Son accès était rendu plus difficile par la fermeture de l’entrée au Jardin Botanique vers l’Insectarium fondé par le regretté Georges Brossard [i] d’ailleurs présent aux cérémonies de commémoration des années passées et c’est pourquoi sa veuve, à qui nous avons offert nos condoléances, y assistait cette année.
Deux protagonistes essentiels de la remise de La cloche de la Paix, don de la Ville d’Hiroshima à la Ville de Montréal en 1998, étaient présents, sans que cela fût souligné dans les discours : le maire Pierre Bourque et M. Katsukuni Tanaka, ce dernier venu le matin même de Hiroshima, heureusement accueilli à l’aéroport par l’ex-délégué du Québec en Chine et au Japon, M. Claude-Yves Charron et son épouse Misa Hirai, discrètement présents chaque année depuis leur séjour en Orient.
La Cérémonie est rehaussée chaque année par la musique du quatuor Eska dont la belle présence à l’instigation des APLP remonte à six ans, durant la présidence de Daniel-Jean Primeau : leur choix de répertoire se rehausse toujours d’additions émouvantes, tel cet arrangement de la Cinquième Bachiana brasileira de Villa-Lobos mettant en valeur la violoncelliste.
Une douzaine d’écolières d’Hiroshima participaient à la cérémonie avec un texte revendicateur à la manière de leur consoeur Greta Thunberg, mais avec une retenue nipponne, culture oblige. Elles furent chaleureusement saluées par le cinéaste Martin Duckworth, APLP 2002, réalisateur du film No More Hibakusha (ONF 1983).
Le maire suppléant de la Ville de Montréal, Sterling Downey, et le consul général du Japon à Montréal, M. Osamu Izawa, ont fait résonner de concert la Cloche de la Paix à 19h15, en même temps que celle située à Hiroshima – décalage horaire oblige, car il était déjà le 6 août au Japon :
Ce soir, nous nous réunissons par solidarité envers toute la population d’Hiroshima. Lorsque le son de la Cloche de la paix, qui est un symbole des plus honorifiques pour Montréal, retentit dans notre ville, nous savons à cet instant que l’espoir et l’amitié sont plus forts que tout, a déclaré M. Downey.
On aura remarqué la présence de délégations amérindiennes, des Artistes pour la Paix et du MQP : Nancy Brown (aussi raging grannie), Pierre Jasmin, Izabella Marengo, André Cloutier et William Sloan (que nos autres nombreux alliés pardonnent notre mémoire défaillante).
Les cérémonies à Montréal sont toujours formatées en vue d’empêcher toute expression politique tirant des leçons de l’horreur de 1945. C’est un choix qui se respecte pour éviter des débordements. Pierre Jasmin se souvient d’une année où il avait osé évoquer le massacre de centaines de milliers de Chinois à Nankin par l’armée impériale nipponne, également coupable d’avoir empêché la population japonaise qui voulait capituler, n’en pouvant plus de la guerre après les cent mille victimes de l’incendie de Tokyo par des bombes américaines en mars 1945. Sans l’obstination des généraux, le Japon n’aurait sans doute vécu ni Hiroshima, ni Nagasaki. Sacrilège anti-militaire ? Non, vérité anti-militariste.
Pendant ce temps à Toronto
Les organisateurs de la cérémonie de commémoration ont eu le courage d’inviter cette année Ray Acheson, la même qui sera en vedette le 21 septembre à Montréal lors des événements animés par Pierre Jasmin et de Dimitri Roussopoulos. Voici le début de son véhément mais vrai discours (traduit de l’anglais par Pierre Jasmin) :
Merci pour cette invitation à parler dans ma ville natale en ce jour de grande signification et d’horreur.
Nous sommes ici sur le territoire traditionnel de plusieurs Premières Nations, incluant les Mississaugas, Anishnabeg, Chippewa, Haudenosaunee et Wendat. Je crois essentiel de le rappeler, alors que nous commémorons les bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki il y a 74 ans. Parce que je pense qu’il y a des connexions entre le fait que nous soyons aujourd’hui sur des terres autochtones volées, entre les bombardements de 1945 au Japon et la violence raciste d’aujourd’hui [tueries de Dayton et d’El Paso aux États-Unis survenues la veille]. Ces connexions incluent le patriarcat, le suprématisme blanc et raciste et l’idéologie du pouvoir par la violence.
Les bombes atomiques ont toujours été une question de pouvoir. Les hommes qui ont fabriqué et utilisé la bombe parlaient de ces objets comme de sources de pouvoir aussi puissantes que le soleil ou les dieux. Même aujourd’hui, ceux qui sont chargés de policer et de planifier les armes nucléaires se voient comme « des prêtres du nucléaire ». Leur patriarcat blanc est absolu – les femmes opérant à l’intérieur de ce système disent avoir été obligées d’adopter le langage et les coutumes des hommes qui le dirigeaient pour être acceptées ou perçues comme crédibles. Et ces hommes célèbrent et perpétuent une forme de masculinité dont la capacité de violence devient l’ultime symbole de leur « force » et où l’angoisse devant la mort, les destructions et les souffrances humaines est considéré comme faible et efféminé.
On constate ceci, encore et toujours, lorsqu’il s’agit d’armes nucléaires. Le culte de la théorie de dissuasion nucléaire est basé sur des normes patriarcales, et ceux et celles qui les contestent sont vus comme des êtres émotionnels, irrationnels et ignorant des réalités du monde. Voilà une façon commode d’écarter diverses perspectives et expériences en diffamant toute personne humaine qui défie la domination de ceux qui planifient la guerre nucléaire tout en prétendant qu’ils veillent à notre sécurité.
Et leur rhétorique de non-prolifération et d’empêchement de répandre les bombes nucléaires, tourne autour du concept d’empêcher « des gouvernements irrationnels de s’emparer de ces armes et de les garder en des mains sûres ». Ne voilà-t-il pas des formes de patriarcat et de racisme (deux autres aspects des armes nucléaires) puisque nous parlons du pouvoir des armes nucléaires, ce pouvoir de commettre des actes de violence nucléaires – de détruire des villes, des pays, l’univers entier?
On peut lire le discours dans son intégralité sur le site web de l’Aut’Journal (cliquez ici).
[i] C’est en 1989 que Georges Brossard avait donné à la Ville de Montréal sa collection d’un quart de million de spécimens d’insectes provenant de plus de 100 pays. Pierre Bourque, alors directeur du Jardin botanique, avait soutenu le projet d’insectarium qui a vu le jour le 7 février 1990. Les installations, en rénovation majeure, doivent rouvrir leurs portes en juin 2021.
On trouve la traduction en français pa Pierre Jasmin du discours de Ray Acheson dans un article du 12 août de l’Aut’Journal: http://lautjournal.info/20190812/les-bombes-atomiques-ont-toujours-ete-une-question-de-pouvoir