Vous trouverez ici un texte qui fut publié en 2009 à partir de données fournies par Radio-Canada retravaillées par Bruno Roy, secrétaire, et Pierre Jasmin, alors président des Artistes pour la Paix. Bruno prononcera ensuite une partie de l’éloge funèbre de Gilles en l’Église Notre-Dame lors de ses funérailles nationales (Montréal, décembre 2009), avant de décéder lui-même en janvier 2010. Aujourd’hui, 18/2/2014, grâce au travail de Valéry Latulippe, nous publions cet hommage posthume à ce grand artiste, membre illustre des APLP. On peut aussi consulter sur le même sujet l’article philosophique de Bruno Roy dans La Presse du 30 novembre 2009, qu’une lecture APLP pourrait intituler « Victoire de l’imaginaire ».
Le Parkinson a fini par emporter le cinéaste Gilles Carle, à 2 h 35 dans la nuit du 28 novembre 2009. Il avait 81 ans. Le premier ministre du Québec a annoncé des funérailles nationales pour le scénariste, réalisateur, monteur, producteur et peintre, malade depuis une quinzaine d’années. Sa conjointe Cholé Sainte-Marie annoncera plus tard les détails concernant la cérémonie. « Gilles Carle a été un des cinéastes les plus marquants du Québec, un homme au talent immense connu et reconnu à travers le monde » a déclaré le premier ministre Jean Charest. Pour sa part, la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, a souligné : « Ses films ont nourri notre imaginaire et ont influencé plusieurs jeunes réalisateurs. Il a été à la base d’une véritable renaissance du cinéma québécois en lui donnant un style unique et reconnaissable. » En hommage à Gilles Carle, l’Office national du film propose une sélection de ses films sur ONF.ca.
Éléments biographiques
Gilles Carle voit le jour le 31 juillet 1928, à Maniwaki. Il passe sa jeunesse en Abitibi et déménage à Montréal à 16 ans. Après des études à l’École des Beaux-Arts, entre autres avec Alfred Pellan, il entreprend une carrière de dessinateur et à défaut de devenir peintre, semble se destiner à l’écriture. Avec Gaston Miron, il cofonde les Éditions de l’Hexagone. Le cinéma, cependant, l’attire. Remplacé à Radio-Canada par le membre illustre et encore très actif des APLP Frédéric Back (qui quitte l’École des Beaux-Arts où il avait succédé à Borduas), Gilles Carle entre à l’Office national du film du Canada au début des années 60 à titre de scénariste. Il y tourne quelques courts métrages documentaires. Mais c’est la fiction qui l’intéresse.
En 1965, son premier long métrage de fiction La vie heureuse de Léopold Z porte un regard tendre et drôle sur les « petites gens » [expression de Radio-Canada] et remporte le prix du cinéma canadien. Mais après six ans, il quitte l’ONF et passe au secteur privé pour réaliser ses films en toute liberté. Le réalisateur devient copropriétaire et directeur artistique d’Onyx film, la première grande compagnie de production indépendante au Québec. De 1968 à 1980, il réalise des films très divers mais unis par leur focalisation sur des conflits, conséquences d’une exploitation. C’est le cas de:
- Le viol d’une jeune fille douce (1968)
- Red (1969)
- La vraie nature de Bernadette (1972)
- La mort d’un bûcheron (1973)
- Les corps célestes (1973)
- La tête de Normande St-Onge (1975)
- Fantastica (1980)
Ce dernier film inaugure le Festival de Cannes en 1980. Entre-temps, il a fondé les productions Carle-Lamy, avec Pierre Lamy, en 1971.
Les Amérindiens
Plusieurs de ses films, dont Red déjà en 1969-70, cherchent à revaloriser les Amérindiens victimes de l’exploitation et de la ségrégation culturelle des Blancs. En 1990, Gilles Carle encouragera ses confrères Arthur Lamothe et Dimitri Roussopoulos à aller, au nom des Artistes pour la Paix, porter fèves, courges et maïs à des femmes courageuses de Kanesatakeh qui, au cours de la crise autochtone d’Oka, ont su résister à la Sûreté du Québec mais aussi distribuer des taloches aux Warriors trop agressifs : parmi elles, Monique Giroux et Myra Cree, artiste pour la paix de l’année 2004. Car Gilles Carle est fier de l’organisme dont il est membre et au nom de qui il a offert de ses peintures à des lauréats du prix Artiste pour la paix de l’année. Il signe aussi la pétition rédigée par le compositeur Gilles Tremblay, APLP 1992, dénonçant la violence des Blancs ameutés par un tribun radiophonique pour lapider un convoi de Mohawks fuyant Kahnawake sur le pont Mercier et demandant au premier ministre Robert Bourassa de leur présenter des excuses nationales, pétition à contre-courant de l’atmosphère survoltée et agressive d’alors.
La femme
Un autre thème récurrent et le plus souvent triomphant de son œuvre : la femme, ses rapports avec les hommes et la société. À la plupart des films ci-haut mentionnés, s’ajoutent Les Mâles (1970), L’ange et la femme (1977) et Maria Chapdelaine (1983). Après l’indépendante et fière Micheline Lanctôt, la femme, autant dans sa vie que dans son cinéma, portera un nom pendant 10 ans, celui de Carole Laure, égérie autant qu’actrice, qui inspire au scénariste et réalisateur quelques-uns de ses meilleurs films qui lancent sa propre carrière non seulement au Québec, mais aussi en France. Puis sa vie sera illuminée par sa muse Chloé Ste-Marie qui prend le relais avec la Guêpe (1986), la Postière (1994) et surtout Pudding chômeur (1996) qui aborde en primeur le problème aigu des immigrants à qui la société frileuse refuse un emploi.
Parlant de frileuse sur un mode plus léger, Carle n’hésite jamais à déshabiller ses héroïnes, comme le peintre ses modèles, pour la plus grande satisfaction esthétique (bien entendu!) des spectateurs. Une thèse serait bienvenue pour lier la sexualité joyeuse dans son œuvre à son amour de la vie et au pacifisme des Artistes pour la Paix!
L’art populaire
Le réalisateur-scénariste-producteur restera toujours très fier de pratiquer un art populaire. En marge du snobisme élitiste d’un certain milieu artistique, Gilles Carle n’hésite pas à faire travailler Willie Lamothe, Michèle Richard et la grande Denise Filiatrault et à écrire une pièce populaire mise en scène par Paul Buissonneau et animée par Chloé Ste-Marie : la terre est une pizza ! Après La vie heureuse de Léopold Z qui racontait les aventures d’un déneigeur la veille de Noël, il y eut son chef d’œuvre Les Plouffe (1981), avec une autre muse, Anne Létourneau et Gabriel Arcand, véritable hymne pacifiste, d’après le roman de Roger Lemelin, suivi du Crime d’Ovide Plouffe en 1984. L’aspect populaire de son œuvre sera plus tard récompensé par une souscription généreuse entreprise par Pierre-Karl Péladeau et Quebecor afin d’assurer la survie de ses œuvres cinématographiques, ainsi qu’une retraite moins angoissante financièrement à celui qui ne peut compter que sur son aidante naturelle, l’infatigable Chloé Ste-Marie [à qui sera accordé le titre d’artiste pour la paix de l’année 2009]!
L’homme de parole [chapitre où on reconnaît la plume spécifique de Bruno Roy]
Devant sa table, ne se prenant jamais au sérieux, Gilles Carle a toujours pensé avec sa plume. Il s’imaginait même écrire « comme Shakespeare devait le faire ». Comme jadis la Bolduc. L’écriture, en effet, ne sera jamais loin de ses préoccupations. Rappelons que dès 1955, Gilles Carle fait partie du groupe des fondateurs des Éditions de l’Hexagone avec Gaston Miron, Olivier Marchand, Louis Portugais et Hélène Pilotte. C’est également avec Jacques Godbout et André Belleau qu’il fonde la revue Liberté. Tout cela ne l’empêchera pas d’écrire des sketches de cabaret pour Olivier Guimond qu’il considérait comme le plus grand comique québécois. On ne doit pas s’étonner d’apprendre que Gilles Carle aimait tout autant la Bible, Eugène Ionesco, Yves Thériault, Gaston Miron que Willie Lamothe. Ce qu’il aimait d’Yves Thériault, par exemple, c’est que ce dernier brassait la langue de tous les jours. De ce point de vue, dans l’écriture de Carle, on peut en reconnaître une influence : l’efficacité du style direct.
Par contre, admettait-il froidement « je n’ai jamais publié mes poèmes. Je n’en ai aucun regret d’ailleurs. Mais j’ai toujours continué à écrire ». Des scénarios, surtout. Des chansons également. Ce que l’on sait moins, c’est que la notion d’auteur l’a toujours obsédé. Gilles Carle n’est pas un auteur raté qui fait du cinéma, c’est un cinéaste qui aime les mots. Chez lui, scénario, théâtre, poésie, chanson sont des formes d’expression qui parlent un même langage : celui qui s’écrit. La liberté du mot et l’esprit de Carle sont faits pour s’entendre, pour se faire voir aussi. « Voir les mots », disait Rimbaud. Enfin, quelque soit son mode d’expression, ce qui intéressait Gilles Carle, c’était d’exprimer la nature humaine, aussi complexe soit-elle. Que l’on sache que le cinéaste ne sera jamais oublié; l’écrivain, lui, mérite qu’on le découvre.
Le réalisateur revient au documentaire et tourne notamment:
- Cinéma, cinéma (coréal. W. Nold)
- Ô Picasso(1984)
- Vive Québec! (1988)
- Le diable d’Amérique (1990)
- Montréal off (1991)
- Le sang du chasseur (1994)
- L’honneur des grandes neiges (1994)
En 1997-1998, il se lance dans une télésérie sur l’histoire du Québec, intitulée Épopée en Amérique. En 1998, sentant que l’heure du bilan est venue, Gilles Carles signe Moi, j’me fais mon cinéma, une autobiographie filmée.
Au début des années 90, il apprend qu’il est atteint de la maladie de Parkinson: ce diagnostic bouleverse sa vie. Remarquablement soutenu par sa compagne, Chloé Ste-Marie, il combat jusqu’à la fin cette maladie, qui a lui volé peu à peu l’usage de la parole et de ces mouvements. Au tournant de l’an 2000, sa maladie l’oblige à abandonner progressivement son métier.
Les films de Gilles Carle ont remporté 25 Génie et Canadian Film Awards. En 1989, ONF 50 ans décroche la Palme d’or du court métrage au Festival de Cannes. Il reçoit le prix Albert-Tessier, pour l’ensemble de son œuvre en 1990. L’Académie des Jutra lui remet le Jutra-hommage en 2001. La France reconnaît son talent en le décorant de la Légion d’honneur.
Le décès du cinéaste survient le 28 novembre 2009, onze jours après l’inauguration d’un projet d’accueil de personnes en perte d’autonomie située dans la demeure même de Gilles Carle et Chloé Sainte-Marie à Saint-Paul-d’Abbotsford, en Montérégie. Ce projet fut initiateur de la première Maison Gilles-Carle Brome-Missisquoi à Cowansville qui offre maintenant du répit aux aidants naturels en accueillant leurs proches aidés, avec le support de la Fondation Maison Gilles-Carle. Cette maison assure à l’artiste pour la paix Gilles Carle de survivre non seulement dans son œuvre, comme tout grand artiste, mais aussi dans son éminent rôle social.
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