Un article de Michael Byers publié dans le Globe and Mail du 6 mars 2025

 

Même si nous avons connu un Byers plus militant anti-guerre, voici le dernier article que nous appuyons néanmoins de la part du prof de l’Université de Colombie-Britannique.

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NOUS DEVRIONS ANNULER L’ACHAT DES CHASSEURS F-35 DES ÉTATS-UNIS

Par le codirecteur de l’Institut de l’Espace Extérieur, MICHAEL BYERS 06 mars 2025

« Alors que les négociateurs américains s’activent sur des concessions sur les minéraux critiques de terre rare ukrainiens la semaine dernière, ils auraient menacé de couper (NDLR IIs l’ont coupé le 7 mars) l’accès aux satellites de communication Starlink de SpaceX. Or, l’armée ukrainienne dépend de Starlink pour les communications de première ligne et les opérations de drones. Ici en Amérique du Nord, le président Donald Trump menace de faire du Canada le 51e État, motivé – selon le Premier ministre Justin Trudeau – par un désir de mettre la main sur nos minéraux critiques. Le gouvernement canadien devrait prendre l’expérience récente de l’Ukraine comme un avertissement clair et annuler l’achat prévu des chasseurs F-35 (NDLR. Comme les APLP le réclament depuis 2015).

Le problème, voyez-vous, est que le Canada n’aura jamais un contrôle total sur ces avions lourdement informatisés. Lockheed Martin, le géant américain de la défense qui fabrique le F-35, a toujours refusé de partager le « code source » complet avec des clients étrangers, y compris les alliés proches des États-Unis. Le code source, composé de huit millions de lignes de code ou plus, est la programmation de base qui permet toute la fonctionnalité de l’avion. Puisque le code source est un secret bien gardé, chaque mission d’entraînement ou de combat menée par un F-35 canadien nécessitera un «téléchargement des données de mission » traitée par des installations informatiques spécialisées aux États-Unis.

Les données téléchargées détaillent les objectifs de la mission ainsi que les profils de menaces et permettent l’utilisation complète des capacités d’analyses situationnelles avancées du F-35. Maintenant, imaginez que le président américain souhaite contraindre le Canada à faire des concessions sur les minéraux critiques ou peut-être sur les détournements transfrontaliers d’eau douce. Il pourrait facilement ordonner que le Canada soit privé d’accès aux installations informatiques basées aux États-Unis. Nos F-35 pourraient toujours voler, mais leurs capacités d’intervention seraient compromises.

Si les États-Unis souhaitaient envahir le Canada, ils pourraient obtenir une supériorité aérienne marquée – qui sait en quelques frappes de clavier. Le gouvernement canadien voit déjà la nécessité d’être aussi indépendant que possible avec les F-35. En novembre dernier, il a commencé à enquêter sur la possibilité d’un dépôt de structure aérienne spécialisé au Canada, pour soutenir l’entretien et l’exploitation à long terme des avions. Un tel dépôt, a-t-il expliqué, «aiderait à maintenir des capacités souveraines au Canada». Pourtant, certains travaux de maintenance devraient encore se faire à l’extérieur du Canada. Par exemple, les deux seules installations capables de maintenir les revêtements furtifs des F-35 sont situées aux États-Unis et en Australie lointaine. Puis, le mois dernier, le gouvernement canadien a annoncé des plans pour un « programme de formation des futurs pilotes de chasse » pour « préparer et entraîner les pilotes à la transition ». Mais pendant les années jusqu’à ce que ce programme devienne opérationnel, nos pilotes de F-35 recevront nécessairement leur formation spécialisée dans d’autres pays. Même à plus long terme, les syllabus de formation et les simulations informatisées viendront des États-Unis. Il y a même un risque pour la chaîne d’approvisionnement.

Les avions de chasse avancés nécessitent un entretien constant et un approvisionnement régulier de pièces de rechange, et le F-35 est un avion tellement complexe que la gamme complète de pièces de rechange n’existera jamais qu’aux États-Unis. Bien que certaines pièces du F-35 soient produites au Canada, si l’accès à la gamme complète de pièces était un jour refusé, les F-35 canadiens deviendraient, un par un, inutilisables.

Il existe une alternative prête au F-35 qui ne serait pas effectivement contrôlée par les États-Unis. Dans la compétition précédant la décision du Canada d’acheter le F-35, le Saab Gripen E fabriqué en Suède, répondait à toutes les exigences techniques. Le Gripen E n’est pas aussi lourdement informatisé que le F-35. Il manque également de technologie furtive. Mais il est relativement bon marché et facile à entretenir, capable de décoller et d’atterrir sur de courtes pistes arctiques, et peut se défendre dans un combat aérien. De plus, Saab s’est engagé à construire les avions au Canada.

Depuis que cette compétition a eu lieu, la Suède est devenue un État membre de l’OTAN. Aujourd’hui, le pays nordique est un allié infiniment plus fiable que la version actuelle des États-Unis, qui vient justement d’imposer des tarifs douaniers au Canada. Il est vrai que l’annulation de l’achat des F-35 de plusieurs milliards de dollars ennuiera et sûrement soulèvera l’ire de M. Trump. Cela pourrait même mettre en péril le NORAD, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord bilatéral. Mais si le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait suivi la même logique de « ne pas provoquer », il aurait embrassé les pieds de M. Trump et renoncé aux droits sur les minéraux critiques de l’Ukraine. Les chasseurs aériens sont l’outil pointu de toute armée moderne. Aucun pays souverain n’achèterait ceux qu’un président américain tyrannique pourrait désactiver à sa guise. (Traduction par Claude Nicol).

Note de Pierre Jasmin

Pour les Artistes pour la Paix, il existe des alternatives diplomatiques à l’achat coûteux d’armes qui ne peuvent qu’envenimer les guerres (rappel à Trudeau de notre document 2016, page 5 point 9, qu’il a rejeté avec mépris) :

https://www.artistespourlapaix.org/memoire-des-aplp-au-ministere-de-la-defense/