Paul Buissonneau (24 décembre 1926 – 30 novembre 2014)
Les Artistes pour la Paix ont adopté depuis quelques années la tradition de prononcer des hommages posthumes à la mémoire d’artistes qui ont travaillé pour la justice sociale en sacrifiant les succès d’une carrière au profit d’une parole libre et empreinte de vérité: nous avons décerné de tels hommages aux cinéastes Arthur Lamothe et Magnus Isaacson, ainsi qu’aux femmes de paroles Hélène Pedneault et Myra Cree.
Il y a soixante ans, Paul Buissonneau choisissait d’établir au Québec les bases d’un art théâtral davantage improvisé et critique de la société, en fondant d’abord la compagnie de théâtre pour enfants La Roulotte puis le Théâtre de Quat’ Sous, où il a mis en pratique plusieurs des objectifs chers à Bertold Brecht. On a souvent raconté comment celui que la télévision a baptisé Picolo a créé l’expression l’Osstidchô, spectacle qu’il a mis en scène et dont le secrétaire des APLP Bruno Roy, décédé il y a tout juste 5 ans, a décrit l’importance dans un livre sous-titré le désordre libérateur. En effet, à partir de ce moment-là, l’aspect guindé cérémonial présidant aux représentations allait laisser sa place à quelque chose qui ressemble davantage aux Québécois.
Domlebo : « Chère madame Monik Barbeau, nous sommes touchés que vous nous honoriez de votre présence et notre présidente Guylaine Maroist est heureuse, en témoignage de notre estime pour vous et votre défunt mari, de vous remettre copie de ce manuscrit qui sera remis à tous les lauréats ce midi, rédigé par Richard Séguin et Raymond Lévesque. Il se lit ainsi : « Nos armes de paix sont le cinéma, la musique, les arts visuels et médiatiques, la chanson, le théâtre, la poésie, la danse, le cirque… Nos armes de paix sont nos gestes et nos paroles. Nos armes de paix sont nos engagements. Nos paroles et actions résonnent dans le présent de ce monde et trouveront écho dans les générations à venir. Quand les hommes vivront d’amour, les soldats deviendront troubadours. »
Yvon Deschamps, qui a eu le bonheur de côtoyer Paul pendant six décennies, nous dit quelques mots» (à sa manière inimitable qu’on ne peut transcrire, même).
Puis Romain Pollender nous renverse en recréant Paul Buissonneau !
« Paulo, comme un ami indéfectible, vous gueulait par la tête de vous grouiller le derrière, parce que vous pouviez faire mieux, parce qu’il avait vu clair en vous, il avait vu ça, lui, même si d’autres prétendaient le contraire : il s’en foutait et criait qu’il vous botterait le derrière jusqu’à ce que vous deveniez celui qu’il savait se cacher en vous !
Ça, c’est le Paulo que peu de gens connaissent, celui qui vous poussait à n’en faire qu’à votre tête de cochon, celui qui vous affirmait que vous valiez la peine, qui vous encourageait à foncer droit devant, toujours droit devant, parce que vous et vos rêves en valaient la peine! Mais la grande réussite, le grand chef-d’œuvre inconnu de ce Paulo-là, c’est que nous sommes probablement des milliers d’anonymes à l’avoir cru quand il nous prenait sous son aile pour nous secouer la carcasse, des milliers que vous ne connaîtrez probablement jamais, mais dont Paulo aura changé la vie. Ça devait être comme une maladie chez lui, il fallait qu’il change pour le mieux la vie des autres. Pouvait pas s’en empêcher ! Mais sans jamais que la foule ne le sache. Non, ses bontés n’étaient pas pour la galerie, et comme doivent toujours l’être les véritables coups de pouce charitables, les siens s’effectuaient dans le secret le plus strict de son gigantesque cœur de guignol attentionné. Voilà ce qui doit être dit, ce qu’il faut retenir, ce que Paulo savait faire mieux que tous ceux que j’ai croisés dans mon existence, juste ça : Paulo savait aimer son monde. Il savait comment être l’ami qui vous manquait et que vous méritiez d’avoir. Paulo savait aimer. Pourquoi est-ce que vous pensez qu’il est parvenu à changer le monde et le Québec en particulier? C’était tout con, son truc, mais ça marchait en s’il vous plaît! Une anecdote : les enfants trisomiques, qu’on parque souvent devant la télévision, reconnaissaient leur Picolo et lui, prenait le temps de leur ouvrir les bras et de les cajoler. Chapeau, l’artiste pour la paix, toujours reconnaissable à son affection particulière envers les plus faibles, les marginaux et les exclus!
Il y a une chose que j’aimerais vous révéler avant de retourner à mon anonymat. Un truc important que Monik et quelques autres privilégiés sont les seuls à savoir, toi Monik, sa Dulcinée, que ton gros Don Quichotte au doux cœur de peluche pouvait « aimer jusqu’à la déchirure » et te confier sur l’oreiller toujours vouloir « brûler quoiqu’ayant tout brûlé» quitte « à s’en écarteler » parce qu’il était encore loin d’en avoir fini avec ses « impossibles rêves ».
Eh bien, Paulo, comme Jacques Brel, écrivait des poèmes. Un fameux bricoleur de sens, juste, truculent, baveux même : bref, un poète extraordinaire. Je vous lis l’un des tout derniers poèmes que Paulo nous a laissés, avant de monter foutre le bordel au Paradis, c’était à l’Hôtel-Dieu où il était soigné. »
La peau des autres
Nostalgie ou hantise? Perdre à jamais ce que nous avons été. Faire son deuil de nos souvenirs que l’on disait impérissables. Place au silence interminable. La mémoire défaillante du film de notre existence.
L’écriture peut-être, saura sauver les lambeaux de la saga de cette vie réinventée avec ses contradictions que nul ne peut contester. Qui avons-nous été? Les autres ont-ils les mêmes curiosités? Je voudrais m’évader de moi pour connaître les autres, … changer ma peau contre la leur, récapituler l’histoire de leur vie, connaître enfin le savoir de chacun, conforter mes angoisses.
Tout nu, plus nu que jamais sans ma peau, seul habit à ma mesure, je suis lancé dans cet échange impensable. Cette vieille pelure de presqu’un siècle, usée jusqu’à la corde et toujours vivante, peut-elle encore intéresser quelqu’un?
Quel sera mon futur personnage? Faut y penser, j’abandonne à l’autre mes cicatrices, mes empreintes digitales et toutes mes tares inscrites jusqu’au bout de mes doigts, signature indélébile prouvant mon identité. Je suis habillé de la peau des autres, héritant de leurs malheurs, de leurs maladies et des emmerdes qui vont avec; la panoplie de l’homme tout court! Je ne me ressemble plus.
Je refuse le contrat d’interpréter tous les rôles que la comédie humaine a voulu nous inculquer. Nous sommes faits du même moule, le responsable de nos malheurs, tous nés sous la même bannière : «la connerie»!
Paul Buissonneau
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