1Interprété par Vincent Lindon, le bon patron à la fibre morale exemplaire du film de Stéphane Brizé, Un autre monde, souffre d’un burn out qui ébranle son mariage avec Sandrine Kiberlain (avec laquelle l’acteur a d’ailleurs déjà été en couple, d’où l’intérêt de scènes intimes de désaccord qu’on croit réelles !). Accablé par des directives de production ultralibérales venues de la firme américaine qui a repris son usine française afin de la « dégraisser », le suspense consiste à le voir aux prises avec la tentation de plier aux énormes pressions de la société mère elle-même soumise à Wall Street, alors que ses assistants lui exposent les dangers imminents de démotivation complète des ouvriers, pressés comme des citrons. Lindon incarne ce patron que diverses failles humanisent, dont la moindre n’est pas son fils à la santé mentale perturbée qui crie à l’aide, bien joué par Anthony Bajon.
Un autre monde est d’autant plus passionnant qu’il semble magistralement conclure une trilogie de Vincent Lindon qui avait débuté en 2015 avec La Loi du Marché où son portrait d’un chômeur émut à un point tel qu’il remporta et le Prix d’interprétation masculine du Festival de Cannes et le César du meilleur acteur. Avec En Guerre, l’acteur interprétait en 2018 un ouvrier révolté qui rassemble à sa suite des compagnons : trop dangereux pour la société qui ne lui accorda pas de prix, malgré sa performance d’une énergie christique multipliée par diverses trahisons !
Lion d’Or à la Mostra de Venise 2021, Un autre Monde vient compléter la trilogie de Brizé sur le monde du travail, le capitalisme démontré par un scénario illustrant la domination machiavélique du personnage de superpatron joué superbement avec une perversité froide par Marie Drucker, connue comme présentatrice du Téléjournal Français de 20 heures (la même semaine sort au Québec un film d’amour pré-ado par une ex-présentatrice de météo, qui porte un regard poétique à la nature de Falcon Lake.
2Un bon patron est une comédie grinçante espagnole, où encore une fois la vedette est un formidable acteur, Javier Bardem, qui joue un chef d’entreprise égocentrique avec l’aisance conférée par sa fortune (de naissance), par ses études avec un compagnon-complice qu’il utilise, par la société conservatrice espagnole et par sa femme très stable. Sous la direction de Fernando León de Aranoa, ce personnage charismatique et politiquement branché va peu à peu bousiller sa situation enviable, par différents accidents minimes qui auront le don de s’agrandir par maladresse: par exemple, le renvoi d’un ouvrier transforme ce dernier en un poil à gratter qui le confronte tous les jours à l’entrée de son entreprise où il campe, en brandissant des banderoles accusatrices et un porte-voix où il débite des propos orduriers qui hérissent le bon patron.
Se lézarde donc sa façade de bienveillance joviale hypocrite au fur et à mesure des deux heures du film, une dégradation jouissive à constater malgré la sympathie que ne manque pas de susciter ce formidable acteur, un des préférés d’Almodovar, le mari de Penelope Cruz avec qui il a tourné plusieurs films, dont celui de l’iranien Asghar Farhadi Tout le monde le sait. Enfin, le droit de cuissage appliqué à la plus jolie de ses jeunes apprenties s’avèrera pour lui un désastre, grâce à un retournement de situation où Almudena Amor, de dominée, deviendra dominatrice.
Il est fascinant d’observer que les deux films, avec deux personnages opposés, l’un étant une victime avec laquelle on compatit humainement, l’autre que ses manipulations nous rendent antipathique, démontrent la chute de l’homme à l’orée de la soixantaine, donc au faîte de la puissance pour nos sociétés blanches occidentales, deux dénonciations implacables du capitalisme à visage pseudo-humain, macho dans la version espagnole
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