Par un collègue, Pierre Jasmin
Joseph Rouleau fut vice-président des APLP en 1983-85.
Plus qu’un musicien, « Jo » s’est fait la bougie d’allumage de nombreux projets qui constituent le cœur ou du moins un grand pan de la culture classique québécoise :
- à l’Université du Québec à Montréal, professeur de chant et créateur, avec Colette Boky, et la collaboration de Monik Grenier et de Louise-Andrée Baril, de l’Atelier lyrique, il y monta des productions auxquelles il contribua de sa poche, vu l’indigence universitaire;
- grâce à son aide infatigable au Syndicat des Professeurs de l’UQAM qu’il représenta au Conseil d’Administration de l’université, les nouveaux locaux du département de musique dont j’étais directeur naquirent et virent la construction adjacente du Centre Pierre-Péladeau, avec sa salle Pierre-Mercure; il contribua à son financement en invitant pour un récital-bénéfice sa collègue Kiri Te Kanawa, dont la sympathie aux Maoris de Nouvelle-Zélande attira comme président d’honneur Jean Chrétien;
- sa présence sur de nombreux conseils d’administration favorisa entre autres d’abord la survie puis l’essor de l’Orchestre Métropolitain;
- les Jeunesses Musicales profitèrent de toutes ses énergies comme président et de l’adhésion qu’il alla quérir chez un Lucien Bouchard impressionné par son compatriote, lui ayant aussitôt accordé l’important budget demandé;
- et le Concours International de Musique de Montréal, avec sa priorité aux jeunes, dont il voulait appuyer les débuts de carrière avec sa générosité coutumière, nous a réunis pour la dernière fois, il y a un an, où nous nous sommes entretenus, avec la présence au jury de notre amie commune, Hélène Mercier-Arnault.
Ce qu’il faut souligner avant tout, c’est sa défense passionnée de la musique québécoise contemporaine, en particulier celle de notre regretté collègue compositeur Jacques Hétu, dont il créa au côté de Colette Boky l’opéra le Prix sur un livret de Yves Beauchemin, la musique du film Au pays de Monsieur Zom (le cinéaste Gilles Groulx l’y fit jouer le rôle principal et ingrat d’un chanteur d’opéra carriériste, opposé à son propre caractère) et les inoubliables Abîmes du rêve d’Émile Nelligan, que « Jo » anima d’une fougue néo-romantique, épousée aussi par l’Orchestre Symphonique de Québec.
Si ses interprétations grandiloquentes de Félix Leclerc constituent un rare faux pas artistique de sa part, celle émouvante a capella de Quand les hommes vivront d’amour de Raymond Lévesque montre de la part du gars de Matane (dont la Maison de la culture porte son nom) une facette d’un nationalisme éclairé toujours ouvert sur le monde.
En 1985, « Jo » m’avait demandé de lui succéder comme vice-président des Artistes pour la Paix auprès de Jean-Louis Roux et d’Antonine Maillet, ne serait-ce que pour défendre notre chère culture russe, déclarée suspecte par la politique nord-américaine, jusqu’à aujourd’hui, avec notre ministre des Affaires étrangères. En 1967, il avait défendu, lors de la première de l’opéra canadien le plus connu Louis Riel de Harry Somers, le rôle pacificateur ami des métis, Mgr Taché, auprès de Bernard Turgeon jouant Riel. Il s’en est souvenu lors de notre défense commune des Mohawks de Kanasetakeh en 1990.
Dernier souvenir : sa générosité m’avait entraîné dans un récital voix-piano à l’hôtel Reine-Élizabeth en hommage au PDG d’Air Canada et chancelier de l’UQAM, Pierre Jeanniot dont les amiEs recueillirent une somme importante pour créer une bourse annuelle au montant appréciable pour nos étudiantEs. Le même Jeanniot allait présider à ma demande en 2010 au Centre Pierre-Péladeau un récital Chopin en hommage à Frédéric Back et à Murray Thomson : ce dernier vient aussi de mourir, nonagénaire, après avoir récolté les signatures de mille membres de l’Ordre du Canada (dont Joseph !), pour inciter en vain notre gouvernement à agir contre l’arme nucléaire.
L’article est d’actualité car ses funérailles seront célébrées demain mardi le 13 août à Outremont en l’église Saint-Viateur de la rue Laurier à 13h.
Deux souvenirs et une précision pourraient s’ajouter à cet éloge funèbre.
– Le premier, rigolo, compte parmi ses exploits non artistiques : sa force d’ancien joueur de hockey lui permettait, quand le scénario du libretto le dictait, de porter en ses bras plusieurs cantatrices de surpoids telles Joan Sutherland ou Maria Callas en débuts de carrière !
– En coulisses d’un concert commun, j’avais exprimé à haute voix ma frustration d’avoir mal interprété une des œuvres solo que j’avais imprudemment mises au programme. « Tu sais, Pierre, m’avait-il confié pour me consoler, comme musiciens, on devrait adopter l’humble philosophie des grands joueurs de baseball qui, après tout, frappent pour .300. Si on réussit à notre goût un tiers de nos concerts, j’estime que notre carrière est récompensée.
– Jeanniot, présent à un hommage récent tenu au pavillon de la Jamaïque de l’EXPO67 en mémoire de mon père aussi décédé en juillet (voir article dans l’Aut’Journal http://lautjournal.info/20190812/yves-jasmin-27-fevrier-1922-23-juillet-2019) , m’a informé que les dons recueillis pour la bourse Jeanniot que Jo et moi avons démarrée permettent maintenant de récompenser annuellement plusieurs domaines d’études à l’UQAM.
À l’occasion des funérailles de Joseph Rouleau le 13 août, un magnifique bouquet musical fut offert à son épouse Renée et à leurs trois enfants (qui ont su gratifier Joseph d’une vie familiale équilibrant sa carrière accaparante), ainsi qu’aux amis et élèves remplissant à Outremont l’église Saint-Viateur du premier au dernier rang. L’émotion était palpable.
Si on excepte les remarquables prestations de l’organiste Dominique Lupien et du violoncelliste Stéphane Tétreault qui a interprété Dvořak et l’adagio de Samuel Barber dirigé par Boris Brott venu avec des membres de l’Orchestre classique de Montréal, le chant fut à l’honneur, comme il se devait, aux funérailles de celui qu’un discours salua comme « le Maurice Richard de l’art lyrique québécois ».
Mais bien au-delà des comparaisons sportives, ce furent, alternés avec le meilleur goût et bien éloignés d’une succession d’exploits vocaux en surenchère, des moments choisis de recueillement et de méditation, avec l’accompagnement admirable de celle qui fut la collaboratrice la plus fidèle de Joseph, la pianiste Louise-Andrée Baril.
Dès le début de la cérémonie, l’ensemble vocal Arts Québec, dirigé par Adam Johnson, avait inscrit un modèle de nuances pianissimi, vite émulé par Marie-Nicole Lemieux au sommet de son art dans un Mahler des Rückert Lieder, Ich bin der Welt abhanden gekommen.
Suivirent dignement le ténor Éric Laporte avec le Morgen de Richard Strauss, les soprani Marianne Fiset et Chantal Dionne avec un air de Grieg et un extrait du Requiem de Fauré. Vincent Boucher termina à l’orgue, alors que tous se retiraient sur le parvis : on y remarquait Lucien Bouchard, Pierre Jeanniot, Claude Corbo, la juge Dominique Gibbens, le chanteur Marc Hervieux, Gilles Marsolais (secrétaire aux APLP pendant 20 ans) et des professeurs de l’UQAM, telles Florence Junca-Adenot, Monik Grenier et Connie Isenberg, témoins de l’influence positive de Joseph sur le département de musique.