DRAME. Montréal la blanche. De Bachir Bensaddek. Avec Karina Aktouf et Rabah Aït Ouyahia. 1h30. Du 29 avril au 12 mai à la Maison du cinéma à Sherbrooke et au cinéma Starz Langelier à Montréal.
Une critique
« Attentive et sensible, généreuse et ouverte, Montréal La Blanche fait la preuve tangible que la diversité des regards, régulièrement appelée de nos vœux pieux, n’est pas qu’un objectif gouvernemental bien-pensant. Elle est ce qui nous ouvre les yeux sur notre réalité. Elle est ce qui nous aide à mieux comprendre notre monde. Elle est une richesse, en plus d’être à la source de beaux films aussi inspirés qu’inspirants.
Helen Faradji,
pour LA REVUE DE CINÉMA 24 IMAGES
Contextes politiques
Les Artistes pour la Paix ont beaucoup plaidé le nécessaire et salutaire accueil que notre vaste et riche pays, le Canada, est en mesure de réserver au plus grand nombre possible de réfugiés de guerres. Certains de nos articles ont cherché à combattre l’indifférence, voire l’hostilité trop souvent suscitée par l’arrivée de ces immigrés, en particulier mahgrébins. On aime bien leur connaissance de la langue française, mais on se méfie de leur religion musulmane, surtout lorsque déformée par le salafisme waabiste provenant d’Arabie Saoudite.
L’Algérie a été déchirée par des dizaines et des dizaines de milliers de morts à la fin des années 90, du choc des militaristes et des islamistes, deux groupes fanatisés empreints d’une violence inouïe. Lorsque nous avions créé il y a vingt ans au défunt Spectrum une soirée de poésies et de musiques en dénonciation de cette guerre sous la férule de la native d’Alger, l’écrivaine Marie Cardinal, et de son mari metteur en scène Jean-Pierre Ronfard, l’ambassadeur algérien venu d’Ottawa y assister n’avait pas hésité à nous féliciter pour ce grand succès éclairant, et ce même s’il risquait sa carrière en louant la vision des APLP dénonçant à la fois les militaristes et les islamistes.
Le Québec n’est heureusement pas la France, qui n’a pas réglé son passé colonialiste avec ses immigrés algériens. Albert Camus est mort depuis plus d’un demi-siècle et pourtant, a-t-on assimilé sa sagesse? Si le père Le Pen sévit encore en France, empêtré dans ses dégoûtantes sympathies collaborationnistes et antisémites issues de la Deuxième guerre mondiale, sa fille, chef du Front National, souffre d’un autre mal bien identifié, à mon sens, par l’analyse avancée dans l’OBS du 7 janvier par l’historien Benjamin Stora. Né en 1950 à Constantinople, il dénonce le fascisme du père et le sudisme de Marine le Pen, utilisant ce néologisme comme un calque du racisme anti-mexicain de Donald Trump comme celui anti-noir des Américains blancs des états confédérés du sud. Car on trouve en France selon Stora cette même
« coexistence de paternalisme, d’affection et en même temps de mépris et de ségrégation. (…) Le « sudisme » est une mentalité apparue en France dans les combats désespérés pour la sauvegarde de l’Algérie française et qui se perpétue dans les combats actuels contre l’islam ». C’est seulement en 1999 que la France a reconnu l’existence de « la guerre d’Algérie ». On est alors entré « dans une sortie du silence, mais sans apaisement et, plus encore, dans une période d’affrontement des mémoires, parce que chacun se sentait victime. La sortie de l’occultation ne nous a pas amenés à la cicatrisation mais à la séparation. Et, parce qu’on ne cherche pas véritablement à appréhender cette chose éminemment complexe qui s’est passée, LA GUERRE CONTINUE. Elle se rejoue contre l’étranger, contre l’immigré, et donc contre l’Algérien. La montée du Front National, c’est aussi cela. »
Au Québec, même si on vit une situation modérément tendue entre Premières Nations et Blancs, on a au moins la chance de n’avoir pas fait de guerre intensive et coloniale contre un seul pays. Les Français sont punis aujourd’hui par le fait que la grande majorité des terroristes qui tuent injustement les leurs, viennent du Mahgreb et en particulier de l’Algérie.
Le film
Montréal la blanche, d’abord une pièce présentée au Monument National, profite d’immenses qualités propres au grand théâtre classique, telle l’unité de temps : une nuit de Noël qui coïncide avec le Ramadan, une nuit neigeuse (le titre vient-il de là ou est-il allusion à la mythique Alger la blanche?), accueille avec une tendre tolérance la réunion de deux drames, ceux de réfugiés dont le passé ne sera jamais mort.
L’échange de makrout et de sucre à la crème entre le chauffeur de taxi Rabah Aït Ouyahia, acteur principal du film et un père Noël passager, Pierre Lebeau, illumine en parabole l’interculturel généreux que nous goûtons avec tant de plaisir aux Artistes pour la Paix [1].
Le film jouit aussi d’une certaine unité de lieu, huis-clos sombre du taxi, comme lien entre divers lieux changeants impersonnels tel ces restaurants, ce terminus d’autobus ou ces rues du centre-ville égayées par les lumières de Noël.
Malgré des scènes éparses moins intégrées (sans doute est-ce voulu?), telle l’ouverture surréaliste sur une version du beau sapin, roi des forêts (O Tannenbaum) jouée par un quatuor maghrébin imperturbable sous la neige, l’unité d’action y est prenante, avec la confrontation de deux personnages d’origine algérienne marqués par leurs passés respectifs : un chauffeur de taxi et une ex-chanteuse populaire qui a tiré un trait sur sa carrière. Quelle bouleversante interprétation de Karina Aktouf, dont la présence enchante le film, grâce à la justesse de son jeu dramatique. Déracinée qui ne signe un bail pour un nouvel appartement que pour récupérer sa fille dont elle a perdu la garde par un divorce, son personnage ne s’imagine réussir sa nouvelle vie qu’en reniant son passé d’étoile populaire : on croit voir revivre notre comédienne tant aimée, Rita Lafontaine, dans une scène de Michel Tremblay!
Des scènes tendues entre le fils (joué par Mohamed Ouyahia, le fils sans doute de l’acteur principal) et son père joué par un personnage mythique d’Algérie, le comédien Hacène Benzerari, sous l’œil déchiré d’une mère qui tente de les réconcilier autour d’une table, évoquent aussi, en flashbacks poétisés quoique réalistes, filmés en Algérie, les confrontations entre militaires et islamistes dont nous parlions au début: le caractère éludé de ces scènes réussit merveilleusement à en faire comprendre les âpres conséquences sur la sensibilité des deux protagonistes et …du réalisateur.
Le remarquable film de Bachir Bensaddek, premier long métrage de cet algérien d’origine, relancera sûrement les interrogations sur l’absence de diversité dans les œuvres québécoises, car tant de films pourraient avec bonheur profiter des performances de ces deux acteurs et du talent de son réalisateur.
P.J.
[1] Les mêmes joies exquises sont partagées chez nous par exemples par
- la chanteuse Sylva Balassanian avec ses musiciens québécois qui sera à la Place des Arts salle Claude Léveillée le 6 mai pour présenter son spectacle Lady Sylva
- le compositeur Pedros Shoujounian dont la musique inspirée des chants liturgiques arméniens admirablement interprétée par le quatuor Molinari d’Olga Ranzenhofer est présentée sur Radio-Canada
- Louise Warren illustrant ses poèmes avec la musique immémoriale des frères Tabassian
- et le groupe Surkalén qui se spécialise dans l’ethno-charango, composé de Sandra Ulloa, Rony Dávila, Claudio Rojas et María Demacheva venus interpréter Michel Rivard lors de l’hommage qui lui fut rendu le 15 février dernier à la Mairie de Montréal.
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