L’article suivant de notre ami Riccardo confirme avec éclat les opinions des Artistes pour la Paix exprimées notamment par Jean Bédard et Pierre Jasmin.
Jean écrit : « dans les années 1990, Michaïl Gorbatchev cherchait à sauver l’URSS de la faillite par des traités économiques et de désarmement avec l’Europe et les États-Unis. Ronald Reagan en a profité pour le faire danser, le mettre à genoux juste pour le plaisir d’amuser son électorat. L’URSS s’est disloquée au grand plaisir d’une certaine Amérique qui en a abusé sans la moindre honte. Gorbatchev n’est plus, il nous en faut un autre. »
Pierre écrit : « la perestroïka de M. Gorbatchev fut attaquée
- en URSS par le KGB de Poutine et les nationalistes populistes de Yeltsine,
- dans le monde occidental par l’OTAN
- et aux États-Unis par le Pentagone, la CIA et le complexe militaro-industriel
construisant et multipliant depuis un an les bombes atomiques.
Tous craignaient la possibilité de paix, c’est-à-dire un arrêt de leurs lucratives fonctions et rien n’a changé aujourd’hui puisque même au Canada les APLP voient leurs articles proposant des négociations de paix en Ukraine censurés par les médias et partis canadiens. »
Voici l’article de Riccardo :
Cordial, gentil, sachant écouter, Mikhaïl Gorbatchev était un homme bon. Une grande personne. Il a été un homme de paix et pour la paix. C’est lui qui a mis fin à la guerre froide. En particulier, en tant que « chef » de la deuxième plus grande puissance mondiale de l’époque, il a eu le courage de proposer le désarmement nucléaire intégral alors que les Etats-Unis n’en voulaient pas. Et lorsque le président Reagan lui proposa de réduire de moitié l’arsenal nucléaire Gorbatchev lui répondit : « Et bien, comme ça, je pourrai vous détruire avec 3000 bombes au lieu de 6000 ».Il savait que le chemin de la transformation de l’URSS dans le sens d’une société juste, socialiste, libre, vivable passait par l’abandon des logiques de puissance, de domination et de guerre. D’où son engagement pour la glasnost (transparence) et la perestroika (reconstruction économique).
Il a tenté de réformer l’URSS par la transparence. Cette option lui permit d’introduire des libertés d’expression et d’association auparavant interdites. Prisons « politiques » et goulags furent fermés. La glasnost stimula aussi, entre autres, les sentiments identitaires des populations non-russes. Mais, la résistance des forces conservatrices (oligarchies de tout genre) et de celles qui voulaient clairement tourner le pays vers une économie de marché l’en empêcha, par un coup d’État.
De l’écroulement de l’URSS en 1989, il en tira une leçon majeure qu’il tenta de communiquer : il s’adressa aux leaders des États-Unis (ainsi qu’à ses opposants internes) les exhortant de ne pas commettre l’erreur de penser que la disparition de l’URSS était la victoire des États-Unis et du système capitaliste. Elle était due principalement à des facteurs internes et à l’incapacité de la société russo-soviétique de surmonter les difficultés. Hélas, ni les Américains, ni les Européens, ni les nouveaux groupes au pouvoir en Russie et dans les pays de l’URSS devenus indépendants n’ont porté attention à l’avertissement. On connait la suite. Les États-Unis (et les pays de l’OTAN) ont repris la guerre globale contre la Russie pour la mettre à genoux et renforcer leurs suprématie hégémonique mondiale. De leur côté, les ennemis internes ont considéré la politique de Gorbatchev comme une trahison de la défense des intérêts et du devenir de la Russie et sont revenus aux visions impériales russo-tsaristes d’avant la Révolution d’Octobre 1917.
La sagesse et l’honnêteté politiques de Gorbatchev ont été jetées aux orties. Résultats : l’explosion de la guerre globale en Ukraine et le fait que personne parmi les belligérants ne veut arrêter la guerre.! Au sein des groupes dominants occidentaux (Etats-Unis, UE, OTAN et…alliés) tous veulent continuer la guerre « jusqu’à la victoire » et personne ne parle plus de désarmement nucléaire, de paix. Ils s’opposent même, avec acharnement, à la concrétisation des objectifs du Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires ratifié par plus de 65 États de l’ONU, devenu dès lors un traité international avec force juridique. Même son de cloche du côté de la Russie de Poutine. En comparaison avec des dirigeants actuels irresponsables, Gorbatchev fait figure d’un géant de la res publica mondiale.
En tant que membre du Conseil scientifique du World Policy Forum présidé par Mikhail Gorbatchev, j’ai eu le grand honneur de le connaître. J‘ose croire qu’on avait sympathisé. Une petite confirmation : le message personnel que, sous notre requête, il envoya à l’Agora des Habitants de la Terre lors de la conférence de fondation de l’Agora en décembre 2018 : « Dans cette situation critique où le destin futur du monde et la sécurisation de notre planète sont menacés, il est urgent que l’opinion publique, la société civile et tous les habitants de la Terre s’unissent pour prévenir le glissement du monde vers une catastrophe et élaborent un programme d’actions au niveau planétaire, afin de trouver des moyens de sortir de l’impasse dangereuse actuelle.
Votre initiative inspirante d’élaborer une Charte de l’humanité correspond à ce noble objectif et pourrait constituer une étape favorable dans la prise de conscience par tous les êtres humains de leur appartenance à la communauté mondiale, chargée de maintenir la vie sur Terre. Elle reçoit pour cette raison mon soutien enthousiaste. » Mikhail Gorbatchev (Extraits), 13 décembre 2018.
Bruxelles, 2 septembre 2022 (publié par Pressenza.com)
Titulaire d’un doctorat en Sciences politiques et sociales, et du doctorat honoris causa de huit universités : Suède, Danemark, Belgique (x2), Canada, France (x2) et Argentine. Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain (Belgique) ; Président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau (IERPE) à Bruxelles (www.ierpe.eu). Président de l’Université du Bien Commun (UBC), association à but non lucratif active à Anvers (Belgique) et à Sezano (VR-Italie). De 1978 à 1994, il a dirigé le département FAST, Forecasting and Assessment in Science and Technology à la Commission de la Communauté européenne à Bruxelles, et en 2005-2006, il a été Président de l’Aqueduc de la région de Puglia (Italie). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’économie et les biens communs.
Merci à Guillaume Sauvé, politologue et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, qui écrit dans Le Devoir:
« Le drame de Mikhaïl Gorbatchev est de voir son nom associé à un événement dont il est responsable, mais qu’il n’a jamais souhaité : la dissolution de l’URSS. Au lendemain de son décès, il est utile de rappeler ce qu’il a voulu faire, en soulignant son approche originale des réformes, qui le distingue à la fois des autres dirigeants communistes et des présidents russes qui lui ont succédé.
Écartons d’abord un mythe. En URSS, les réformes n’étaient pas taboues. En 1985, c’est à l’unanimité que le Comité central du Parti communiste élit à sa tête le « tout jeune » Gorbatchev (il a 54 ans), avec le mandat de redynamiser un régime qui donne des signes d’épuisement. Toute la question est de savoir comment mener les réformes, et quel domaine prioriser.
L’approche initiale de Gorbatchev, suivant l’exemple de son mentor et prédécesseur Iouri Andropov, tout comme celui d’autres dirigeants communistes comme Deng Xiaoping en Chine, vise à rénover l’économie tout en préservant et même en renforçant le pouvoir du Parti, considéré comme le guide moral de la société. C’est ainsi qu’est adoptée en 1985 une loi qui réduit radicalement la production et la vente d’alcool afin de stimuler la productivité au travail. L’échec de cette mesure ainsi que la gestion catastrophique de l’accident nucléaire de Tchernobyl l’année suivante convainquent Gorbatchev de changer de stratégie.
Approche révolutionnaire
Ce n’est qu’à la fin de l’année 1986 que Gorbatchev adopte l’approche révolutionnaire qui fera sa marque. On peut la résumer par la formule « tout en même temps ». Elle repose sur le principe que la réforme économique ne peut réussir qu’à la condition de réformer simultanément à la fois le régime politique et le système international. À partir de ce moment, Gorbatchev insistera systématiquement sur la nécessité de rénover le communisme sur trois fronts : le marché, la démocratie et la paix.
Pourquoi la démocratie ? Selon Gorbatchev, seule la participation du grand nombre permet de lever l’obstruction aux réformes posée par les bureaucrates les plus privilégiés — la « nomenklatura ». Dans ce but, Gorbatchev libère la parole publique, d’abord graduellement — la « glasnost » — puis par l’abolition complète de la censure d’État. Il encourage aussi la participation politique, avec la tenue de premières élections compétitives (avec plus d’un candidat !) et l’abolition du monopole du Parti communiste.
Pourquoi la paix ? Mener de profondes réformes à l’intérieur du pays nécessite de sabrer les dépenses militaires engagées dans la guerre froide et de créer les conditions d’une paix mondiale qui garantiraient la sécurité à moindre coût. Dans cette perspective, l’URSS signe avec les États-Unis des accords de désarmement nucléaire, rend son autonomie à l’Europe de l’Est et retire ses forces d’Afghanistan.
Cette approche « totale » des réformes détonne dans le monde communiste, et notamment en Chine. Peu se souviennent, en effet, que la célèbre manifestation de la place Tian’anmen, en juin 1989, avait été organisée par des étudiants chinois à l’occasion de la venue à Pékin du leader soviétique. La répression qui s’abattit sur eux horrifia Gorbatchev, qui y vit la confirmation de la justesse de sa stratégie. À l’inverse, la disparition de l’URSS deux ans plus tard horrifia les dirigeants chinois, qui se virent confirmés dans l’idée que les réformes économiques ne doivent pas s’accompagner de démocratisation. (…)
L’invasion de l’Ukraine en février dernier consacre l’abandon définitif des voeux de paix de Gorbatchev. (…)