDRE publié par Flammarion aussi en 2017.