Fabuleuse inspiration autochtone
L’ensemble I Musici a fidèlement parcouru les pistes multisensorielles semées par la très généreuse artiste bretonne-anichinabée Caroline Monnier à qui il avait donné carte blanche (quoique métis!) pour le programme de leur concert du 20 octobre 2022 : une journée d’astres alignés puisque marquée par la première historique pour le Québec d’une ministre autochtone désignée par le Premier ministre François Legault, Kateri Champagne Jourdain, députée de Duplessis (Côte-Nord-Manicouagan).Clairement balisées par ses images filmées, les pistes de madame Monnier, restée sur la scène tout au long du spectacle, parcouraient les six saisons des Premiers Peuples, car le froid leur fait ajouter une saison pré-hiver et une autre pré-printemps, si j’ai bien saisi. Le public a ainsi eu droit à la première mondiale d’une musique contemporaine accompagnée d’images projetées sur la conque acoustique en érable d’un corbeau, signées Caroline en clin d’œil au prénom du compositeur navajo-déné Raven Chacon, premier autochtone à être récompensé par le prix américain Pulitzer de la musique – cette semaine même (excusant son absence). Depuis les œuvres sensibles de l’Artiste pour la Paix 1992 Gilles Tremblay, jamais n’avait-on entendu semblables méditations inspirées par la nature que cette composition titrée Ashdla.
Rappelons qu’on avait loué la complicité de Caroline avec la nature dans deux articles sur son film Bootlegger, en déplorant que les prix IRIS de cette année aient plutôt choisi une œuvre médiocre soutenue par des producteurs plus puissants. On découvre chez elle un discours artistique de simplicité dépourvue de jargon qui la relie au grand Riopelle.
En guise de préambule, I Musici a judicieusement choisi d’ouvrir le concert par un discret mouvement lent du quatuor 1946 du regretté George Theophilus Walker, premier compositeur afro-américain à recevoir en 1996 ce même prix Pulitzer.
Pourquoi a-t-on écrit « multisensoriel », c’est que la soirée s’est terminée par un cocktail dînatoire de grandes saveurs et variétés – pâté de perdrix, champignons sauvages et chanterelles cueillis à la main, boulettes de risotto au riz sauvage et courge, fruits nordiques sur akutaq – présenté par la cheffe enthousiaste et souriante Swaneige Bertrand, grande amie de Caroline avec qui elle collabore comme actrice, costumière et… traiteur spécialisée en cuisine autochtone. Miam ! Enfin, une partie des fonds amassés lors du concert-événement commandité par TD seront remis à l’Institution Kiuna, centre d’études collégiales consacré à l’éducation des autochtones, situé à Odanak, près de Pierreville, dans le Centre-du-Québec.
L’ADN Turovsky
La présence au concert de Florence Junca-Adenot et de Jeanne Hétu marquait dignement le retour historique d’I Musici en la Salle Pierre-Mercure bâtie en partie pour eux, car dès l’annonce par Pierre Péladeau qu’il accordait à l’UQAM un million de dollars pour une salle de concert à venir, j’avais fourni comme directeur du département de musique, à l’ex-vice-rectrice, les premières esquisses du projet contenant la liste d’utilisateurs potentiels avec en place d’honneur, le jeune orchestre I Musici : le violoncelliste Yuli Turovsky venait de le former avec des étudiantEs de l’Université de Montréal et il suscitait déjà mon admiration en 1985! Par sa fougue magnifiquement traduite par son chef Jean-François Rivest, le 2e mouvement de la Symphonie de Chambre opus 110a du génial Dimitri Chostakovitch renoua l’affiliation de l’ensemble avec son regretté fondateur, ami de l’altiste Rudolf Barchaï du quatuor Borodine, à qui on doit ce plus célèbre arrangement.
L’antagonisme Wagner-Brahms
On connaît la rivalité antagoniste des deux compositeurs allemands. Brahms suit la tradition Beethoven d’une organisation structurelle rythmique rigoureuse respecté par l’admirable arrangement de son quatuor no 1 réalisé par Rivest, dont l’interprétation romantique passionnée trahissait néanmoins le calme nécessaire à l’appréciation de l’ordonnance classique. Sans doute le chef voulait-il affirmer une rupture de caractère avec les trois Wesendonk Lieder contemplatifs de Wagner? Pour un petit ensemble à cordes, traduire l’ampleur orchestrale du compositeur d’opéras s’avère mission impossible. Mais la soprano innue Élisabeth St-Gelais a communiqué son art à une salle subjuguée, trouvant l’inspiration de l’immensité wagnérienne dans son Lac St-Jean ou Pekuakami, comme elle l’a confié au micro, tendu après sa prestation par son amie Caroline.
Julie Triquet accède au sommet Arvo Pärt
Du compositeur estonien Arvo Pärt, FRATRES, créé en 1980 à Salzburg par Gidon et sa sœur pianiste Elena Kremer, marque un sommet de la culture spirituelle européenne par un appel à la fraternité universelle inégalé depuis la 9e symphonie de Beethoven, mais sur un mode méditatif désolé, dicté par notre époque pessimiste. La réalisation dramatique du drone persistant dans les basses assurées par les deux violoncelles et la contrebasse d’I Musici me fit horriblement penser, un fugitif instant d’association discursive, à ces drones qui déchirent les cieux ukrainiens. Heureusement, mes souvenirs ont pu repuiser dans mon accompagnement au piano du fondateur de l’Institut des Relations Interculturelles par l’ART (IDRIART), le violoniste slovène Miha Pogacnik, qui avait travaillé l’œuvre avec le compositeur, insigne honneur accordé par un créateur reclus; notre interprétation créait auprès des réfugiés de guerre une grande émotion lors de la Flottille de Paix 1994 en Croatie-Slovénie. Nos six bateaux peuplés de divers artistes, de marionnettistes et même d’un Casque Bleu norvégien marquaient pour la population éprouvée un retour symbolique à la paix et pour Jean-François Lépine, une Action de Grâce réussie à Radio-Canada avec l’art de la réalisatrice Kateri Lescop qui avait courageusement accompagné notre odyssée, filmée par la caméra de Patrice Massenet et enregistrée par Serge Bouvier.
Terminer la soirée d’art total avec un tel sommet spirituel consacrait la virtuosité de la violoniste à la fois soliste et Konzertmeisterin Julie Triquet. Et Caroline eut l’autorité de calmer les échanges bruyants du cocktail pour présenter, au piano Steinway (que j’avais personnellement choisi au départ de l’aventure de la salle sous les conseils avisés des Rizopoulos de Piano Prestige), un confrère autochtone dont le nom m’a échappé ayant parcouru mille kilomètres pour offrir aux invités une interprétation réussie toute en intériorité de Schubert. Tous ces artistes trouvent ensemble une incroyable énergie connectée, comme les Artistes pour la Paix le feront si vous vous joignez à nous.
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