Ce soir 26 avril, dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation, Florent Vollant, Artiste pour la Paix 1994, se produit au Grand Salon de l’Hôtel Reine-Élizabeth avec Biz (Loco Locass), Élisapie Isaac, des chanteurs et danseurs mohawks, ainsi que notre président d’honneur, Richard Séguin.
Cette commission a réveillé bien des souvenirs douloureux des pensionnats autochtones où tant de sévices ont été infligés à des enfants séparés de force de leurs familles, tache indélébile aux droits de la personne. Et La Presse d’aujourd’hui titre avec insensibilité « Il faut passer à autre chose », en contradiction flagrante du message de l’autre soirée du 23 avril à la Place des Arts, à laquelle La Presse a pourtant contribué.
Mais aucune critique hélas dans ce journal (ni en d’autres journaux?) du fabuleux spectacle offert par Chloé Sainte-Marie à la salle Maisonneuve de la Place des Arts le 23 avril 2013, même si c’était le premier spectacle-bénéfice au profit de la Maison Gilles-Carle : cette maison dans Brome-Missisquoi est la première à voir le jour, grâce à la ténacité de Chloé, pour offrir au million de Québécois qui se trouvent à être des aidants naturels l’occasion d’accueillir pour une nuit, une semaine ou un mois leur fils handicapé ou leur mère Alzheimer, pour leur permettre de reprendre momentanément leur souffle et d’éviter ainsi l’épuisement total.
Grâce aux deux présidents d’honneur Daniel Lamarre et Jean-Pierre Desrosiers, il y eut une salle quasi-comble et plus de deux cent mille dollars de rentrées (billets à 250$). Bref, on sentait dans la salle cette complicité avec Chloé, artiste pour la paix 2009, qui a soutenu de toute son énergie et imagination les dernières années atteintes de Parkinson de son homme Gilles Carle, cinéaste majeur et peintre du Québec : on se souvient que lui-même, avant même d’apprendre ses propres racines amérindiennes ainsi que celles de sa conjointe, avait offert courges, maïs et fèves en cadeau symbolique aux femmes Mohawk (dont Myra Cree, APLP2006) lors de la Crise de Kanehsatake en 1990. Une autre année, il avait offert une de ses toiles aux APLP, d’ailleurs présents à ses funérailles par le sobre et touchant éloge funèbre prononcé par Bruno Roy qui lui a survécu quelques semaines à peine.
Voilà pour la cause admirable, mais que dire de l’aspect artistique de cette soirée? Chloé Sainte-Marie s’est dépassée. Celle aux débuts cinématographiques chancelants s’est muée mardi en déesse de la scène, flamboyante dans son costume aux reflets rouges-orangés, partageant sa voix extraordinaire en différents registres bien contrôlés, n’hésitant pas en outre à évoquer tour à tour le rauque chant de gorges inuït et les voix en écho soprano (technique si bien exploitée par le cinéaste Tarkovski comme distanciation spirituelle) grâce à un effet obtenu simplement en tenant son micro éloigné.
Chloé était de plus visuellement et sonorement encadrée par deux splendides musiciens, Gilles Tessier et surtout son fidèle accompagnateur, Réjean Bouchard, venu gracieusement participer en la Chapelle Historique du Bon-Pasteur à notre fête du 14 février dernier (pour célébrer Anaïs Barbeau-Lavalette APLP2012). Des effets simples de percussion scandée, ici et là un clavier et un accordéon, n’altéraient pas l’unité musicale obtenue par le recours aux guitares virtuoses de ces deux musiciens inspirés : aucun flottement, aucune fausse note, toujours en accompagnement efficace du chant exclusivement en langue innue, grâce aux mots de Bibitte (Joséphine Bacon), remerciée par Chloé.
Deux numéros du Cirque du Soleil, dont l’un à couper le souffle par un mince acrobate amérindien aux cerceaux démultipliés, sont venus faire rayonner encore plus loin l’immense intégrité artistique du spectacle, qui, bien au-delà d’un concert-bénéfice, refusa d’emprunter la piste racoleuse inhérente au genre. Chloé a choisi de soutenir l’exigence d’un tour de chant célébrant les valeurs autochtones, sans dogmatisme mais sans complaisance pour la faune élitaire qui peuplait la salle; en faisait foi, répercuté par la fabuleuse sculpture humaine érigée lentement à la manière d’un Calder par un couple d’acrobates, son vibrant et essentiel appel : « Amérique, quand érigeras-tu enfin un mausolée commémoratif de l’immense génocide auquel tu t’es livrée? » Ma collègue Yolande Cohen, historienne à l’UQAM, et son conjoint Marcel Fournier en étaient émus aux larmes…
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