NDLR On peut lire les textes que Dominique Boisvert publiait sur notre site en cliquant ici.
Artiste pour la paix et chrétien de gauche
L’amour est plus fort que tout et ce n’est pas un combat à livrer, mais une attitude de plénitude. En te lisant, c’est ce sentiment de sérénité qui nous est transmis.
Sois-en mille fois remercié, car de tels messages sont hélas trop rares !
Amitiés,
Pierre
C’est le dernier courriel que je lui avais envoyé en juin après qu’il nous eut informés de l’avancée inéluctable de sa tumeur. L’ayant croisé à l’hôpital de Sherbrooke quelques jours avant, je lui avais écrit : « Heureusement, on a pu échanger quelques mots sur ton état de santé quand ta compagne (Céline) m’a reconnu. C’était la semaine dernière dans cet hôpital où la mienne perd sa santé à combattre pour le bien commun au-delà des intérêts corporatifs [1]. N’est-ce pas ce que nous avons tenté de faire, malgré nos différences, dans le mouvement pour la paix si fractionné ? Avec toute mon affection, Pierre »PS J’ai dû recommencer et retravailler ce courriel par quatre fois refusé par mon serveur: peut-être me parviendra-t-il avec la mention mail delivery error, comme la majorité des messages de paix que j’envoie.
Le co-fondateur du Réseau québécois pour la simplicité volontaire est décédé lundi 23 novembre à la Maison Aube-Lumière, maison de soins palliatifs de Sherbrooke, où il a été accueilli il y a près de deux mois, a indiqué un de ses fils, Félix, présent à ses côtés.
« C’est un autre gros morceau de notre aventure des chrétiens de gauche qui part, cette fois avec Dominique», dit Élisabeth Garant, la directrice générale du Centre justice et foi et la directrice de la revue Relations. «Il était déjà au Centre lorsque j’y suis arrivée en 1995. C’était mon voisin de bureau. Je lui dois tellement. Dominique m’a introduite à l’art de travailler et de réfléchir. Il a quitté quelques années plus tard mais il a toujours continué d’écrire dans nos pages et de participer à nos activités», écrit-elle.
Auteur d’ouvrages sur la non-violence et la simplicité volontaire chez Écosociété [2], Dominique Boisvert a publié, chez Novalis, Québec, tu négliges un trésor !, une réflexion sur l’héritage qu’a laissé le christianisme à la société québécoise. En 2017, il publie son «autobiographie spirituelle», En quoi je croîs (avec un accent circonflexe), où il raconte son long cheminement sur les routes de l’engagement social et de la militance.
Enraciné à Scotstown
« Arrivé de Montréal en 2014, je suis rapidement tombé sous le charme: Scotstown est l’un de ces nombreux petits villages de l’Estrie qui recèlent des trésors pour qui veut bien les découvrir. » Il en était devenu maire (2018-19), après avoir officié à l’ouverture et à l’exploitation à titre de projet-pilote, pendant 16 semaines de la St-Jean à l’Action de grâces, d’un café communautaire entièrement créé, géré et animé par près d’une cinquantaine de bénévoles de tous âges ! Le Sain Café, c’était son nom, avait été aménagé dans l’ancienne église St-Andrews, entièrement rénovée dans le plus grand respect du patrimoine par son propriétaire d’alors, M. Luc Carey, et magnifiquement située à l’entrée du village. Le Sain Café offrait toutes les fins de semaine une nourriture maison, dont les soupes préparées par des bénévoles, d’excellents cafés équitables, des bières artisanales de la région, en plus de présenter la production d’artistes, d’artisans et de producteurs du terroir.
Militant socio-politique
Membre de Québec solidaire (QS) depuis sa fondation, pacifiste nonviolent depuis une quarantaine d’années, Dominique avait présenté, en vue du congrès de mai 2017, sa défense de l’altermondialisme et d’«un pays sans armée» [3], comme le Costa Rica.
En 2017, il se présentait ainsi avant une conférence mettant en scène Martin Hébert :
Je suis avocat de formation et j’ai été membre du Barreau de 1979 à 1999. Par contre, je m’intéresse aux questions internationales depuis mon séjour de deux ans comme coopérant volontaire du SUCO en Côte d’Ivoire (1969-1971). Depuis, je n’ai cessé de travailler à la solidarité internationale et aux droits humains de toutes sortes de manières. À ce titre, j’ai suivi les questions de conflits, de guerre et de paix sur tous les continents. Je me suis donc intéressé de près au rôle des armées et des forces militaires pour régler les conflits [4]. J’ai contribué au livre Artisans de paix (Novalis, 1986). Depuis le début des années 80, je suis objecteur de conscience au paiement des impôts militaires, et membre du Centre de ressources sur la nonviolence, de Conscience Canada, des Artistes pour la paix et d’Antennes de paix, branche québécoise du mouvement Pax Christi International.
Il poursuivait : Votre contribution à cette soirée, Martin, consisterait à fournir à l’auditoire quelques repères historiques et anthropologiques à propos de la violence structurelle afin de « mettre la table » pour les autres présentations de cette soirée. En insistant peut-être sur le rôle des États modernes, colonialistes et impérialistes dans la mise en place de ces violences structurelles (monopole étatique sur la violence; violence d’État et répression : armée, police, prison; dépossessions, inégalités sociales, discriminations, violences structurelles et institutionnelles; etc.). Vous pourriez nous dire quelques mots sur le « cul de sac » de la spirale de la violence et de la vendetta et sur l’anthropologie de la paix, à partir des distinctions que vous établissez dans vos travaux (la paix n’est pas l’absence de guerre, ni de conflit social; la place de la justice sociale et de la réconciliation dans «l’atténuation» de ces violences structurelles, etc.).
Lui-même allait y présenter les arguments principaux défendus dans mon livre Nonviolence. D’abord déconstruire les clichés et stéréotypes parfois accolés à la non-violence (démission, lâcheté, utopie, apathie). Ensuite expliquer en quoi la désobéissance civile est un choix éthique et politique radical, risqué et courageux. Puis, démontrer la supériorité stratégique de la résistance non-violente, et ce, tant d’un point de vue statistique (taux de succès supérieur; changement durable) que stratégique (pourquoi les résistances civiles non-violentes réussissent là où les insurrections violentes échouent ?).
Laurence Guénette, forte de son expérience militante au Québec et au Guatemala, allait renchérir sur le défi de la résistance non-violente dans la conjoncture actuelle marquée par
- L’accroissement de la répression militaire/policière et du profilage politique, au Nord comme au Sud (i.e. Dupuis-Déry 2013);
- La mise en péril croissante de la liberté d’association, de réunion et du droit de manifester, et ce, au Nord comme au Sud;
- Les débats et tensions autour de la diversité des tactiques et de la « nécessité » de l’autodéfense face aux oppresseurs;
- L’instrumentalisation médiatique et politique de la moindre échauffourée, de la moindre bousculade, du moindre acte de vandalisme afin de décrédibiliser les mouvements sociaux progressistes et leurs revendications (i.e. Jean Charest, Christine St-Pierre et le « carré rouge symbole de violence », la couverture médiatique des manifs contre La Meute).
Défenseur d’idées combattues par les médias [5]
Aux leçons à tirer sur l’élection de Donald Trump en 2016, Dominique réagissait en rappelant aux intellectuels déçus la cruelle vérité suivante :
Une société et une population ne pensent pas, elles réagissent. Elles n’agissent pas de façon rationnelle, intellectuelle ou cérébrale; elles ré-agissent le plus souvent selon leurs émotions, leurs sentiments, l’effet de foule. Et ce n’est pas méprisant que de constater cela: même parmi les auditoires plus «sélects», les spécialistes de la communication rappellent qu’un faible pourcentage de la communication passe par le contenu des mots (le sens du discours), tandis qu’une partie beaucoup plus importante passe par l’intonation et le son de la voix, par les expressions du visage et le langage corporel !
Le nouveau président Trump lui-même, et sa victoire électorale, représentent évidemment l’antithèse absolue de la Simplicité Volontaire: triomphe des apparences et du superficiel, du mensonge et des demi-vérités, d’une vision simpliste de la réalité, de la force symbolisée par la richesse matérielle, etc.
Auparavant, en août 2016, pour une conférence à l’égide du Centre de ressources sur la non-violence, il s’était écrié :
La guerre est toujours un échec
- elle ne règle jamais les conflits durablement et crée plus de problèmes qu’elle n’en règle (Irak, Syrie, Libye…)
- on sait quand on la commence mais jamais quand et comment on la finit (Afghanistan, Irak…)
- on finit le plus souvent par devoir régler par une négociation politique ce qu’on pensait imposer par la victoire militaire (Algérie, ex-Yougoslavie, Salvador, Birmanie, Afrique du Sud…)
- ou personne n’arrive à s’imposer (conflit israélo-palestinien)
- ou personne ne s’en préoccupe (République démocratique du Congo)
DANS TOUS LES CAS, les conséquences sont catastrophiques POUR TOUT LE MONDE (morts civiles et militaires, destruction des infrastructures, populations déplacées ou réfugiées, handicapées pour la vie, haine et désir de vengeance, jeunes générations perdues, etc.), SAUF pour les marchands de canons (le complexe militaro-industriel).
[1] Je réagissais ainsi à un de ses messages de 2016 sur le système curatif, entièrement dominé par les intérêts corporatifs des médecins et des spécialistes; sans même parler de la réforme —très discutable— imposée par le ministre-médecin Gaétan Barrette : il est évident et inévitable que ce système se dirige tout droit dans un mur !
[2] L’ABC de la simplicité volontaire (2005), Rompre! Le cri des « indignés » (2012) et Nonviolence. Une arme urgente et efficace (2017).
[3] La seule sécurité internationale qui soit compatible avec les valeurs de QS est celle «arbitrée» par les diverses instances multilatérales des Nations unies comme les Casques bleus. La participation d’un Québec solidaire à la sécurité internationale devrait donc impérativement passer par les Nations unies, et non par les alliances militaires comme l’OTAN ou le NORAD.
[4] Du strict point de vue de l’efficacité, notre armée (québécoise ou canadienne) sera toujours largement une «armée d’opérette».
[5] Dominique m’avait exprimé son désaccord sur ce point : « Je ne questionne pas les intérêts politiques en jeu dans la propriété de nos médias (encore que c’est extrêmement différent entre Radio-Canada, La Presse, Le Devoir et le Journal de Montréal). Mais je crois honnêtement que nous avons une tâche à faire pour rétablir des ponts avec les médias si nous voulons vraiment être diffusés, et non pas nous contenter de crier à la censure drapés dans notre vertu et notre bon droit.
Comme cet homme devait être inspirant !!! Nous perdons un grand militant à l’analyse fine et lucide des enjeux de paix et de non-violence. J’aurais aimé échanger avec lui.