«Depuis de nombreuses années et de tous les coins du Québec, nous venons passer quelques jours, quelques semaines, quelques mois au bord du fleuve Saint-Laurent. Certains d’entre nous ont même décidé de s’y installer. Que la beauté, le silence, la lumière, la vie du fleuve, de sa faune et de ses rivages puissent être détruits par le terminal maritime que la compagnie TransCanada veut implanter dans le port de Gros-Cacouna, par les forages et le transport du pétrole tiré des sables bitumineux, et surtout par les inévitables catastrophes ou marées noires « improbables », tout cela nous est intolérable. Si cela se produisait, nous pourrions toujours choisir d’autres destinations de vacances, ce qui entraînerait des pertes économiques sans doute plus importantes que « les retombées pour l’économie et l’emploi » que font valoir les intervenants qui défendent le projet, mais aucune de ces destinations ne serait, pour nous, un tel lieu de ressourcement. C’est que le fleuve, qui coule entre la rive nord et la rive sud, entre l’intérieur des terres et l’océan, entre notre passé le plus ancien et notre avenir, est non seulement ce qui nous abreuve (43 % de la population québécoise s’y approvisionne en eau potable), mais aussi ce qui nous relie à nous-mêmes et nourrit notre imaginaire. Si une catastrophe se produisait, ce serait une perte irrémédiable de beauté et de mémoire. Abandonner le fleuve aux intérêts financiers à court terme, c’est compromettre la suite du monde. Le fleuve n’a pas de prix, le fleuve n’est pas à vendre.»

Cette prise de position d’autant plus percutante qu’elle est toute simple a été écrite par les quatre premiers soussignés, que les Artistes pour la Paix félicitent avec chaleur: Yvon Rivard, écrivain et professeur retraité, Isabelle Miron, écrivaine et professeure, Jean Bédard, écrivain et professeur, Mélissa Grégoire, écrivaine et professeure , avec Yolande Simard Perrault, responsable de l’œuvre de Pierre Perrault.

Ont co-signé: Dominic Champagne, homme de théâtre (APLP2011); Laure Waridel, éco-sociologue et co-fondatrice d’Équiterre; René Derouin, artiste et directeur artistique; Jean Désy, écrivain; Louis Hamelin, écrivain; Richard Séguin, auteur compositeur interprète; Marie-Andrée Beaudet, professeure Université Laval;Pierre Morency, écrivain; Jean Sioui, auteur et chef responsable de la culture nation huronne-wendat; Pierre Ouellet, écrivain, professeur UQAM; Marie-José Thériault, écrivaine, chanteuse, traductrice; Paul Ahmarani, comédien; Daniel Lavoie, auteur compositeur interprète; Benjamin Grégoire, coordonnateur de projet pour Katimavik; Luc Beauséjour, claveciniste; Hélène Pelletier-Baillargeon, écrivaine; Réginald Martel, journaliste; Jacques Pelletier, professeur associé au département d’études littéraires, UQAM; Marie-Denise Pelletier, auteure compositeure interprète; Larry Tremblay, écrivain; Ianik Marcil, économiste indépendant; Marie-Phare Boucher, Prospérité sans pétrole L’Isle-Verte; Stéphane Lépine, chargé de cours; Gilles Beaubien, navigateur; Pierre Jasmin, musicien professeur retraité vice-président des Artistes pour la Paix; Benoît Aquin, photographe; Gilles McMillan, écrivain; Rita Mestokosho, poète innue; Pierre L. Auger, médecin spécialiste en médecine du travail et conseil en environnement; Julien Lefort-Favreau, chercheur postdoctoral, Université de Toronto; Marc Zaffran médecin; Martin Winckler, écrivain; Louise Sigouin, documentariste; Joëlle Morin, comédienne; Gilles Cyr, écrivain; Alain Nadeau, psycho-éducateur, Inukjuak; Denise Desautels, écrivaine; Frédérique Bernier, professeure Cégep de Saint-Laurent; Louise-Marie Brodeur, bibliothécaire; Paul Bélanger, écrivain et éditeur; Jonathan Livernois, professeur Université Laval; Marie-Pier Lebel, étudiante en sciences de la nature Cégep de Rimouski; Normand Baillargeon, professeur UQAM; Jean-François Bourgeault, professeur Cégep Saint-Laurent; Huguette Ranger, retraitée de la fonction publique (recherche et planification); Michel Seymour, professeur Université de Montréal; Patrick Cady, sculpteur; Élise Turcotte, professeure et écrivaine; Natasha Kanapé Fontaine, poète; Nicolas Lévesque, psychologue, essayiste et éditeur; Marta Szymsiak, retraitée; Marc Labonté, conseiller en ressources humaines; Diane Cardinal, écrivaine et comédienne; Guylaine Larouche, retraitée; Robert Hébert, professeur retraité Collège de Maisonneuve; Anne-Marie Miller, professeure Cégep du Vieux Montréal; Édith Gagnon, professeure retraitée; Christian Nadeau, professeur Université de Montréal; Marie-Josée Dufour, rédactrice; Léo Forest, travailleur social; André Lecavalier, professeur retraité; Colombe Michaud, chargée de cours à l’UQAR; François Geoffroy, professeur Cégep Montmorency; Guy Bédard, consultant international; Mohamed Lotfi, journaliste et réalisateur; Stewart Johnson, professeur Cégep de L’Assomption; Et 329 autres signataires dont les noms ont été publiés par Le Devoir du 23 août 2014.

Voici maintenant notre appel daté de juillet: Au lendemain d’une conférence de presse décevante par le nouveau ministre libéral de l’Environnement, David Heurtel, qui semble miser sur la résignation socio-environnementale des citoyens face aux projets par l’industrie pétrolière de fracturation de schiste (tout comme son homologue fédéral appuie les projets de pipe-lines de pétrole des sables bitumineux), il me semble urgent de lancer cet appel en tant que vice-président des Artistes pour la Paix, porteur d’eau pour Eau-Secours et auteur sur ce site de deux articles récents : j’y appuyais entre autres les prises de position d’une part par Dominic Champagne (APLP2011), engagé dans la lutte contre la fracturation du schiste en particulier à l’île d’Anticosti, d’autre part par Anaïs Barbeau-Lavalette (APLP2012), résistant contre un changement de zonage menaçant la tranquillité de ses paisibles Montagnes Vertes.

22 avril historique

La photo illustrant cette prise de position date du 22 avril 2012 alors qu’un quart de million de personnes furent rassemblées par Dominic Champagne à l’occasion du Jour de la Terre pour protester contre les décisions écologiquement aberrantes des gouvernements Harper – Charest (alors que feu Frédéric Back y mobilisait ses dernières énergies pour … planter un arbre).

Le concept de résistance socio-environnementale s’explique par la conjoncture de deux gouvernements qui semblent non seulement insensibles mais hostiles à une protection environnementale minimale; il ne s’agit plus d’être seulement vigilant, vu que les abus signalés ne sont pas corrigés (cf le manque de soutien de la part du ministre Pierre Moreau au maire de Ristigouche sud-est, François Boulay qui demande notre aide sur www.solidariteristigouche.com), il s’agit de résister jusqu’à ce que les citoyens redeviennent conscients de l’importance de l’enjeu environnemental (réchauffement climatique et autres). Une élaboration rigoureuse de notre résistance procèdera d’une compréhension de concepts développés par ma collègue Corinne Gendron, professeure membre du conseil d’administration de l’UQAM et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable: elle a généreusement accepté l’exercice que nous lui avons amicalement soumis de réagir à chaud à l’important article d’Alexandre Schields dans Le Devoir du 24 juillet. Nous reproduisons cet article, d’abord, puis la réaction de la professeure Gendron.


Québec a finalement dévoilé mercredi son règlement sur la protection de l’eau potable, une mesure qui confirme que Pétrolia pourra poursuivre ses forages dans la ville de Gaspé, malgré la controverse qu’ils suscitent. Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) fixe pour la première fois la distance « minimale » qui devra être respectée entre un site de forage et une source d’eau potable. Celle-ci devra être de 500 mètres. La distance pourrait toutefois être plus grande, en fonction des conclusions de l’étude hydrogéologique qui sera désormais exigée par Québec. Cette étude, réalisée par l’entreprise qui veut forer, devra couvrir un rayon de deux kilomètres autour des sites de forage. Toute opération de fracturation devra en outre être menée à une profondeur minimale de 600 mètres, ce qui est déjà le cas. Et les entreprises devront assurer un suivi de l’état de leurs puits pendant les 10 années suivant la fermeture de ceux-ci. Le ministre de l’Environnement, David Heurtel, a évidemment vanté le geste posé par le gouvernement Couillard.

« Nous visons ainsi à répondre aux attentes des municipalités, de l’industrie et des citoyens en mettant en place un cadre réglementaire clair et prévisible, qui vise à assurer une protection adéquate des ressources en eau à l’égard du développement pétrolier et gazier », a-t-il affirmé au cours d’un point de presse tenu à Gaspé.                                                                               

Gaspé vs Pétrolia

Le règlement présenté par Québec annule aussi les règles mises en place par plusieurs municipalités dans le but de protéger leurs sources d’eau potable. Le cas le plus médiatisé est celui de la Ville de Gaspé, qui a adopté un règlement en ce sens en décembre 2012. Les mesures instaurées par Gaspé avaient eu pour effet de bloquer un projet de forage que Pétrolia souhaite réaliser sur le territoire de la municipalité. Le site choisi se trouve à 350 mètres des résidences les plus près. Mais comme il respecte les mesures annoncées par Québec mercredi, il pourra reprendre, comme le demandait la pétrolière. L’entreprise, qui a sept lobbyistes inscrits au registre québécois, a d’ailleurs fait des démarches auprès du gouvernement en lien avec le RPEP, afin que celui-ci permette « une exploitation optimale du gisement » pétrolier qui se trouverait à Gaspé. Pétrolia a salué mercredi l’annonce du gouvernement, tout en précisant que le forage qu’elle compte mener ne nécessitera pas d’opérations de fracturation hydraulique. Celui-ci pourrait bien permettre de préciser le premier potentiel pétrolier exploitable de l’histoire du Québec. Selon les données préliminaires, le sous-sol pourrait contenir 7,7 millions de barils d’or noir. Le maire de Gaspé, Daniel Côté, s’est lui aussi réjoui de la mise en place d’un règlement provincial sur la protection de l’eau potable. Il n’a toutefois pas précisé ce qu’il adviendra de la cause qui oppose la Ville et Pétrolia en cour. Il dit vouloir lire attentivement le RPEP avant de se prononcer. La pétrolière a lancé en 2013 une poursuite contre Gaspé en raison de l’adoption de son règlement sur les eaux. La Cour supérieure lui a donné raison, mais Gaspé a porté la cause en appel.

Projet controversé

Reste qu’à Gaspé, les projets pétroliers suscitent la controverse. La porte-parole du regroupement Ensemble pour l’avenir durable du Grand Gaspé, Lise Chartrand, s’est dite déçue de l’annonce du ministre Heurtel. Selon elle, le règlement élaboré par les libéraux est «taillé sur mesure pour Pétrolia». Mme Chartrand a aussi souligné qu’au-delà du règlement, il faut que les projets se fassent dans un contexte d’acceptabilité sociale, ce qui ne serait pas le cas à Gaspé. Les municipalités n’ont cependant pas le droit de refuser l’implantation de projets d’exploration pétrolière ou gazière sur leur territoire. C’est la Loi sur les mines qui encadre actuellement la recherche d’hydrocarbures, en attendant l’adoption d’une loi spécifique aux énergies fossiles. Et celle-ci a préséance sur l’aménagement du territoire.  Une situation que déplore le maire de Ristigouche-Partie-Sud-Est, François Boulay: « On exclut toujours la question de l’acceptabilité sociale. Il n’y a rien qui permet aux citoyens de donner leur avis. » La petite municipalité de Gaspésie a elle aussi adopté un règlement de protection de l’eau, ce qui a bloqué les projets d’exploration de Gastem. L’entreprise lui réclame maintenant 1,5 million de dollars. M. Boulay a d’ailleurs souligné mercredi que l’annonce de Québec ne change rien à la poursuite lancée par Gastem. Un boulet pour une municipalité dont le budget annuel dépasse à peine les 200 000 $.

« Nous attendons toujours que le gouvernement du Québec et le ministre des Affaires municipales daignent nous contacter pour que nous discutions de la question. Le silence du gouvernement dans le dossier de Ristigouche est plus qu’inquiétant », a laissé tomber M. Boulay. Dans le monde municipal, qui réclamait une action de Québec depuis longtemps, le RPEP a reçu un accueil favorable. Le milieu des affaires voit pour sa part un signal positif pour l’industrie de l’énergie fossile. « Le Règlement constitue un signal clair et positif pour un développement durable, responsable et rentable de la filière pétrolière et gazière au Québec qui contribuera, au final, à la prospérité et à la qualité de vie de l’ensemble des Québécois », a déclaré le président-directeur général du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval.

(Fin de l’excellent article d’Alexandre Schields)


Voici maintenant le commentaire de la professeure Corinne Gendron:

N’est-ce pas paradoxal que le nouveau règlement du gouvernement québécois sur la protection de l’eau potable alimente la controverse environnementale et sociale ? C’est pourtant ce que laisse entendre l’article informé d’Alexandre Schields, car malgré des restrictions annoncées, Le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP) a pour effet d’autoriser des forages controversés qui étaient en suspens. Le règlement ne semble pas aller dans le sens que souhaitent les autorités publiques d’instaurer un climat favorable au développement de l’industrie, oubliant qu’une clarification du cadre règlementaire ne pourra jamais compenser pour une acceptabilité sociale de l’entreprise jugée déficiente par plusieurs observateurs. Comme je le développe dans un cadre plus théorique en annexe de ce commentaire, l’acceptabilité sociale représente l’assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. Elle se construit en amont d’un projet, soit parce que celui-ci s’incarne naturellement dans la vision du progrès que partagent les acteurs du territoire, soit parce que le promoteur a utilisé diverses modalités de dialogue à travers lesquelles il a pu co-construire son projet avec ces acteurs. Malheureusement, une fois la controverse déclenchée, il est difficile de reconstruire l’acceptabilité sociale dont le premier ingrédient demeure la confiance entre le promoteur ou le décideur et la population concernée. Dans cette perspective, le nouveau règlement ouvre certainement une voie juridique aux forages en suspens, mais on doute qu’il contribue à leur acceptabilité sociale.


On trouvera enfin l’article de fond que Corinne a produit pour la Revue internationale Communication sociale et publique, spécifiquement pour son dossier Éthique et relations publiques,  sur : http://www.revuecsp.uqam.ca/numero/RICSP_11_2014.php L’article de Corinne, en page 117, qui s’intitule Penser l’acceptabilité sociale : au-delà de l’intérêt, les valeurs, éclaire brillamment les concepts d’acceptation et d’acceptabilité sociale et environnementale. En voici des extraits essentiels:

Penser l’acceptabilité sociale : au-delà de l’intérêt, les valeurs

Corinne Gendron
Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, UQAM, Canada
gendron.corinne@uqam.ca

English résumé:

Social acceptability reflects a collective judgment about a policy or a project which it is to understand the foundations and influences. If individual preferences may play a role in the formation of the collective judgment, social acceptability is more a matter of shared values and beliefs. Social acceptability refers to a collective assessment rather than individual positions, in the sense that the judgment of acceptability takes part of social dynamics likely to build and transform it. Moreover, this decision involves an element of comparison between the proposed project and its alternatives. Given those features, social acceptability can be defined as the consent of the population in a project or decision resulting from collective judgment that the project or decision is superior to known alternatives, including the status quo.

L’article proprement dit:

Dans un contexte où les projets et les décisions publics semblent de plus en plus contestés, un nouvel impératif tend à s’imposer : l’acceptabilité sociale. Cette notion s’enracine dans les stratégies mises en oeuvre par les décideurs pour maîtriser une opposition qu’ils ne cherchent malheureusement pas toujours à comprendre. Nous souhaitons dans cet article explorer plus avant le concept d’acceptabilité sociale pour montrer qu’il est beaucoup plus riche que le syndrome NIMBY auquel on le réduit parfois. Il ouvre en effet des perspectives nouvelles sur la décision et le projet publics dans le contexte d’une démocratie en transformation qui ne se satisfait plus du seul rendez-vous électoral. Nous évoquerons tout d’abord plusieurs controverses récentes susceptibles d’illustrer le contexte dans lequel a émergé la notion d’acceptabilité sociale. Nous montrerons ensuite combien une analyse en terme NIMBY peut être réductrice, et tenterons par la suite une définition du concept d’acceptabilité sociale. Enfin, la dernière partie de l’article précisera comment cette définition permet d’aborder différemment les controverses et les défis de nos démocraties en transformation.

La montée des controverses

Les décisions et les projets tant publics que privés semblent faire l’objet ces dernières années d’une contestation croissante qui interpelle directement les professionnels des relations publiques. Qu’il s’agisse de la mise sur pied ou de la révision de programmes, ou encore de l’installation de nouvelles infrastructures, la population s’organise pour infléchir les décisions jusqu’à faire annuler certains projets. Quelques cas récents illustrent bien cette dynamique contemporaine, que ce soit à l’échelle internationale ou à celle du Québec. En 1995, une campagne spectaculaire de Greenpeace dénonça l’intention de Shell de démanteler sa plate-forme pétrolière Brent Spar. Cette campagne se traduisit par des manifestations et un boycott qui forcèrent l’entreprise à abandonner son projet, alors même que Greenpeace reconnut finalement que la stratégie de démantèlement proposée par Shell s’avérait la plus appropriée dans les circonstances. Shell n’en perdit pas moins des parts de marché tandis que son image fut durablement ternie. Mais en perdant sa crédibilité, Greenpeace, qui avait mal jugé de la situation, n’en sortit pas indemne non plus. 

A contrario des installations pétrolières, l’énergie éolienne était globalement bien accueillie par l’opinion publique compte tenu de son image écologique. Les projets de parcs éoliens ont pourtant suscité une opposition croissante au fur et à mesure qu’ils se déployaient, que ce soit au Québec ou en France. Pendant les années 1990, les conflits se sont articulés autour de la gouvernance de la filière, du partage des redevances et des nuisances suscitées par ces installations. Mais, progressivement, la question du paysage a recadré les débats à une échelle susceptible de questionner la pertinence même de la filière au sein d’une stratégie énergétique. Si bien que le développement de l’éolien fait aujourd’hui l’objet de nombreuses contestations quant à l’agrandissement ou l’implantation de nouveaux parcs ou relativement aux modalités technologiques, économiques et de gouvernance des projets.

Toujours sur la scène énergétique, Hydro-Québec proposa, en 2003, de construire une centrale au gaz en alléguant la croissance des besoins énergétiques québécois. Malgré ses qualités technologiques, le projet de la centrale du Suroît fit l’objet d’une vive controverse prenant appui sur la lutte aux changements climatiques et mettant en valeur les acquis d’une production nationale jusqu’alors essentiellement hydraulique. Les scénarios de croissance des besoins énergétiques mis de l’avant par Hydro-Québec furent questionnés, et la société d’État dut aussi s’expliquer sur des questions connexes telles que le niveau dangereusement bas de ses réservoirs. Compte tenu des controverses, le projet fut finalement abandonné.

Ce fut également le cas du projet de privatisation du Mont Orford. En 2005, toujours au Québec, un promoteur immobilier souhaitait construire des installations au pied du Mont Orford pour agrandir un centre de ski, ce qui supposait de convertir une zone jusqu’alors reconnue comme parc naturel. La communauté locale se mobilisa pour faire obstacle au projet, questionnant tout autant son bien-fondé et ses conséquences environnementales que sa pertinence économique. Au fil de la contestation qui rassembla des acteurs de multiples horizons, l’enjeu prit une dimension globale : fut questionnée la précarité du statut réglementaire de parc naturel et dénoncée l’injustice d’une reprivatisation de terres autrefois gracieusement cédées à l’État par des propriétaires désireux de les voir protégées. L’État fut forcé de reculer et renonça à la privatisation du parc.

Ces événements illustrent combien des controverses suscitées par des décisions ou des projets peuvent forcer les décideurs à les revoir, jusqu’à devoir les abandonner. Pour tenter de comprendre ce phénomène, nombreux sont ceux qui s’en remettent au syndrome NIMBY : not in my backyard.

Du syndrome NIMBY à l’acceptabilité sociale

Dans son usage courant, le syndrome NIMBY dépeint les mouvements d’opposition comme une agrégation de personnes égoïstes, uniquement préoccupées par les répercussions qu’un projet est susceptible d’avoir sur leur bien-être personnel, et incapables d’en comprendre les dimensions techniques ou l’intérêt collectif. Et même si, dans certains cas, les citoyens s’avèrent sensibles à l’intérêt collectif d’un équipement, le syndrome suppose qu’ils s’opposent à ce qu’il soit installé à proximité en raison de ses impacts sur leur environnement immédiat (Fischer, 2012). Aux inquiétudes, au manque d’information et aux intérêts particuliers des citoyens riverains, la réponse typique du promoteur se résume à une stratégie de communication et de relations publiques visant à informer et à convaincre.

Le décideur cherche à informer la population des détails du projet et de la technologie utilisée, en faisant notamment valoir son innocuité. Mais il s’agit aussi de convaincre du bien-fondé du projet ou d’une solution technique présentés comme la meilleure solution à une problématique donnée. Une telle stratégie de communication repose sur deux postulats. Le premier veut que c’est parce qu’ils ne le comprennent pas que les citoyens s’opposent à un projet. Le second suppose que c’est au décideur de juger quelle option est la meilleure en regard des alternatives disponibles. Au vu de ces postulats, on comprend que la vision sous-jacente à cette stratégie de communication et de relations publiques repose sur l’idée que c’est au décideur ou au promoteur de déterminer le risque et de concrétiser un projet de société, dont il s’agit d’informer la population par la suite.

Pourtant, irréductibles à des intérêts privés, le risque et le projet de société sont aujourd’hui sujets à des débats au sein de la population. Peu ou mal canalisés par les instances démocratiques traditionnelles, ces débats se déploient souvent dans d’autres lieux, et sont portés par des acteurs et de nouveaux modes de mobilisation dans une dynamique démocratique en transformation (Offe, 1997).

Le traitement du risque, tout d’abord, a beaucoup évolué dans nos sociétés ces dernières décennies. Il était autrefois entre les mains de l’expert, appelé à le calculer et à préconiser des mesures visant à le réduire. Mais il s’agissait aussi de corriger, par l’information, les perceptions erronées d’un risque envisagé comme une donnée objective. Or, on a peu à peu reconnu au fil des ans que le citoyen dispose lui aussi d’une compétence pour évaluer les risques dans leur contexte territorial; il peut notamment imaginer les conséquences pratiques d’une politique ou d’une technologie au-delà des exercices de modélisation. Ce qui était présenté comme l’irrationalité d’une population ignorante est désormais envisagé comme un savoir profane, pratique, bref comme une autre rationalité que celle de l’expert, tout aussi pertinente.

Par ailleurs, les rapports entre l’expert, le décideur et la société civile ont aussi changé. Si le décideur pouvait autrefois s’appuyer sur l’expert pour légitimer ses décisions, la société civile est désormais en mesure de mobiliser ses propres experts pour les contester, comme l’illustre le débat sur les OGM. La science n’est donc plus univoque et elle s’inscrit désormais directement dans les débats sociaux. Si bien qu’on reconnaît aujourd’hui non seulement la valeur du savoir profane, mais également l’ancrage social des théories scientifiques (van der Sluijs et al., 2008, p. 265-273). Le savoir scientifique est devenu pluriel non seulement compte tenu de la nature des savoirs contemporains, mais parce que s’y reformulent les conflits sociaux ; et les contre-expertises citoyennes ne sont pas que profanes, elles sont aussi scientifiques (Bonneuil, 2006, p. 257-268).

Cette nouvelle dynamique modifie la portée légitimatrice de l’expertise scientifique mobilisée par le décideur. La légitimité d’un projet ne peut donc plus s’appuyer exclusivement sur des certitudes scientifiques, qu’il s’agisse de le justifier ou même de contrer une opinion publique défavorable.

Dans ce contexte émergent de nouvelles questions : qui peut décider qu’un risque vaut ou non la peine d’être pris, que le risque soit connu, incertain ou sujet à controverse ? Et les personnes ou les collectivités exposées ne devraient-elles pas nécessairement prendre part à la décision ?

Au-delà des risques qu’il suscite, ajoutons que tout projet peut être prétexte à débat. La concrétisation d’une vision de la société peut être portée par les élus dépositaires d’un mandat électoral, de même que par des industriels bâtisseurs et acteurs du progrès. Mais à leurs côtés, la population porteuse d’utopies et de projets alternatifs participe aussi à la construction de ce projet de société. Or, c’est à l’occasion de projets concrets qu’il lui est possible d’en débattre pour discuter notamment des différentes avenues qui s’offrent pour le réaliser. Au-delà d’un repli sur des intérêts privés, la contestation reflète donc non seulement le refus d’un risque, mais aussi le désaccord avec une certaine vision du progrès, de la justice et du bien-être. Elle incarne ainsi une participation démocratique qui n’est plus confinée au rendez-vous électoral, et se déploie dans les arènes où se concrétise le projet de société.

En dépassant les postulats sous-jacents au syndrome NIMBY, on ouvre de nouvelles perspectives pour comprendre les contestations suscitées par le mode décisionnel unilatéral traditionnel.

L’acceptabilité sociale : esquisse d’une définition

S’il propose une explication simple et même facile, le syndrome NIMBY n’aborde qu’une fraction de la dynamique sociale observable lors des controverses. C’est potentiellement en raison de ces limites que s’est diffusé ces dernières années le concept alternatif d’acceptabilité sociale. De plus en plus mobilisé par les acteurs sociaux à l’occasion des controverses environnementales, ce concept fait aussi l’objet d’une production académique croissante : selon la base de données Scopus, le nombre d’articles faisant référence au concept d’acceptabilité sociale est en effet passé de 104, en 2002, à 398 en 2013.

L’acceptabilité sociale reste toutefois encore peu définie dans la plupart des articles (Fortin, 2012). De nombreuses analyses se concentrent en effet sur les dynamiques d’acteurs de même que sur les enjeux au coeur des processus d’acceptabilité sociale, sans pour autant définir de manière précise ce qu’il faut entendre par le concept même d’acceptabilité sociale.

Une équipe de recherche constituée en vue d’analyser les politiques forestières aux États- Unis fait néanmoins exception. À la faveur d’un important programme de recherche initié au milieu des années 1990, Brunson, Shindler et leurs collègues ont approfondi ce concept et proposé d’intéressantes pistes de réflexion quant à la réception des politiques publiques au sein de la population. Il est pertinent de construire, à partir de ces travaux, une définition de l’acceptabilité sociale des projets tant publics que privés en la mettant en dialogue avec les travaux francophones sur les nouveaux mouvements sociaux, la démocratie participative et les dimensions sociales de la science.

En vue de cet exercice, il est utile de rappeler que le thème de l’acceptabilité sociale émerge alors que les projets et les décisions privés comme publics font l’objet d’une contestation grandissante. La notion d’acceptabilité sociale est par conséquent teintée par la volonté des décideurs de mieux maîtriser les contestations dont leurs décisions peuvent faire l’objet. Si bien que le terme n’est pas sans susciter quelques malaises auprès de ceux qui l’assimilent à des stratégies visant à rendre acceptables des projets ou des politiques qui ne le sont pas. C’est préoccupé par cette dérive potentielle du terme que Batellier propose de distinguer le paradigme de l’acceptation sociale désignant de telles stratégies assimilées à des opérations de relations publiques traditionnelles, de celui de l’acceptabilité sociale fondée sur un véritable dialogue entre les décideurs et la population (Batellier, 2012).

Cette typologie peut être rapprochée des analyses proposées par Morsing et Schultz (2006) lorsqu’ils distinguent trois stratégies communicationnelles de responsabilité sociale :

  1. l’information des parties prenantes (stakeholder information strategy) qui peut être rapprochée d’une stratégie d’acceptation;
  2. la réponse aux parties prenantes (stakeholder response strategy);
  3. l’engagement vis-à-vis des parties prenantes (stakeholder involvement strategy) qui peuvent relever d’une stratégie d’acceptabilité.

Le modèle de l’information des parties prenantes décrit une communication unilatérale allant de l’organisation aux parties prenantes où il s’agit de dire plutôt que d’écouter, mais sans nécessairement chercher à convaincre comme dans le modèle propagandiste que nous abordons plus loin (2006, p.326). Le modèle de réponse aux parties prenantes désigne pour sa part une communication bidirectionnelle asymétrique, ce qui le distingue du modèle d’engagement vis-à-vis des parties prenantes qui est à la fois bidirectionnel et symétrique. Dans le modèle de réponse aux parties prenantes, l’organisation reçoit l’information du public en vue de mieux répondre à ses questionnements, mais ne modifie pas pour autant ses pratiques (ibid., p. 327). Le modèle d’engagement suppose au contraire un véritable dialogue entre l’organisation et les parties prenantes. Elles chercheront à s’influencer mutuellement, avec pour résultat possible un changement dans les pratiques de l’organisation mais aussi parmi les parties prenantes (ibid., p. 328).

Comme nous l’évoquions, à ces stratégies peut s’ajouter un quatrième modèle de relations publiques identifié par Grunig et Hunt : le modèle unidirectionnel et propagandiste (1984, p. 21 cités par Morsing et Schultz, 2006, p. 325). Dans ce modèle, le promoteur propage la bonne nouvelle concernant son organisation et son projet, souvent à travers une information incomplète, déformée ou à moitié vraie. Si un tel modèle peut avoir son intérêt dans le domaine publicitaire pour mettre de l’avant les qualités esthétiques d’un produit par exemple, il va directement à l’encontre de l’ambition même d’une stratégie de responsabilité sociale reposant notamment sur un principe de transparence.

Deux paradigmes ?
« Acceptation sociale » « Acceptabilité sociale »

Mais au delà de ces stratégies, l’acceptabilité sociale renvoie plus spécifiquement à la dynamique sociale dans laquelle le projet ou la décision s’insère. La construction du concept d’acceptabilité sociale ne peut donc faire l’économie d’une analyse de l’inacceptabilité ou plutôt de l’inacceptation sociale des projets et des politiques, qui emprunte les trajectoires les plus variées. Comme l’explique Shindler (2002), l’acceptabilité sociale traduit un jugement collectif à propos d’une politique ou d’un projet, dont il s’agit de comprendre les fondements et les facteurs d’influence (p. 1). Si les préférences individuelles peuvent jouer un rôle dans la formation de ce jugement collectif, Shindler et ses collègues estiment pourtant que l’acceptabilité sociale est davantage une question de valeurs et de croyances partagées (Shindler, 2002, p. 7; Cialdini et al., 1990; Sagoff, 1988). L’acceptabilité sociale réfère donc à une évaluation collective plutôt qu’à des positionnements individuels, au sens où le jugement d’acceptabilité participe des dynamiques sociales susceptibles de le forger et de le transformer (Shindler et al., 2002). Par ailleurs, ce jugement suppose un élément de comparaison à travers lequel les projets proposés sont évalués en regard de leurs alternatives (Brunson, 1996, p. 9). Ces réflexions de même qu’une proposition plus spécifique de Brunson nous ont inspiré la définition suivante de l’acceptabilité sociale :

Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo.

Comme le font valoir les chercheurs américains, l’acceptabilité sociale est donc d’abord une question de jugement collectif, plutôt que de préférences individuelles. Par ailleurs, ce jugement est tributaire d’un processus de construction sociale à travers lequel sont formulées les alternatives face à une situation donnée. Ce jugement est dynamique et peut se transformer au gré des débats sociaux, des enjeux et de l’évolution des valeurs dont il est l’incarnation. Dans cette perspective, l’acceptabilité sociale ne saurait être confinée à la gestion judicieuse d’un projet ou de l’implantation d’une politique. Elle reflète l’ancrage du décideur et de sa décision dans une société en transformation qui a bousculé les repères traditionnels de la légitimité.

Si bien que, selon plusieurs chercheurs, l’acceptabilité sociale est le résultat d’un processus de dialogue social entre le décideur ou le promoteur et les populations concernées.

Caron-Malenfant et Conraud proposent une définition de l’acceptabilité sociale qui s’inscrit dans une telle perspective :

Le résultat d’un processus par lequel les parties concernées construisent ensemble les conditions minimales à mettre en place pour qu’un projet, un programme ou une politique s’intègre harmonieusement, et à un moment donné, dans son milieu naturel et humain (Caron-Malenfant et Conraud, 2009, p. 14)

L’ancrage d’une décision dans les valeurs et le tissu social d’une collectivité donnée peut effectivement résulter d’un processus formel de co-construction entre le promoteur ou le décideur et les populations concernées, pourtant, un tel processus n’est pas nécessaire à ce qu’un projet ou une décision soit accepté. La définition de Fortin et Fournis suggère plutôt que l’acceptabilité sociale correspond à un processus d’évaluation politique à partir duquel s’élaborent de nouveaux arrangements institutionnels.

L’acceptabilité sociale est définie comme un processus d’évaluation politique d’un projet mettant en interaction une pluralité d’acteurs impliqués à diverses échelles et à partir duquel se construisent progressivement des arrangements et des règles institutionnels reconnus légitimes car cohérents avec la vision du territoire et le modèle de développement privilégiés par les acteurs concernés (Fortin et Fournis, 2013, p. 15).

Sans nier l’intérêt de ces définitions, nous estimons que l’acceptabilité sociale relève d’une dynamique proprement sociale qui peut, ou non, s’inscrire dans un renouvellement institutionnel, tout comme elle peut relever, ou non, de processus explicites de dialogue social dans une perspective de démocratie participative. Le concept d’acceptabilité sociale permet d’analyser les mécanismes présidant à l’ancrage d’un projet ou d’une décision dans une dynamique sociale sans les réduire au cadre institutionnel formel.

L’acceptabilité sociale comme nouvelle dynamique sociale et démocratique

Cette perspective nous éloigne résolument d’une interprétation de l’acceptabilité sociale pensée sur le mode du syndrome NIMBY, pour laisser paradoxalement entrevoir une réalité captée par sa caricature, le syndrome BANANA (Build absolutely nothing anywhere near anybody). Avec ce second syndrome, c’est un nouveau projet de société qui s’impose : ce n’est plus l’intérêt individuel NIMBY qui est menacé par un projet ou une décision, mais des valeurs et une conception du progrès qui sont questionnées par le syndrome BANANA. La préservation et la conservation font désormais partie des stratégies de développement et d’un progrès qu’on envisageait autrefois exclusivement à travers l’industrialisation et la transformation des territoires.

Passer des intérêts individuels aux valeurs socialement construites pour comprendre l’acceptabilité sociale permet d’envisager toute la complexité des dynamiques à l’oeuvre dans l’acceptation ou le rejet des décisions et des projets. Si l’intérêt individuel peut être compensé, la valeur, de son côté, est non négociable, ne peut être calculée et encore moins monétisée. Par ailleurs, une fois que le projet a suscité la controverse, les processus identitaires inhérents à la mobilisation des nouveaux mouvements sociaux (Melucci, 1983) tendent à cristalliser les positions pour donner forme à une véritable irréversibilité, peu importe les stratégies et la bonne foi ultérieures des décideurs. Loin d’une posture de compromis, les contestataires se construisent et se renforcent dans le conflit (Thériault, 1994, p. 30).

C’est pourquoi, alors que l’acceptabilité sociale peut être lente à construire et fragile, l’inacceptabilité, une fois constatée, est difficile à renverser. On assiste bien souvent à un verrouillage que viennent même nourrir les stratégies que les promoteurs ou les décideurs déploient pour la gérer. Comme l’expliquent les chercheurs américains, c’est bien en amont du projet lui-même que s’établissent les bases de l’acceptabilité sociale, à travers la construction d’une relation de confiance entre le décideur et la société civile. Dans cette perspective, l’instauration de forums de dialogue alors que la controverse est déclenchée apparaît bien tardive. C’est pourtant le cas de la majorité des forums institutionnalisés qui sont pensés comme mécanismes de consultation sur des projets donnés, en aval donc de leur conception, plutôt que d’être consacrés par exemple à une réflexion sur la destination d’un espace. Les mécanismes d’échange et de dialogue devraient être envisagés par rapport à un horizon de démocratie participative qui suppose l’instauration d’institutions intermédiaires où puisse se déployer le débat public. En écho à la dynamique sociale que révèlent les contestations civiles, la démocratie participative et ses mécanismes sont précisément l’occasion de co-construire les décisions et les projets, qu’ils soient publics ou privés.

Pourtant, les mécanismes de dialogue mis en place se réduisent bien souvent à un simulacre de processus participatif. Shindler et Neburka (1997) les résument de manière amusante par le danger des 3 « i » : informer le public, solliciter ses intrants (input), les ignorer. De plus, même lorsqu’elle s’incarne dans des instances efficaces, la démocratie participative n’en comporte pas moins des défis, à commencer par la définition de l’échelle à laquelle doivent être débattus les enjeux et prises les décisions (Shindler et al. 2002, p.12), et celle plus épineuse encore de l’identification des publics. Derrière les figures du riverain, du citoyen et de l’habitant, ce sont les fondements mêmes des processus de participation qui se structurent pour présider, ou non, à un débat public tout autant porteur d’intérêt général que de justice individuelle (Le Floch, 2011, p. 344-354). Enfin, les forums et les pratiques participatives président à la construction de ce que plusieurs ont appelé une « élite de la représentation » qui tend à reproduire le schéma traditionnel représentant-représenté, et à laisser encore une fois le citoyen de côté, plutôt que d’incarner une nouvelle dynamique démocratique de co-construction du projet de société (Bherer, 2005; Charbonneau, 2005; Jouve, 2005; Louvet, 2000).

Conclusion

Le décideur public ne peut se contenter de mobiliser le processus de la démocratie représentative pour justifier ses décisions, tandis que l’entrepreneur doit mettre son projet en phase avec la vision du progrès portée par la population qui est invitée à l’accueillir. La crédibilité du décideur et l’ancrage de la décision dans le tissu social sont aujourd’hui déterminants pour que celle-ci soit acceptée, et par conséquent applicable et effective. Il est donc souhaitable de mettre en place des outils de dialogue avec cette population. Ces outils doivent permettre d’ancrer les décisions et les projets dans le tissu social avant même que ceux-ci ne prennent forme. Ce dialogue s’inscrit dans la notion de démocratie participative, laquelle tend de nos jours à restructurer les décisions publiques et même privées. La démocratie participative est intimement liée aux nouveaux ressorts de la légitimité et appelle à une perspective renouvelée sur la science et la gestion du risque. La démocratie participative et les processus délibératifs qui s’en réclament sont par ailleurs l’occasion de débattre et même de donner corps à un modèle de développement encore indéfini, alors que s’estompe une vision du progrès héritée des Lumières, du fait, notamment, de la crise écologique. Réduire les contestations suscitées par une décision ou un projet à un syndrome NIMBY empêche de comprendre ce nouveau contexte dans lequel évoluent, qu’ils le veuillent ou non, les promoteurs comme les décideurs publics.

Plusieurs notes, souvent sous formes de tableaux imaginatifs, enrichissent cet article de ma collègue Corinne Gendron qu’on aura donc intérêt à consulter dans sa forme originale.

Le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement) a produit près d’une vingtaine de rapports concernant des projets éoliens entre 1997 et 2013 : http://www.bape.gouv.qc.ca/sections/rapports/themes/eoliennes.htm.

Résumé

L’acceptabilité sociale traduit un jugement collectif à propos d’une politique ou d’un projet, dont il s’agit de comprendre les fondements et les facteurs d’influence. Si les préférences individuelles peuvent jouer un rôle dans la formation de ce jugement collectif, l’acceptabilité sociale est davantage une question de valeurs et de croyances partagées. L’acceptabilité sociale réfère à une évaluation collective plutôt qu’à des positionnements individuels, au sens où le jugement d’acceptabilité participe des dynamiques sociales susceptibles de le forger et de le transformer. Par ailleurs, ce jugement suppose un élément de comparaison entre le projet proposé et ses alternatives, d’où la définition suivante de l’acceptabilité sociale : « Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, incluant le statu quo ».

Le 29 août, les APLP ont eu le très grand plaisir et honneur de recevoir ce courriel:

Heureuse, Pierre, de suivre les communiqués dont tu sembles l’initiateur. Il me fera toujours plaisir de cosigner de tels textes collectifs. Car ces questions préoccupent également de façon très vive le Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, qui depuis deux ans, a ouvert sa vigile critique à la question globale des hydrocarbures : www.collectif-scientifique-gaz-de-schiste.com.

Je joins aussi un court article qui a paru récemment dans le Huffington Post et GaïaPresse et autres médias concernant le nouveau Règlement sur le prélèvement des eaux et leur «paradoxale » protection. Il intègre certaines réflexions d’auteurs qui ont contribué au numéro thématique de la revue Éthique publique où Isabel et moi avons co-signé un article: http://ethiquepublique.revues.org/1308

Lucie Sauvé, Ph.D. Professeure titulaire Directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté Université du Québec à Montréal

Ton article, chère collègue, soulève avec raison : « l’éthique de la paix et l’humanisme scientifique mis en place par l’UNESCO (Isabelle Brianso et Yves Girault), l’éthique du bien commun (Rémi Baudouï), l’éthique de la justice distributive liée à celle de la justice démocratique (Raymond Beaudry, Marie-José Fortin et Yann Fournis), l’éthique du partage des avantages dans la gouvernance (Frédéric Thomas), la « responsabilité écopolitique » (Laurence Brière), l’éthique intergénérationnelle (Bernard Saulnier), l’éthique cosmocentrique du vivir bien (Lucie Sauvé et Isabel Orellana). Ces questions mettent en évidence le caractère transversal de l’éthique de l’envi-ronnement, qui ne se cantonne pas au secteur des politiques environnementales à proprement parler. »

Voici une véritable mine de questionnements et de réflexions qui déboucheront, après d’autres batailles avec nos gouvernements, sur des issues que nous espérerons magnifiquement positives! Merci mille fois!

Pierre J.