NDLR : Pierre Beaudet était cofondateur d’Alternatives et des Nouveaux Cahiers du socialisme.
Samedi 23 à l’UQAM, dans un événement organisé par les Nouveaux cahiers du socialisme, la compagne de Pierre Beaudet la professeure Anne Latendresse et ses deux fils Alexandre et Victor accueillaient avec une simplicité chaleureuse une centaine d’invités en personne et autant sur internet, afin de partager leurs souvenirs de celui qui avait transformé leurs vies. Comme le rapporte sa collègue Feroz Mehdi, il pratiquait selon l’enseignement de Gramcsi « le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ».On le surnommait l’incomparable jongleur de la paix, pour sa capacité à rassembler des révolutionnaires en calmant leur impatience tentée par la violence et des universitaires réformateurs dont il « boostait » les désirs de changement, le tout pour des objectifs suffisamment équilibrés pour qu’ils tombent sous le radar des subventionnaires-censeurs d’Ottawa.
Car avec le SUCO, il avait connu le désenchantement après tant d’œuvres utiles de solidarité internationale lâchement assassinées par les Conservateurs. Mais inlassablement, sa combattivité rebondissait, en particulier à travers son travail chez Alternatives et au Forum Social Mondial, de Porto Allegre à Montréal jusqu’à l’Afrique (Tunis, Dakar, Nairobi, …) au service de l’altermondialisme, concept tout à fait opposé à la mondialisation capitaliste.
Il avait notamment lutté au CIDMAA aux côtés de notre Ami des Artistes pour la Paix, Aziz Fall, des professeurs uqamiens Dan O’Meara et Rachad Antonius, pour faire tomber l’apartheid en Afrique du Sud, en accueillant Mgr Desmond Tutu à Montréal et en le connectant non seulement avec les syndicats, mais aussi avec des partis gouvernementaux municipaux et provinciaux. Même Mulroney avait été séduit.
Son grand cœur ouvert au monde entier l’avait entraîné à appuyer les luttes de libération nationale sur les routes de la Palestine, du Pakistan et de l’Inde, du Niger et évidemment d’Afrique du Sud, comme en a témoigné notre ami cinéaste Malcolm Guy. Coup de cœur de voir publié par Entrée Libre, revue mensuelle éditée par des jeunes de Sherbrooke, un de ses derniers articles faisant la lumière sur l’Afghanistan, pays honteusement exploité par le Canada, à côté de trois autres articles des Artistes pour la Paix, dont celui co-signé Izabella Marengo sur l’espoir ténu des négociations de paix en Ukraine. L’Amérique du Sud n’avait selon Georges Le Bel aucun secret pour lui qui avait fait venir, à Montréal, le syndicaliste Lula, avant qu’il devienne président du Brésil : on sait que les charges fictives pour son emprisonnement, acceptées par un juge véreux destitué depuis, sont tombées, le rendant à nouveau éligible, et le président actuel Bolsonaro craint tellement de l’affronter lors de la prochaine élection, vu son avance dans les sondages, qu’on le dit tenté par un coup d’état militaire fasciste.
Une trop brève collaboration avec Pierre que je remercie pour ses intenses corrections (merci aussi à son assistant Benhmade) a permis à ma prose lyrique d’artiste d’apprivoiser plus de rigueur universitaire pour que mon chapitre sur le militarisme s’insère dans son ouvrage Enjeux et défis du développement international (Presses de l’Université d’Ottawa, août 2019). En résumé : un colonialisme pétrolier entraîne dans des guerres syriennes et autres la Russie et les pays membres de l’OTAN. Le complexe militaro-industriel-médiatico-académique-humanitaire impose sa (hors-la) loi de fer, à laquelle la majorité des pays occidentaux se plient en leurs dérives et leur soumission aux puissances nucléaires. S’y opposera un pacifisme éclairé par de rigoureux principes écologiques et les règles de la démocratie de la Charte de l’ONU.
Cher ami Pierre,
Je te remercie de cet article à la mémoire de notre cher ami et camarade Pierre Beaudet. Que son âme repose en paix. Ayant eu la chance de côtoyer personnellement Pierre, je te partage ici mon témoignage d’amitié et de fraternité à son égard.
Nous continuerons son chemin et nous aurons l’occasion de collaborer dans la prochaine édition de notre ouvrage académique. Il est prévu qu’une nouvelle édition verra le jour en 2025 dans laquelle nous consacrerons un chapitre à la guerre et au militarisme. Je serai honoré que tu sois de nouveau l’un de nos auteurs collaborateurs. Au plaisir de collaborer à nouveau, Hamid Benhmade – Professeur à l’Université d’Ottawa qui nous livre le témoignage suivant.
Merci Pierre Beaudet,
tout d’abord, je tiens à remercier Anne Latendresse de m’avoir invité à rendre hommage à Pierre et de témoigner de l’amitié et de la fraternité que nous avons partagées depuis notre première rencontre à l’Université d’Ottawa en 2016. Pierre, tu nous as légué un savoir qui incarne la vision d’un penseur avant-gardiste, une vision enracinée dans un humanisme pluriversaliste, une vision qui transcende les histoires, une vision qui s’affranchit des géographies, une vision qui passe de l’utopie irréaliste voire illusoire à un engagement sociétal pour les droits des pauvres des villes, des paysans sans terre, des femmes, des autochtones, des migrants et réfugiés, bref, pour la justice et la liberté de tous les damnés de la terre.
Aujourd’hui, Pierre à qui je rends hommage, n’est pas Pierre l’intellectuel que vous connaissez, ni d’ailleurs, Pierre le militant qui s’est engagé au service des damnés de la terre du monde entier. Aujourd’hui, je rends hommage à mon professeur qui est devenu au fil des années, un mentor, un ami puis un père intellectuel au grand cœur. Pierre m’a non seulement enseigné un savoir dont je lui serai reconnaissant éternellement, mais il a été présent pour moi pour me conseiller, m’épauler et me soutenir sur tous les plans. Que dire de nos moments gravés dans ma mémoire lorsque nous discutions d’autant de questions qui nous animent, qui nous passionnent et qui nous rassemblent.
Pierre, merci de m’avoir accueilli chez toi et dans ta cour en arrière où nous avions à plusieurs reprises imaginé le monde de demain. Merci de m’avoir invité à t’accompagner dans tes marches quotidiennes au parc Ahuntsic et dans tes promenades habituelles au parc de l’île de la visitation. Je n’oublierai jamais toutes les causes que nous avions débattues et les alternatives que nous avions pensées pour que les damnés de la terre reprennent leur avenir en main. Merci de m’avoir partagé tes allers-retours en voiture entre Montréal et Ottawa. En automne comme en hiver, j’avais eu la chance de côtoyer de près, non seulement l’intellectuel visionnaire et le militant résilient que tu incarnes, mais surtout l’homme de valeur que tu es. Dieu seul sait que ces moments sont et seront inoubliables, je me rappelle encore et me rappellerai de tes conseils, tes enseignements et tes leçons, j’entends encore ta voix résonner : Hamid, l’histoire évolue et l’avenir n’est pas préalablement déterminé, mais n’oublie pas, les damnés de la terre sont les maîtres de leur destin dans la limite que leur imposent leur passé et leur présent.
Pierre, il restera de toi ce que tu as enseigné et ce que tu as généreusement donné. À notre tour de te faire honneur. Camarade, repose en paix. Anne, Alexandre et Victor, vous pouvez compter sur mon amitié indéfectible et mon soutien infaillible.