L’ouverture à la vraie réalité du 6 décembre 1989 est maintenant enfin officielle, grâce à une nouvelle plaque commémorative devant l’École Polytechnique. Au sommet Kondiaronk le 6 décembre 2019, cette vérité fut confirmée par la teneur des discours de la mairesse Valérie Plante, ainsi que des Premiers ministres Legault et Trudeau : il s’agissait d’un ATTENTAT ANTI-FÉMINISTE fomenté par des préjugés sexistes déplorables, a dénoncé Plante, sans doute avec une arrière-pensée pour la présentation de Christine Labrie, députée de Sherbrooke à l’Assemblée nationale, faisant part à ses collègues en début de semaine des qualificatifs que son action politique pour Québec Solidaire suscite; mais le Québec va s’assurer de rester champion mondial de l’égalité hommes-femmes, s’est exclamé Legault; le Canada va interdire les armes d’assaut et je travaille à faire de mes deux gars des féministes, a déclaré Trudeau, très applaudi.
Marie-Claude Lortie, journaliste à La Presse, écrivait samedi le 7 :
On a bien fini par voir qu’il y avait un immense carrefour de violence entre l’axe des inégalités grandes et petites du quotidien et l’axe psychiatrique qui fait que certaines personnes deviennent violentes ou prennent carrément les armes. En 1989, une bombe est tombée sur nos consensus, notre cheminement, notre sentiment de sécurité créé par le fait que L’ÉGALITÉ SOIT GARANTIE PAR LA CHARTE DES DROITS. Le tueur nous a fait comprendre que notre droit à l’égalité s’arrêtait là où commençait le canon de son fusil. Et le déni de notre souffrance dans tant de discussions sur la place publique nous a fait comprendre que le poids de notre liberté de parole disparaissait là où commençait celui des gens au pouvoir. Vraiment au pouvoir. Le tueur a installé une nouvelle peur. Ces jeunes femmes de mon âge je ne les connaissais pas, mais c’était mes sœurs, mes amies, mes voisines, les filles avec qui je suis allée au camp, à l’école, à l’université, mes jeunes collègues. C’étaient toutes les filles que j’ai croisées dans ma vie. Elles auraient aujourd’hui mon âge. (…) Aujourd’hui, j’ai envie de les voir, de les serrer, comme on garde probablement des liens profonds avec ceux qui ont partagé notre bateau de sauvetage dans un naufrage. Ça n’enlèverait pas la douleur. Bien sûr que non. Mais parfois, on cherche les liens où on sait, sûr, sûr, sûr, qu’il n’y aura jamais la peur.
Depuis l’assassinat de 14 femmes en 1989, Pierre Jasmin a « couvert » une douzaine de cérémonies du 6 décembre au cours des ans, dont celle du 25e anniversaire [1] à titre d’Artiste pour la Paix, un titre qui ouvre les cœurs. En 2017 et l’an dernier, il était présent sur le Mont-Royal, par solidarité avec Heidi Rathjen, l’infatigable animatrice du collectif Polysesouvient, avec lequel les Artistes pour la Paix ont longtemps collaboré de très près, pour un contrôle des armes à feu dont on voit enfin poindre la renaissance : on se souvient du piano pour la paix, sculpture faite de carabines recyclées, offerte à Haïti par Alex Magrini au président légitime élu, Jean-Bertrand Aristide, qui en a profité pour démembrer l’armée haïtienne facilitant le trafic de drogue.
Cette année encore, malgré ses vertèbres cassées, Pierre a gravi un kilomètre dans la neige, heureux de constater que la foule massée était plus de dix fois plus nombreuse que l’an dernier [2], effet du 30e anniversaire, sans doute. Bref, j’aurais aimé être là, mais je travaillais. On peut voir la cérémonie à la télévision [3] avec :
- l’animation de Karine Vanasse, comédienne aussi connue au Canada anglais que chez nous, impliquée en faveur de la non-violence, notamment dans le film coup de poing qui n’aurait pas vu le jour sans son soutien, Polytechnique de Denis Villeneuve, mais aussi lors du Symposium international de Québec sur l’uranium organisé en 2015 par Ugo Lapointe et les Cris [4] ;
- le discours ému de Julie Payette, féministe devenue gouverneure générale, relatant ses débuts comme étudiante ingénieure aérospatiale à l’Université Cornell, mais s’étant sentie très proche des jeunes femmes assassinées, d’où l’émotion réelle de son discours;
- et la chorale éphémère (trois chorales fusionnées) qui a chanté de superbes harmonisations de l’Allelujah de Leonard Cohen et du lancinant Aimons-nous quand même, aimons-nous jour après jour, aimons-nous malgré l’amour, aimons-nous de rage, aimons-nous mais sans pitié, aimons-nous en cage, aimons-nous sans amitié, deux mille ans de haine n’ont rien changé à l’amour.
The Gazette a évidemment identifié la première, mais pas la deuxième chanson, alors que mes activités aux Artistes pour la Paix me mettent en relation privilégiée avec son auteur, le grand Yvon Deschamps. J’ai manqué cette atmosphère spéciale live de solidarité quasi-sacrée, mais je peux me consoler comme vous toutes en lisant Ce jour-là : parce qu’elles étaient des femmes, de Josée Boileau.
[1] Pour le 25e anniversaire : http://www.artistespourlapaix.org/?p=6525
[2] Cérémonie 2018 : http://lautjournal.info/20181210/leffet-kondiaronk
[3] La cérémonie est sur https://www.cpac.ca/fr/programs/emission-speciale/episodes/66121787/
Sur Sisyphe.org, le 6 décembre 2010
À la mémoire de Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Maria Kluznick, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, tuées à l’École Polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989, par un jeune homme qui refusait que les femmes prennent leur place dans la société québécoise. « J’haïs les féministes », a-t-il crié en tirant sur les étudiantes.
Plus choquant que l’oubli des raisons politiques de se souvenir du 6 décembre (vu sous l’angle pacifiste), la raison FÉMINISTE devrait pourtant sauter aux yeux de toute personne désirant rappeler le 6 décembre 1989 (les femmes invitées à la cérémonie se sont chargées de le faire !). Heureusement, nous avons reçu de la Fédération des Femmes du Québec la circulaire suivante : nous nous rassemblerons samedi le 6 décembre à 14h à la Place du 6-décembre-1989 afin de se réapproprier ce lieu symbolique où nous serons accueillies par les chants du groupe Odaya suivi par des prises de parole qui mettront de l’avant des formes de résistances féministes actuelles qui luttent contre les inégalités et la violence envers les femmes.
Voici en 2010 un échange de courriels des APLP avec Élaine Audet dont on trouvera plusieurs articles fort éloquents sur son site Sisyphe.org. Dois-je rappeler une des premières lignes de l’historique des Artistes pour la Paix sur notre site? Une certaine culture dominante, appelée rectitude politique, qu’on pourrait aussi désigner comme un consentement tacite à un ordre fabriqué, s’est plu à ériger un mur de méfiance autour des concepts féminisme et pacifisme. Il devient de bon ton de s’en distancer comme d’extrémismes sinon sectaires, du moins naïfs illuminés, alors qu’il s’agit de nécessaires et raisonnables contrepoids à une domination multi-millénaire par les armes et la violence. Combien de fois entend-on je ne suis pas féministe/pacifiste mais…!