Par Pierre Jasmin, artiste pour la paix

Mylène Mackay et Alexandre Goyette donnent chair à un magnifique film spirituel

« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles » est un film étrangement classé par ses concepteurs « drame biographique », alors que la réalisatrice Lyne Charlebois et le producteur Roger Frappier y ont exprimé avec un rare talent le bonheur de vivre la science de la nature du frère Marie-Victorin et de sa disciple Marcelle Gauvreau. Je me suis dépêché d’aller le voir un jeudi après-midi, supposant qu’un tel sujet n’avait attiré que quelques afficionados de films d’art et d’essai et prévoyant que le film soit retiré, après une semaine complète de projections dans deux salles importantes de Sherbrooke; j’avais tout faux, les deux projections de l’après-midi rassemblaient de très nombreux spectateurs d’un certain âge, qu’on sentait absolument fascinés par le propos, y réagissant par des gloussements d’appréciation qui ne pouvaient mentir, sans compter leurs applaudissements à la toute fin. Dommage que personne en bas de quarante ans ne profitait de cette œuvre lumineuse.

Née le 28 février 1907 à Rimouski (Boukar Diouf n’en sera pas étonné, une ville qui avait vu aussi la naissance de la mère de Nelligan !), Marcelle Gauvreau fut la première francophone à obtenir en 1939 un diplôme de maîtrise en sciences naturelles. Naturaliste,  botaniste, pédagogue, vulgarisatrice, bibliothécaire et enseignante, elle était la fille du docteur Joseph Gauvreau, l’un des fondateurs de la Ligue des droits du français. Elle deviendra la protégée du frère Marie-Victorin, cultivant avec lui une étonnante correspondance sur la sexualité humaine. Étonnante quant au sujet qui provoque universellement la gêne à cette époque en Occident et même encore de nos jours, en certains milieux religieux réfractaires à une telle liberté de propos. Elle entraîna toutes sortes de commérages présupposant une relation sexuelle chez deux êtres, dont on pourrait plutôt penser que leur pureté était garantie par un genre d’autisme sympathique.

À la mort de son mentor, wikipedia nous informe aussi que Marcelle continuera à se consacrer à la vulgarisation scientifique en français et à l’éducation populaire, sans jamais chercher à trouver un mari. Elle publiera des ouvrages (notamment Plantes curieuses de mon pays, 1943), apparaîtra fréquemment dans une panoplie de journaux, de revues scientifiques et d’émissions radiophoniques, contribuera à la rédaction de la Flore laurentienne (1935), enseignera à l’Institut botanique de Montréal et fondera l’École de l’Éveil, institution vouée à l’initiation des enfants de quatre à sept ans à l’histoire naturelle.

Dans des dizaines d’articles, avec des mots souvent empruntés à la science, j’ai essayé de dire pourquoi les guerres et les pollutions pétrolières et nucléaires sont si laides. Devrais-je me consacrer à chanter les louanges, par exemple, des interprètes en grande partie responsables du charme de cette œuvre, Alexandre Goyette et Mylène Mackay, particulièrement, car on soupçonne Lyne Charlebois d’avoir amassé le financement du film sur la personnalité connue du frère Marie-Victorin, alors que le public partage son plaisir non dissimulé de découvrir surtout un personnage féminin exceptionnel.

La musique créée par Viviane Audet, Robin-Joël Cool et Alexis Martin lie les éléments disparates d’un film non didactique, désireux de nous surprendre à chacune de ses étapes : on se retrouve même à Cuba, dépeinte en île de Cythère où la sexualité s’exprime par la danse et la musique (penser à l’Isle Joyeuse de Debussy, plutôt qu’au film bigarré sympathique Ma tante Aline). Le film surmonte ses bifurcations en nous entraînant de l’avant, grâce à un montage étonnamment fluide d’Yvann Thibodeau.

En 1961, Pierre-Marie Dansereau poursuivra l’œuvre du frère Marie-Victorin en devenant professeur de botanique et de géographie à l’université Columbia et assistant-directeur au New York Botanical Garden, alors le second en importance au monde, où il poursuit ses recherches sur l’écologie urbaine. En 1971, l’Université de Montréal, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et la Ville de Montréal créent conjointement au Jardin botanique de Montréal le Centre de recherches écologiques de Montréal (CREM) dont Pierre, digne successeur des tentatives préliminaires de Conrad Kirouac, devient le premier directeur scientifique, avant de terminer sa fructueuse carrière à l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’UQAM (tout l’édifice des Sciences à l’UQAM porte son nom). Celui qui adhéra au slogan Faites l’amour, pas la guerre vécut avec la même femme adorée, la peintre Françoise Masson, pendant soixante-quinze années.

En conclusion, Les Artistes pour la Paix ont fêté l’automne dernier leur 40e anniversaire dans la Maison de l’Arbre de Frédéric Back, qui fut une autre grande inspiration, dont on célèbre le 100e anniversaire cette année.