Les bombes à fragmentation figurent parmi les plus injustes et les moins fiables des armes conventionnelles jamais inventées. Plus de 95 % de leurs victimes sont civiles – surtout des enfants et des fermiers pauvres, tués ou grièvement blessés, souvent des années après les conflits en cause.
Earl Turcotte

Opposition canadienne …civile

Avec nous à Ottawa le 28 juin (voir article précédent), cet ex-fonctionnaire avait dirigé de 2005 à 2011 l’équipe du MAC contre les mines anti-personnel (voir le Traité d’Ottawa 1997 dont Jean Chrétien m’avait personnellement affirmé qu’il était une de ses plus grandes fiertés). Earl Turcotte a démissionné de son poste sous le gouvernement Harper en l’accusant à raison d’avoir fait dévier le Canada de sa position opposée aux bombes à fragmentation (voir Traité d’Oslo[i]). Turcotte a assuré un suivi de sa mission en la poursuivant pendant deux ans comme UN Chief Advisor to the Government of Laos.

Une victime palestinienne des bombes à sous-munitions (photo Handicap international), en quelque sorte commanditée par la Banque Royale et la Financière Sun Life qui finançaient leur fabricant.

Puis-je vous avouer que la photo de cette victime m’obsède depuis des années? Et son frère aîné s’il en a un, d’après vous, sera-t-il tenté de s’inscrire aux Artistes pour la Paix ou de se joindre à l’Armée Islamiste[ii]? Si les pacifistes avaient quelque influence en notre société (combien de membres avons-nous? combien de nos articles acceptés par les médias??), sa décision pourrait être plus rationnelle, plus pacifique. Hélas, en ce temps de politique canadienne extrêmement polluée par l’influence agressive américaine, je crains fort qu’il désespère de l’efficacité de l’ONU.

Earl Turcotte signait l’avertissement suivant il y a huit ans :

            L’Article 21 de la Convention va plus loin et impose l’obligation aux États          signataires “…d’encourager les États non-signataires de la Convention à la   ratifier, l’accepter, l’approuver ou à accéder à ses demandes…”, ainsi “…qu’à     s’efforcer de décourager l’usage de bombes à fragmentation par les États qui       n’ont pas signé la Convention.”

Cela semble assez clair, n’est-ce pas? Pas pour Justin Trudeau qui se réfugie derrière la loi Harper qui laisse le Canada libre de soutenir l’usage de bombes à fragmentation quand il s’associe aux opérations militaires de pays non-signataires, comme les États-Unis. Incroyablement, la loi canadienne inclut des clauses explicites concernant les officiers canadiens qui, en tant que commandant d’opérations militaires multinationales, “dirigeraient” l’usage de bombes à fragmentation par les forces d’États non-signataires. Sans surprise, cette loi du Canada a été très critiquée partout dans le monde, y compris de la part du Comité international de la Croix rouge (ICRC).

Malgré des rapports crédibles par les Nations Unies et Human Rights Watch (HRW[iii]) selon lesquels la Russie a utilisé au moins six types d’armes à sous-munitions depuis son invasion, nous observons une cassure chez des membres de l’OTAN tels le Canada, l’Allemagne, l’Espagne et même la Grande-Bretagne qui ont critiqué la décision barbare de Biden d’envoyer ces bombes à Zelensky : la haine anti-Donbas de ce dernier est telle qu’il n’hésite pas à s’en servir contre ces mauvais ukrainiens russophones, un aveu en plus de sa propre faiblesse militaire! Bref, détruire le Donbas pour le sauver (lire Matthew Hoh, a member of Veterans For Peace and World Beyond War). Pourquoi, au lieu de l’escalade, ne pas entreprendre les négociations par Ernie Regher (voir article précédent)?

Nos médias francophones ont pu offrir un espace plus grand à l’opposition de M. Trudeau aux bombinettes, parce qu’il l’a exprimée en français en Lithuanie. Il lui a manqué le courage de l’exprimer dans la langue des médias anglophones accessibles aux États-Unis. Cela a donné libre cours à Yves Engler de faire sa sortie anti-Trudeau. Notre position est autre, comme on a pu lire (nos membres sont libres de réagir contre « notre mollesse »). Nous appuyons Peace Quest et la sortie de 200 lettres à Trudeau de ses lecteurs. Merci aussi à Humanité/Inclusion, à leurs photos, ainsi qu’à leur opposition humanitaire.

Cesar Jaramillo de Project Ploughshares, autre compagnon du 28 juin, a déclaré à The Intercept à propos de cet envoi de bombes par Biden :

« Cela servira par définition à prolonger les combats et à créer les conditions de            nouvelles souffrances humanitaires. Sans compter qu’il y a en toile de fond le          spectre de l’escalade nucléaire, une autre catégorie d’armes aveugles. »

Opposition de la part de « shit hole countries[iv] »

Le Laos a en particulier de bonnes raisons de se souvenir, puisqu’il a connu des milliers de morts atroces même APRÈS LA FIN DE LA GUERRE pendant laquelle les Américains avaient aspergé son pays de telles bombes. « En tant que grande victime des armes à sous-munitions et État partie à la Convention sur les armes à sous-munitions, la République démocratique populaire lao exprime le 11 juillet sa profonde préoccupation face à l’annonce et à l’utilisation possible d’armes à sous-munitions. Le peuple lao a été victime de cette arme à sous-munitions mortelle il y a plus de cinq décennies et aujourd’hui encore, il continue d’être affecté par les munitions non explosées car elles continuent de poser de graves menaces pour la vie et les moyens de subsistance de notre peuple ». Le Comité international de la Croix-Rouge estime qu’au Laos seul, il reste entre 9 et 27 millions de bombes non explosées, d’autres ayant causé la mort ou des blessures en 50 années à au moins 11 000 personnes, dont plus de 30 % d’enfants.

Selon l’Agence France-Presse, le Premier ministre cambodgien Hun Sen a évoqué le 9 juillet « l’expérience douloureuse » du Cambodge des armes à sous-munitions américaines larguées au début des années 1970, un héritage étranger qui a laissé des dizaines de milliers de personnes mutilées ou tuées. Hun Sen a ajouté : « Cela fait plus d’un demi-siècle. Il n’y a pas encore eu moyen de toutes les détruire. Par pitié pour le peuple ukrainien, j’appelle le président américain en tant que fournisseur et le président ukrainien en tant que destinataire à ne pas utiliser de bombes à fragmentation dans la guerre, car les vraies victimes seront les Ukrainiens ». Les effets de la campagne de bombardement américaine et des champs de mines laissés par le conflit d’Indochine se font sentir depuis longtemps, avec environ 20 000 Cambodgiens tués au cours des cinq dernières décennies après avoir marché sur des mines terrestres ou des munitions non explosées.

Photograph Source: DoD photo, USAF – Public Domain

Ni La Russie, ni l’Ukraine, ni les États-Unis n’ont adhéré à la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions signée par 123 pays de l’ONU[v], 22 d’entre eux membres de l’OTAN dont on espère (en vain) une indignation politique à la hauteur de l’enjeu humain.

À chaque utilisation d’armes aussi ignobles de la part des pays du Nord (Russie et pays de l’OTAN), se renforce l’alliance du SUD GLOBAL avec ses porte-paroles que nous appuyons : les présidents Lula du Brésil et Ramaphosa d’Afrique du Sud.


[i] http://www.artistespourlapaix.org/le-canada-ratifie-le-traite-des-bombes-a-sous-munitions/

[ii] Ce dilemme tourmente l’excellent film Memory Box (2021) co-produit par Kim McCraw à propos d’une famille libanaise dont le suicide du père est maquillé en héroïsme de LA CAUSE.

[iii] https://www.hrw.org/reports/2003/usa1203/6.htm

[iv] L’expression est du président Donald J. Trump qui l’avait utilisée en référence à Haïti; notons qu’il demeure favori de la prochaine course présidentielle américaine, en partie grâce aux GAFAM qui ne reproduisent JAMAIS d’articles tels que le nôtre.

[v] 123 pays + la Croix Rouge et + le département de désarmement de l’ONU avec à sa tête la Vice-Secrétaire Générale, madame Izumi Nakamitsu, forment la Coalition International Campaign to Ban Landmines and Cluster Munitions.